Dominique NGOIE-NGALLA
Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...
samedi 24 décembre 2011
C'est quoi, au juste, qui retarde l'entrée de l'Afrique noire en modernité?
Dominique NGOIE-NGALLA
dimanche 18 décembre 2011
Le projet spirituel de l'être humain, un désir d'affirmation de l'esprit sur la chair
A l’âge de la modernité qui réhabilite le corps et tous ses appétits, chrétiens, guides religieux, la continence sexuelle et la chasteté, pourquoi faire? S’il est vrai, comme l’affirment les théologiens, que Dieu souffre des fautes et des écarts de conduite des hommes, surtout sils sont chrétiens, il faut en conclure que, dans la chrétienté du Congo où tant de fidèles se moquent pas mal des commandements de Dieu, tout en ayant en permanence son nom à la bouche, Dieu est vraiment en enfer! Une telle licence des mœurs dans la communauté priante qui, paradoxalement, en même temps, développe une singulière débauche de ferveur religieuse! Avec le vol, crapuleux ou déguisé sous la subtilité de procédés apparemment honnêtes et licites, la licence sexuelle et des mœurs est ce qui s’impose à l’observateur dans le phénomène social de relâchement moral au sein de la chrétienté du Congo. Que la raison ou la cause en soit économique, politique et culturelle, rien de plus vrai.
vendredi 9 décembre 2011
Les grandes écoles ou le certificat d’intelligence d’une élite homogène
[i] Zone d’Education Prioritaire
samedi 26 novembre 2011
Pour la correspondance épistolaire
Les lettres ont encore ceci de bénéfique qu’elles facilitent l’épanchement. L’âme, il est vrai, entend plus facilement le langage de la musique que la parole et se livre plus facilement au moyen de l’écrit que par le discours. Une conversation, aussi élevée soit-elle, ne prend jamais le tour qu’aurait pu lui donner l’écrit, ainsi la correspondance mémorable de ceux à qui leur génie particulier octroyait le don d’écrire. On met tellement de soi dans une correspondance épistolaire que cette dernière devient une trace que nous laissons. La correspondance des grands hommes et femmes n’est-elle pas un outil d’analyse précieux de leurs personnes, de leurs actions et de leurs œuvres ? En écrivant à un ami on lui parle de ses idéaux sociaux, politiques, philosophiques. On lui parle de ses goûts, de la vision que l’on a de tout ce à quoi nous touchons. La correspondance épistolaire favorise donc l’intimité, c’est pourquoi quelques personnes seulement ont le privilège d’échanger des lettres avec une autre. Elle est en effet le privilège des esprits amis ; elle est un moyen d’entrer dans leur profondeur sans passer par le pont de la fréquentation réelle.
Royaume du temps apprivoisé, les lettres permettent de se mettre à l’ouvrage et d’arrêter quand on ne sait plus quoi dire pour revenir une fois l’inspiration de retour, tandis que le téléphone, les sms et tous ce qui leurs ressemblent, marqués par la rapidité, la brièveté, l’économie, nous font l’impression d’un temps fugace et non maitrisé : on passe vite, on évite les détails et surtout on adopte un langage synthétique et elliptique. Que des informations diluées au maximum, la tendance étance au light et au fast. Il est compréhensible qu’à une époque où la priorité est donnée à la course au temps que d’ailleurs on utilise mal, que peu nombreux soient ceux qui veulent se prêter à un exercice qu’on ne réussit pas sans patience. Coucher des mots, eux-mêmes ne se donnant pas sans effort à la pensée, les choisir les assembler selon l’effet que l’on veut produire ne convient pas aux amoureux des résultats immédiats.
