jeudi 23 juin 2011

Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain Carnets d’un enfant de la guerre, un récit de Serge Amisi*

Je ne me souviens pas avoir déjà parlé de mes lectures sur ce blog ; ce n’est pas faute d’en avoir ou d’en avoir que de peu intéressantes, mais c’est simplement que, m’interrogeant sans cesse sur l’homme et son monde, mes lectures, plutôt que de me donner envie de parler d’elles, m’emmènent à parler de ce qu’elles suscitent et font naître en moi qui interrogent la condition humaine. Elles me font échafauder des pensées qui, articulées entre elles, deviennent de longues réflexions. Plus qu’une autre de mes lectures récentes en ce qui concerne la littérature, le récit de l’enfance militaire de Serge Amisi, « Souvenez vous de moi l’enfant de demain», a non seulement fait échos à un ton prononcé de ma personnalité qui me rapproche davantage des petits et des malheureux, qui me fait fuir la sensiblerie et les petits plaisirs si propres à notre époque, mais encore, il se marie bien à mon sentiment de la guerre que j’envisage comme une expérience humaine extrême. En effet à la guerre on est de part en part confronté au tragique de notre condition et aux valeurs qui exaltent tous les hommes. Cette condition tragique le récit de Serge Amisi en est tout tissé. On y rencontre les sentiments et attitudes les plus remarquables de l’expérience humaine : de la tristesse au rire, du rire à la colère, de la colère à la pitié, de la pitié à la cruauté.

Emu par le récit que l’auteur a fait de ses aventures lors d’une rencontre dans le cadre des Afriqua Paris[1], et captivé par la personnalité de ce jeune-homme qui ne s’est départi que rarement de son sourire jetant une lumière sur sa vie qui n’avait été qu’ombre, je me suis procuré son livre que je me suis promis de lire dès que j’en aurai le loisir.

La terrible enfance de notre héros est un voyage initiatique au cours duquel il apprend à connaître les hommes et leur vie par la manière la plus difficile et la plus éprouvante. Que n’a-t-il vu, que n’a-t-il entendu, que n’a-t-il fait ? Serge Amisi, encore enfant, est enlevé par les troupes rebelles de Laurent Désiré Kabila appuyé par l’armée rwandaise. Il fait un apprentissage brutal du métier des armes en subissant un rite d’initiation que personne n’aimerait vivre, et dont le remords sans cesse le poursuit : drogué, il lui est donné l’ordre de tuer son oncle par une rafale d’arme automatique. Ses premières aventures, qui le mènent à Kinshasa avec les troupes victorieuses de Kabila puis dans le Bas Congo et le Katanga après le déclenchement de la guerre contre le Rwanda, laissent remarquer un phénomène intéressant : l’enfance, quoique mise hors-jeu, ne cesse de revendiquer son empire sur ces enfants soldats devenus hommes par le maniement des armes et les exercices militaires ; elle se manifeste par flashs et démontre qu’elle est en principe le royaume de l’insouciance. Puis vint la guerre avec son cortège de fureur, de grondements, de maux de tous ordres, puis de morts. De par la bravoure et le courage dont il fait preuve au combat, tout enfant qu’il était encore, on peut aisément dire que Serge Amisi, est fait de l’étoffe des héros. Le récit nous montre un vaillant guerrier, un bon meneur de troupes ; comme le héros de l’Odyssée il fait preuve de patience et d’espérance dans l’épreuve. Croyant sa dernière heure arrivée il s’adresse à Dieu afin qu’il lui pardonne ses fautes, lui un pauvre gosse enrôlé de force et victime de la bêtise humaine : « Mon Dieu j’accepte de mourir, mais si aujourd’hui j’arrive à mourir, reçois mon âme, je suis encore un enfant, le chemin que j’ai traversé, ce n’est pas par ma volonté, pardonnez tout ce que j’ai commis, que ça ne te plaisait pas, rien que ça, je n’avais pas de choix, amen. ». Par coup du sort il échappe à la mort, mais n’est pas pour autant tiré d’affaire ; comme Ulysse, on croit qu’il ne s’en sortira jamais. Fatigué des horreurs et de l’absurdité de la guerre Serge devient un « triste penseur » et souhaite être démobilisé.

Ces brèves impressions de lecture, j’en suis certain, ne rendent pas compte de tous les trésors de « Souvenez vous de moi l’enfant de demain ». J’ai modestement rapporté ce qui m’a touché dans ce texte qui, j’en suis persuadé, ne manquera pas de remuer d’autres que moi.


Cunctator.

* Serge Amisi, Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain Carnets d’un enfant de la guerre, Vents d’ailleurs.



[1] Afriqua Paris : rencontres littéraires animées par le blogueur Gangoueus et Penda K. Traore, aucours desquelles les auteurs invités parlent d’une de leur œuvres.

2 commentaires:

Obambé a dit…

Ce billet me fait penser à quelques lectures que j’ai eues concernant les enfants-soldats et même les très jeunes soldats : Rwanda l'histoire secrète de Joshua Abdul Ruzibiza (Editions du Panama) ; Le chemin parcouru : Mémoires d'un enfant soldat d’Ishmael Beah (Presses de la cité). Il y aussi deux romans poignants qui en parlent qui m’avaient beaucoup touché : Soza Boy de feu Ken Saro Wiwa et L’aîné des orphelins de Tierno Monenembo. C’est toujours poignant de lire ce genre de récits, témoignages. Vraiment.

@+, O.G.

Cunctator a dit…

Hello vieux Obambé,(o tanga ebeleeeeeeeee), Soza boy de Ken Saro Wiwa a retenu mon attention, mais, accroche toi, je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire. je le ferai, promis. C'est une expérience très douloureuse que la guerre, surtout lorsqu'elle est vécue à l'enfance. Journée anniversaire, boni?

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.