mardi 14 mai 2013

La responsabilité des élites dans le naufrage de l'Afrique

Qu’on me pardonne, mais je ne crois pas que l’Afrique avance dans la bonne direction, promesse tenue. La bonne santé d’un pays, dans l’ordre de l’économie, du politique et du social, ça ne relève pas de la croyance, mais de l’évidence; ça se voit! A moins de refuser d’établir une différence entre rêve, utopie, Histoire et réalité.

Les politiques repus nous ont tant fait rêver! C’est sur la confusion du rêve et de la réalité que, justement, en Afrique surtout, joue la classe politique attachée à maintenir la société et tous ces braves gens dans l’obscurantisme et l’ignorance des devoirs et des obligations de la classe politique envers le peuple au bonheur duquel elle est censée travailler. En Afrique noire, avec la pauvreté et l’intimidation, l’obscurantisme et l’ignorance sont devenues moyen de gouvernement et de gestion sociale.

Le phénomène apparaît aux indépendances, avec l’émergence d’une élite intellectuelle que, un peu prise de court et étant alors hors de question, l’administration coloniale n’avait pas eu le souci de former. Sans forcer le trait, on peut affirmer que la descente aux enfers de bien des pays africains, sinon tous, commence avec l’arrivée au pouvoir d’une élite formée en Occident et ailleurs en Europe.

Pour le salut de l’Afrique, on est tenté de penser que, l’indépendance octroyée ou arrachée de force, il eut mieux valu qu’on en restât à tâtonner et à bricoler avec les politiques semi-analphabètes formés sur le tas, sous la coloniale! Chez beaucoup d’entre eux, en effet, cette droiture, ce sens proprement républicain du bien public et sa conséquence logique immédiate, ce dévouement et cet empressement à servir. Ils sont, tous, morts aujourd’hui; en tout cas, il ne reste d’eux qu’un petit nombre de survivants qui doivent regretter d’être encore en vie pour assister, impuissants, au désastre de leurs pays qu’en les chassant du pouvoir, l’élite s’était engagée à conduire au soleil. Les foules se prirent au mirage. Ces blancs becs avaient, en effet, pour eux, au rebours de leurs aînés de la coloniale, la jeunesse et d’avoir fait de hautes études. Les hautes études qui permettent, lorsqu’on en use de façon raisonnable, d’entrer en modernité. Ces blancs becs, autre avantage, avaient pour eux, le grand nombre pour cette tâche immense qui demandait des bras nombreux. Depuis, on les compte par plusieurs dizaines au kilomètre carré. Sur ce point, l’Afrique rivalise avec l’Occident; la différence est seulement dans le rendement. C’est vrai que l’Afrique n’a jamais été aussi mal en point que depuis que cette élite nombreuse est aux commandes. Mal en point, on en meurt d’étonnement, si on pense à ce qu’elle devrait être, cette Afrique aujourd’hui. Toutes ces richesses fabuleuses! Tout ce qu’il faut pour être ce qu’on appelle une puissance. Or, la puissance, il faut des hommes pour la vouloir et la construire, en concevoir le dessein et s’en donner les moyens; des moyens humains, sans doute, d’abord des hommes de sciences et de laboratoires, des politiques consciencieux.

L’Afrique possède, c’est vrai, un nombre impressionnant d’hommes bien formés dans les domaines les plus divers qui déterminent l’entrée en modernité, une élite. Celle qui explique le décollage et l’essor des pays d’Asie, dont, pour beaucoup d’entre eux, il y a encore moins d’un siècle, on aurait parié qu’ils ne s’élèveraient jamais au niveau où on les voit aujourd’hui. Mais, l’existence des scientifiques et des techniques n’est encore rien, sans une classe dirigeante attentive à la constance dans l’effort et la volonté vers la réalisation du bonheur collectif, la poursuite d’un idéal. La volonté de dépassement de soi comme principe d’organisation politique, l’effort pour transcender ses appétits égoïstes avaient-ils figuré comme pivot de la pensée et de l’action de ceux qui prirent le relais des pionniers de l’indépendance de l’Afrique?

La chaîne causale en histoire n’est pas celle des mathématiques. On peut, cependant, penser que, chaotique, certes, la situation sociale de l’Afrique ne serait pas tout à fait ce qu’elle est aujourd’hui, si les choses avaient été ainsi: des politiques soumis à la loi, respectueux de l’homme et tendus vers la réalisation de l’intérêt général, dans l’égalité et la justice. Au lieu de quoi, on voit arriver au pouvoir, des jeunes gens sans expérience dans la gestion des affaires humaines, prétentieux, bardés de théories sur la construction du bonheur des communautés humaines. La violence comme moyen pour conduire la société au bonheur eut leur préférence. Ils mirent entre-parenthèses les droits de l’homme les plus imprescriptibles, au nom du bonheur à donner à tous.

Mais, comme cette nouvelle classe politique composée de gens qui se donnaient pour des intellectuels n’était animée de l’intérieur par aucune conviction, par aucune motivation susceptible de déterminer chez eux des comportements citoyens, la première démarche fut de se soustraire à l’autorité de la loi. Venus de nulle part, pour la majorité d’entre eux, et dont les origines obscures avaient longtemps alimenté les fantasmes du pouvoir, du prestige et des avantages sociaux attachés aux fonctions de gouvernement, ces hommes nouveaux eurent beaucoup de mal à servir l’intérêt général. Leur rhétorique était républicaine, les pratiques terriblement anti-démocratiques. Parce qu’elles servent ses intérêt, l’élite au pouvoir organise la pauvreté et la misère qui, en creusant le fossé et les écarts entre gouvernants et gouvernés, mettent les populations à leurs pieds. Inaptes au débat public contradictoire que l’élite s’efforce de rendre impossible. Et pour le rendre le plus longtemps impossible, ou du moins difficile, l’élite au pouvoir utilise ce que le sociologue appelle la violence symbolique, et réussit l’exploit de convaincre la masse des petites gens des bidonvilles que (pourtant visiblement catastrophique) la gestion sociale du gouvernement en place est, en vérité, la meilleure dont elles puissent rêver.

Le cynisme tranquille d’une telle élite creuse, chaque jour, qui vient le sous-développement de l’Afrique, et ce n’est pas l’enrichissement illicite de l’oligarchie qui refuse d’investir dans son propre pays, l’argent qu’elle lui vole, qui tirera l’Afrique du bourbier où l’a jetée une classe politique composée d’aventuriers de la politique, descendants lointains mais efficaces des négriers dont ils perpétuent les pratiques effrayantes. Dans ces conditions, ce n’est pas pour demain, les bonnes écoles, les bonnes institutions de santé publique, l’essor économique, la croissance, l’élévation de l’indice de développement humain.



Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.