Outre le fait que la lettre permet d’user de son temps à loisir afin d’affiner l’ouvrage et de le rendre plus beau, comme pour une œuvre d’art, bien que dans une moindre mesure, écrire une lettre c’est aussi un acte solennel. Les lettres fussent-elles d’enfants, de méchants scriptes ou de personnes peu éduquées sont rarement lues sans cette sorte de cérémonial auquel s’adonne la personne qui la reçoit. Souvenez vous des lettres de vos parents lorsque vous en étiez éloignés, des lettres de votre amour ; de quelles précautions vous entouriez vous avant de les lire ? Comme tout art, l’art épistolaire amplifie ce que nous négligeons peut-être au quotidien. Les émotions transmises, parce qu’on peut les entendre raisonner et parce qu’elles nous parviennent à un moment particulier, ce moment ainsi que la phrase chargée de ces émotions que nous percevons à la lecture, nous ne les oublierons jamais, ils sont grossis et acquièrent une solennité et une gravité autres. Il suffit que nous soyons traversés par je ne sais quelle humeur pour rouvrir cette lettre chérie, relire et relire le passage qui nous a marqué.
Cunctator.
lundi 21 novembre 2011
Le devoir de L'Eglise est de façonner la qualité de vie spirituelle à laquelle l'Evangile nous convie
Une mise entre parenthèse du flux des choses de la quotidienneté favorise le rassemblement et la concentration de notre être. Cela commence par le silence que, malheureusement, les Africains de l’Inculturation ont en horreur. Les Africains des bidonvilles surtout. Et c’est triste que ce soient ces Africains-là, si frustes, qui se mêlent de liturgie au sein de l’Eglise africaine qui, de plus en plus, se distingue des autres Eglises chrétiennes du monde par son amour du bruit, et la théâtralisation de l’expression de la foi, en se moquant pas mal de ce qu’on est convenu d’appeler le goût (capacité à sentir et à apprécier le beau).
Au fondement de la légitimation de tant de choses laides, en parfaite contradiction avec l’Evangile et le christianisme qui placent au centre de leurs préoccupations, l’éthique de l’exigence (le refus de céder à la médiocrité), une mauvaise interprétation, ce me semble, de l’inculturation dont le concile Vatican II faisait pourtant un principe de libération du génie des diverses cultures du monde. Les inventeurs de la nouvelle liturgie de la célébration eucharistique prétendent s’inspirer des liturgies des religions de l’Afrique ancienne. J’en conclus que, lourdement matérialiste, cette Afrique ancienne ignorait ce qu’est une spiritualité authentique.
Tout en pesant sur eux, celle-ci élimine au maximum, les éléments matériels susceptibles de constituer entrave au mouvement de l’âme désireuse de s’élever vers Dieu. Le corps, avec ses penchants tournés vers la matière, constituant la principale entrave. Or, la liturgie de l’inculturation fait une grande place au corps! Au fond, à force de vouloir vivre un christianisme authentique, c’est-à-dire inspiré de leurs cultures, où on danse beaucoup, les Eglises africaines revivent plus leurs religions traditionnelles que le message chrétien; de façon imaginaire d’ailleurs, puisque de ces religions abandonnées et oubliées depuis la colonisation et leur répression par les missionnaires, il n’est resté, chez nos habitants des bidonvilles, qu’une vague idée, des fragments de rites et de liturgies dont l’assemblage bricolé, puis baptisé chrétien, est proposé par la hiérarchie à la communauté des fidèles.
Naturellement, ceux-ci adhèrent, sans effort, puisqu’ils n’ont changé ni de culture, ni de religion, la religion de leurs ancêtres ayant juste changé de dénomination et de forme d’expression. L’adhésion au christianisme qui récapitule, dépasse et récuse nos petites religions matérialistes doit se traduire par la recherche d’une nouvelle forme d’expression d’une foi et d’une religion qui sont exigence d’excellence. Ces liturgies de boy scout révèlent, je le crains, la pauvreté intellectuelle d’une Eglise qui pense peu, et pour exprimer sa foi plutôt vague en l’Evangile, invente, sans effort, une liturgie instinctive de rustre et de bonne femme.
L’inculturation ouvrait, aux Africains, un espace de recherche hardie en théologie morale par exemple, ou en droit canon. Nous n’avons eu droit, jusqu’aujourd’hui, qu’à des bouffonneries liturgiques dont il serait illusoire d’attendre une amélioration significative de la qualité de la foi des Africains en rapide procès de retour à ce qu’autrefois, on appelait le paganisme. Attesté par ces prises d’assaut des lieux de culte le dimanche, l’ardent besoin de croire des Africains ne signifie pas qu’on doive, pour sa satisfaction, leur proposer n’importe quoi. Les Africains aspirent à une authentique spiritualité qu’on n’atteint certainement pas en laissant libre cours, en lâchant bride, à l’émotion brute et à la fantaisie, sous prétexte de les prendre comme ils sont, alors que le devoir de l’Eglise est de façonner leur sensibilité de rustre qui est une entrave de taille pour la qualité de vie spirituelle à laquelle l’Evangile nous convie.
L’Evangile de Jésus Christ n’a jamais été ces shows frénétiques des cultes des églises africaines, mais grave méditation du tragique de la condition humaine et du mystère de l’incompréhensible amitié de Dieu pour l’homme. Le sérieux et la gravité de nos frères musulmans en leurs mosquées ne pourrait-il inspirer ces chrétiens qui, avec cette sotte assurance, nous fabriquent des liturgies si tristement plaisantes?
vendredi 11 novembre 2011
Dans la démocratie ultralibérale les peuples sont moins souverains que les marchés financiers
Cunctator.
jeudi 20 octobre 2011
Grandeur et misère des dictateurs: le rideau se ferme pour Kadhafi
Peu de dirigeants brutaux, finalement, quittent le pouvoir par des voies honorables. Les acteurs du grand banditisme, hormis ceux qui réussissent à s’évanouir dans la nature, ont malheureusement peu de choix quant à leur manière de se retirer. C’est sans doute la rançon du moyen d’accéder au bonheur qu’ils se sont choisis : semer la tristesse et la désolation autour d’eux et même plus loin. Ils ont volé, pillé, assassiné, méprisé la justice, brefs ils ont causé le malheur de tant et tant de leurs semblables qu’on a l’impression que ces diables qui se prennent pour des dieux – cette impression leur est donnée par le sentiment de toute puissance que leur procure le pouvoir temporel qu’ils ne partagent avec personne - oublient qu’ils sont aussi périssables que les misérables qu’ils tiennent à leur merci. Ainsi ces bandits, politiques et tous ceux qui entretiennent des rapports de haute indélicatesse avec les lois pénales qui punissent des immoralités universellement condamnables finissent soit en exil, en prison ou sont tués quand, récalcitrants, grisés par de nombreuses années d’exercice d’un pouvoir égoïste et brutal, ils n’écoutent pas les décrets qui décident de leur chute.
mardi 13 septembre 2011
Dans la république bananière appelée France, les révélations de Robert Bourgi font « pschiiiit ! »
Oui la France est une république bananière. Si personne ne s’en offusque c’est que ce pays qui compte des milliers d’intellectuels forts en gueule au mètre carré a perdu de sa capacité à s’indigner. Combien d’injustices sont passées sous silence, combien d’entorses à la démocratie et à la sainte séparation des pouvoirs dont on s’accommode allégrement ? Que ne gueulent-ils pas lorsque les valeurs de la République pourtant évoquées avec piété moniale devant les médias et devant les foules sont impunément moquées ? Est-ce parce que les victimes de ces immoralités sont essentiellement des nègres ? Que n’ont-ils le courage de constater que le pays de Benjamin Constant, de Victor Hugo, de Lamartine et du Zola de l’affaire Dreyfus est devenu une véritable république bananière ? Parce que république bananière c’est bien quand il s’agit de républiques tropicales. Mais moquer une partie de l’humanité parce qu’un peu grossière, gauche et mal-élevée, c’est oublier que l’universel ne concerne pas que ce qu’il y a de reluisant dans l’humanité et que si on ne s'attèle pas à maintenir ardente la flamme des nobles idéaux, on régresse peu à peu pour ne tendre qu'aux choses prosaïques. Le laid et le répugnant appartiennent eux-aussi à tous les hommes, on ne les trouve pas que chez les horribles dictateurs d'Afrique, et, il y a encore peu, d'Amérique latine. Autrement pouvait-on imaginer qu’un brillant économiste, dirigeant d'une institution internationale de premier planan et futur candidat à une prestigieuse élection cède si facilement, - ivre de la supériorité que lui conférait sa position sans doute – aux charmes pas si fameux d’une gueuse au point de finir éclaboussé par une accusation sordide ? Qu'un journaliste de l’un des titres phares de la presse se fasse espionner par les services de l’Etat au mépris de la liberté de la presse, ne provoque pas le tôlé qu'il devrait en principe créer est effrayant. Lorsque l’action de la justice, et c’est une honte, est constamment entravée par l’exécutif lorsque des « grands sont en cause », la Révolution de 1789 perd toute sa signification. Où est-on ? Pas dans la Tunisie de Ben Ali, mais en France.
Cunctator.
samedi 10 septembre 2011
Le défaut d'hommes de conviction et de discernement vouait d'avance les révolutions africaines à l'échec
lundi 22 août 2011
Kinshasa proteste contre des conditions de vie néolithiques: la marche des bougies
Appelés à manifester leur mécontentement face aux coupures intempestives d’électricité et aux délestages qui aggravent davantage leurs conditions de vie déja difficiles, les kinois vont marcher dans les rues de kinshasa, qui pour l’occasion, faute d’électricité, seront éclairées par une lumière de fortune : les bougies que porteront les kinois. Ces bougies ne vont pas seulement pallier un défaut d’éclairage, mais elles symbolisent surtout la colère des populations, depuis un moment privées d’électricité, contre ces conditions de vie d’un autre âge. L’appel à la manifestation citoyenne lancé via Facebook et des sms est le fait de l’association SOS Kinshasa qui milite pour l’amélioration de la vie des kinois. Espérons que comme ailleurs la mobilisation sera forte. Comment douter qu’elle ne le soit pas ? Vivant depuis plus de deux décennies dans des conditions sociales médiocres pour la majorité d’entre eux, et réduits à la débrouille pour la survie au quotidien, on aurait cru les kinois, soit par courage, soit par lassitude, résignés à subir leur malheureux sort. Mais seulement, même armé de patience, il est difficile de rester longtemps stoïque devant une absence prolongée d’électricité en ce siècle où il n’est pas possible, même dans l’Afrique sous-développée, de vivre décemment sans énergie électrique tant cette dernière est indispensable non seulement pour faire fonctionner les outils propres à l’ère de l’information, mais surtout pour la préparation et la conservation des aliments. Déjà pauvres, Les populations, privées d’électricité, donc de moyens de conservation d’aliments périssables, sont contraintes de se les procurer au jour le jour ; ce qui revient nettement plus cher que si elles faisaient des provisions. Comment en faire sans pouvoir les conserver ? La sensation agréable que procure une boisson bien fraiche dans ce pays ou la bière est appréciée et où les températures peuvent atteindre 40°C, est devenue tellement rare, qu’une bière ou un soda frais bus chez vous ou dans un débit de boisson vous procurent une joie ineffable…
Brazzaville, la sœur voisine de Kinshasa connait la même situation, et depuis plus longtemps. En effet depuis plus d’une dizaine d’années les brazzavillois sont privés d’électricité et d’eau courante. En dehors du centre ville et de quelques grandes avenues éclairés en permanence, les quartiers de Brazzaville ressemblent à de gros villages non électrifiés. Comme à Kinshasa, ceux qui peuvent, se procurent des groupes électrogènes. Mais combien sont-ils ? Et quel bruit ! Quatorze ans, voire plus, sans eau courante, est-ce normal, ou les congolais marchent-ils sur la tête ? Contrairement aux kinois, les brazzavillois ruminent leur colère, ils ne la laissent pas éclater. Seraient-ils devenus des disciples du sage et patient Socrate que nous décrit Platon ? Loin de là, il manque seulement aux congolais de Brazzaville des relais de mobilisation ; il manque aux congolais de Brazzaville le courage de réclamer un mieux vivre ; il manque aux congolais de Brazzaville la volonté de se faire entendre. Comment cependant expliquer cette torpeur elle-même aussi coupable que l’immobilisme ou la paresse d’un exécutif, qui n’oublie pas par cependant de collecter les taxes de toutes sortes et dont la mission, pourtant assumée dans de beaux discours, est de fournir l’infrastructure indispensable à une société moderne et en marche vers le progrès.
Contrairement à leurs voisins traumatisés par la menace permanente de la brutalité militaire, Fatigués d’être constamment ramenés en arrière depuis les indépendances qu’ils avaient accueillies comme source de progrès et d’émancipation, les kinois ont décidé non pas de casser, mais de s’indigner pacifiquement à la lumière des bougies et au son des casseroles. Il est plus que temps de montrer leur rage trop longtemps contenue aux dirigeants étranges et grossiers, qui ne travaillent qu’à assurer leur progrès et leur épanouissement propres.
Cunctator.
mardi 16 août 2011
Afrique: le marxisme et le socialisme, était-ce la solution, était-ce le moment?
Au regard de l’ampleur des ravages, la réponse est bien entendu non. Et les raisons de ce rejet ? Elles sont essentiellement d’ordre anthropologique. Le marxisme et le socialisme avec leur horreur des rapports d’inégalité et de domination de l’Etat capitaliste, faisaient irruption dans des sociétés dont le mode d’organisation fondé sur la soumission consentie des cadets aux ainés, n’était pas celui de l’Etat que combat l’idéologie marxiste. À moins d’appeler Etat, même occupant des territoires de grande étendue, des formes plutôt parentales de gestion du pouvoir, où le lien de sang est déterminant ; où l’autonomisation du politique est loin d’être nette. Ce que, aux XVe-XVIe siècle dans le bassin du Congo, sur des fondements analogiques, les voyageurs Européens s’étaient dépêchés d’appeler royaumes ou empires, n’était en fait que des aires culturelles aux composantes ethnolinguistiques liées par une grande proximité : coutume, codes sociaux, obéissant, hors institutions politiques contraignantes et vraiment formalisées, à un notable dont la légitimité ne reposait que sur le poids d’une longue tradition et des mythes habilement exploités. Ce notable incarne l’unité, longtemps uniquement culturelle, par la suite politique, de l’aire culturelle. Son intention et son désir d’intégration politique de l’ensemble se heurtent à l’absence de moyens logistiques : corps de fonctionnaires spécialisé, police, armée de métier, l’écriture et l’incontournable bureaucratie qui n’a pas que des vices. Cela fait que, hors le petit canton où ce mfumu nsi (le chef) a établi sa capitale, en fonction de la distance géographique qui le sépare de ce chef, chacun en fait à sa tête.
Les groupes lignagers les plus en vue et les plus puissants dont il a fait ses représentants locaux, jouissent d’une grande autonomie, de sorte qu’ils redoutent plus les populations sur lesquelles il sont sensés exercer leur contrôle que ce trop lointain roi. Tels nous apparaissent les royaumes et les empires africains précoloniaux, du moins les royaumes de Kongo, de Loango et de Mukoko du bassin du Kongo, et plus loin l’empire Luba-Lunda. Ils amorcent certes des évolutions entre le XVIe et le XVII è siècle sous l’impulsion des marchands Européens, mais pour l’essentiel ces formations politiques resteront des formations pré-étatiques. L’absence d’écriture fut ici décisive. La durée de la colonisation fut trop courte pour donner aux colonisés le sens de l’Etat. et cela pèsera lourd dans l’évolution politique et sociale de ces colonies une fois devenues indépendantes. Le défaut d’une tradition du sens de l’Etat et de ses exigences constitue un terrible handicape dans l’aspiration de l’Afrique noire à se moderniser.
La mauvaise lecture qu’elles feront des idéologies politiques venues d’Europe, capitalisme ou marxisme, les conduira tout droit à la confusion et au désordre. De ce point de vue, la différence qui sépare l’Asie et l’Afrique noire postcoloniales explique le contraste des évolutions sociologiques entre les deux continents. un demi-siècle à peine après que l’Europe s’en soit retirée comme puissance coloniale de domination et d’exploitation, l’Asie talonne l’Europe et l’occident ; en devient même, au fil des années, un concurrent inquiétant. Pendant ce temps, pourtant libérée du joug colonial presque aux même dates que l’Asie, l’Afrique noire en est toujours aux balbutiements et au tâtonnements brouillons. Et même dans bien des secteurs de la réalité sociale, montre d’inquiétantes régressions. C'est que, pour expliquer les prouesses des Asiatiques, sans en excepter un seul, l’Etat comme organe d’intégration sociale, et coordonnateur de tous les processus sociaux, est réalité ancienne en Asie. Il y apparait des millénaires avant que, au XIXe siècle, l’occident lui impose sa domination. Cela fait que, confrontées à l’urgence de la modernisation de la société, l’Afrique noire et l’Asie ne disposent pas des mêmes atouts pour y accéder. Une différence radicale de mentalités et de visions du monde les séparent. C’est ainsi que le marxisme auquel l’Asie et l’Afrique adhèrent toutes deux comme moyen de transformation sociale a des résultats contrastés dans les deux continents. Si en cinquante ans, grâce au marxisme, non sans violences inutiles regrettables, la Chine par exemple est parvenue à se hisser aux sommets de la civilisation industrielle, en revanche le même marxisme sur lequel s’était appuyé la Chine a précipité l’Afrique dans un cul de basse fosse où elle barbote dans une misère noire, pire souvent à celle où l’avait jetée la colonisation.
Les facteurs et les raisons de la misère politique africaine :
Au moment de leur accession à l’indépendance si, en Asie outre le bénéfice d’une tradition de l’Etat, ceux qui engagent le combat de la modernisation et du développement sont pour la plupart gens d’une solide formation intellectuelle et morale, à quoi s’ajoute le sens de la responsabilité et de l’engagement et une longue tradition nationaliste, en Afrique en revanche, se proposent au combat du développement des blanc becs souvent mal-élevés, qui ignorent tout d’une nation et de l’Etat confondus à leur village, parce que l’Etat et la nation n’avaient jamais existé dans leur société. Ils sont parfois, certes, bardés de diplômes universitaires, mais cela suffisait-il pour produire les hommes politiques qu’exigeait l’Afrique post-indépendante? Il leur manqua une lecture lucide de la situation Ils ne pouvaient l’avoir c’étaient tous des hommes nouveaux que ne portait aucune tradition de la gestion de l’Etat moderne. Ce furent de petites intelligences politiques qui se rabougrirent progressivement sous la pression des groupes d’appartenance, dont l’agitation fébrile permanente produisit du désordre plus que l’ordre postulé.
Ce grave handicap allait limiter les capacités de nos révolutionnaires à la copie servile et inefficace d’un modèle social d’importation. Il leur aura manqué, il faut le souligner, l’intelligence de se demander si la superposition à leur culture du schéma marxiste et socialiste, inventé pour d’autres sociétés dans des contextes historiques précis, serait productrice de sens et aiderait les Africains à se réinventer. Il nous fallait d'abord régler le problème de notre rapport au néolithique dont les imedimenta nous empêchent d'avancer.
jeudi 4 août 2011
Propos sur les imbéciles
Imbécile ! J’ai souvent entendu une personne s’exclamer de la sorte, exaspérée de l’attitude désespérante de son fils. La façon qu’elle avait de prononcer ce mot, opérant une section nette après la première syllabe, renforçait non seulement sa sonorité, mais aussi sa charge. En effet, enfant, je me suis souvent entendu traiter d’imbécile. Et je n’ai jamais oublié l’air de dépit que prenait la personne qui prononçait ce mot, qui était, ce me semble, pour lui le mot le plus approprié pour caractériser la bêtise dans son aspect méprisable. C’était il y a bien longtemps. Depuis je n’ai pas oublié ce mot, ou plutôt il m’est devenu familier. Mais ce n’est cependant qu’à la lecture d’un recueil d’essais cinglants de Bernanos (La liberté pour quoi faire) dans lequel il traite entre autre des misères (morales et intellectuelles) des hommes de son temps qu’il affuble à souhait de l’épithète « imbéciles », que j’ai mesuré, longtemps après avoir été désigné comme tel, à quel point un imbécile pouvait exaspérer et surtout faire pitié. Quelle misère que de se complaire de son imbécilité !
Qu’est donc un imbécile selon la façon dont j’entends ce mot ? En imbécile de premier ordre, je prie chaque jour le Seigneur de me retirer un peu de cette pesanteur qui m’empêche d’être un homme, c’est à dire, si l’on s’en tient aux enseignements des sages les plus illustres de Confucius à Socrate, de Socrate à Jésus-Christ, cet homme qui tente se débarrasser de tout ce qui, telle une gangue, recouvre les pièces précieuses dont il est fait. En effet la sagesse chinoise, la philosophie et le christianisme n’enseignent guère autre chose à l’homme que de rechercher sa nature noble et aimante et à se conformer à elle. Mais seulement, devenir sage, ou simplement rechercher la sagesse, entreprises peu aisées en soi en ce qu’elles exigent courage, abnégation et persévérance, est plus difficile encore quand on est un imbécile. Je nomme imbécile toute personne qui se prend pour la perfection même. Que rechercherait-elle la sagesse, elle l’a déjà. N’entrent donc pas dans ma catégorie d’imbéciles tous ceux qu’on pourrait à priori y jeter : les simplets et toutes les personnes peu douées intellectuellement notamment. Loin de m’énerver leur simplicité, leur gaucherie et leur ingénuité, au contraire, m’inspirent une sorte de tendresse qui me fait excuser leur faiblesse involontaire. Non ce n’est pas d’eux dont il s’agit ici, ces désavantagés dont certains poètes préfèrent la compagnie et la symbolique à celles de ceux qui savent, mais qui malheureusement, trop peu habités par leur science, ne savent que maladroitement et de façon utilitariste sans jamais être transformés par leurs impressionnants savoirs. Ce sont eux les vrais imbéciles. Tellement épais que même une quantité importante de savoir, difficilement conquis par nos anciens, n’arrive pas à leur sculpter une personnalité plus agréable et moins baroque.
Parmi les bienfaits dont l’intelligence orne ceux qui ont le privilège d’en être dotés, l’amour des hommes, aux côtés duquel se tient presque toujours une simplicité aussi grande que l’étendue de leur sapience, est sans doute le plus remarquable. L’imbécilité quant à elle, lors même qu'elle atteint une personne capable de déchiffrer les problèmes mathématiques les moins accessibles, ne manquera pas de truffer cette dernière de complexes tous aussi énormes que sa sagacité. Pour peu que les connaissances de l'imbécile soient sanctionnées par un diplôme élevé, vous aurez l’impression d’avoir affaire à Sa Sainteté le pape en personne. L’imbécile titulaire de ce parchemin se croira ainsi détenteur d’un titre qui lui donne une valeur ajoutée en termes non pas d'employabilité, mais d'humanité; il se croira devenu un être supérieur. En effet l’imbécile, qui vénère l’intelligence dans son acception vulgaire et capitaliste (plus on est doué intellectuellement plus on a la chance de franchir les paliers de sanction des capacités et des aptitudes et de devenir au bout du compte quelqu’un dans une vie qui place les revenus au dessus de la hiérarchie des valeurs humaines) la mesure à l’aune de ses diplômes. Plus il sera diplômé, plus il sera pénible et puant, plus il s’enfoncera dans cet orgueil idiot qui caractérise les imbéciles savants. Vous voulez voir des imbéciles savants ? Ce n’est pas aussi rare qu’un singe savant. Cette espèce n’a jamais autant proliféré qu’en ce siècle où plus que d’autres sont remplies les conditions de son essor. Remisez l’esprit critique dans les placards de la pensée, ignorez la diversité et la complexité pour réduire tous les hommes sous le même rapport, assignez à ce dernier la seule tâche de consommer et simplifiez la réflexion en servant du prêt à penser, vous aurez des imbéciles par millions.
Cunctator
jeudi 21 juillet 2011
Ceux qui nous gouvernent savent-ils que l’Etat rançonne les petits producteurs de nos campagnes ?
O beatos nimis, sua si norint agricolas bona ! Oh trop heureux laboureurs, s’ils savaient leur bonheur ! (Virgile, Les géorgiques). Ainsi disait des gens du labour, Virgile, le doux et timide poète de Mantoue, il y a deux mille ans. Bonheur viril et vrai que savent encore goûter, aujourd’hui, quelques agriculteurs d’Occident. A la paix de leur humble univers, ils ajoutent, pour leurs semailles et leur récolte, le versement d’une subvention par leur Etats. Toujours suffisante certes, en face de tant de besoins, mais ils connaîtraient certainement pire sans cette politesse de leurs Etats. Les paysans africains qui ne semblent pas le souci prioritaire de leurs autorités en savent quelque chose ! Ceux du Congo-Brazzaville ont toute l’attention de leurs élus, mais pas pour améliorer leurs misérables conditions d’existence. Leur maigre production est obérée de toutes les taxes du monde. Ils en deviendraient fous s’ils pouvaient mesurer leur degré d’infortune. Et comment, partis, le cœur en joie, de leurs lointains villages, et rendus à Brazzaville pour écouler leur récolte dont ils attendent un petit rayon de joie et au moins une petite journée de bonheur, comment seraient-ils heureux si, dans cette ville, et dans leur pays ils sont traités en étrangers et joyeusement rançonnés ? Ils doivent, en effet, avant même d’avoir vendu, acquitter des frais exorbitants de police, de mairie, de douane et des Eaux et Forêts, dès leur descente de camion-bus ou du train ? Le petit commerçant ahuri, ne comprend pas ; il sait que ne sont normalement frappés de droits de douane que des articles d’importation, en tenant compte de leur valeur et de leur prix à l’exportation. Et que viennent faire les Eaux et Forêts, la police, et surtout la mairie dans ces taxations ? Le mukalu produit à Mossaka, à Loukolela, est-il un article d’importation ? Ou le foufou produit à Madingou, à Mont-Belo, Mouyondzi, Loudima ? Ou les animaux d’élevage de ces contrées de notre pays ?
Paradoxalement, un certain nombre d’articles venant de l’étranger, mais destinés à aider les paysans, sont exonérés des droits de douane : tracteurs, et autres outils agricoles. Ces pratiques étranges que probablement n’a pas ordonnées le code de commerce de notre pays ont lieu chaque jour, sous la barbe des autorités concernées. Comment donc les interpréter autrement que comme les signes d’une crise sociale grave dont la poussée grandissante, comme une pieuvre envahit tous les secteurs de la vie sociale, en commençant par le secteur public progressivement, insensiblement démissionnaire de sa tâche prioritaire : le maintien de l’ordre. L’apathie, ou, plus négativement, la volonté de rapine et de concussion qui a gagné un nombre fou d’agents de ce secteur est inquiétant. Il faut plaindre le chef de l’Etat.
De toute évidence, il prêche dans le désert. Pas beaucoup ne l’écoutent. La cavalcade des anti-valeurs contre lesquelles il s’est croisé est en marche ! Mais un tel niveau de désordre, ça n’est pas par hasard ; il est le résultat de l’accumulation de petits désordres sur plusieurs décennies, depuis les indépendances. Ni ici ni ailleurs dans le monde, la politique politicienne n’a jamais rien produit d’autre que des citoyens inciviques et médiocres. Savons-nous qu’entrer en politique, c’est comme entrer en religion ; et les mêmes exigences : être tout à tous, un fonds inépuisable de générosité et de compassion ? A condition d’apporter à sa naissance de réelles dispositions intellectuelles et morales qui vous permettent d’exercer avec honneur et bonheur les fonctions si exigeantes de gouvernement, ou de guide religieux. Seulement, dans notre pays où la formation de l’homme (intelligence, la sensibilité et le cœur) est confiée, depuis pas mal de temps, à des institutions (école primaire, collège, lycée, université, séminaire (petit et grand) qui périclitent, faute d’idéal à réaliser et de modèle à incarner, une élite authentique consciente de son rôle, tardera à naître. Une élite qui, dans un combat quotidien de corps avec le destin de tout peuple, se dresse, pour lui tracer son chemin, et frappe aux portes du futur. Mandela n’aura-t-il jamais d’émule ? Ou, maudite, en quelque sorte l’Afrique est-elle condamnée à une vie immuable de végétal, ou d’animal sauvage qui ignore la loi ?
Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...
Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...
L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court ; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .
Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.
Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.
Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.
Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.
Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.
Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.
L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.
La geste de Ngoma, Mbima, 1982.
Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.
Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.
Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.
Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.
L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.
Poèmes rustiques, Atimco, 1971.