dimanche 12 septembre 2010

L'intolérance des tolérants

Cela pourrait paraitre incongru de parler d’une intolérance des tolérants, mais, croyez moi, ne voyez pas là un effet de la logorrhée me poussant à prendre la parole de façon désordonnée et me condamnant à manquer d’à propos, il existe bien une intolérance des tolérants. Sont en principe tolérants tous ceux qui, de par leur éducation, leur culture et aussi leur compréhension innée de la valeur de l’homme, sont au fait de l’universalité de notre humanité par delà les contingences et les différences.


Vilain défaut qu’on ne reconnaît qu’aux incultes, aux imbéciles et aux barbares, cette attitude tenace et surtout insidieuse se tient bien souvent près de nous, prête à nous saisir à la moindre inattention, au moindre relâchement, pour nous précipiter dans l’abîme du regrettable et du méprisable. Notre formation, notre culture, notre humanisme, notre degré élevé de civilité, notre libéralisme, nous ayant enseigné que les contingences que sont les appartenances sociales, les religions, les races, les orientations sexuelles, ne compromettent en rien notre commune humanité, semblent des protections tellement efficaces contre cette vilaine que le seul fait de se savoir issu de telle culture, de telle formation, de telle civilisation nous fait nous croire à l’abri de son effrayante capacité de séduction. Mauvaise posture ! Elle serait déjà en train de nous ronger que nous ne le saurions même pas.


C’est pourquoi notre aptitude à l’ouverture, à la reconnaissance de la liberté de l’autre devrait se vivre en pratique et non en principes simplement récités tel un credo auquel on n’est pas si sûr d’adhérer sincèrement, surtout quand il s’agit d’accepter une situation qui bouleverse ce que à quoi nous tenons très fort. La controverse au sujet du projet de construction d’un centre culturel musulman doté d’une mosquée à deux blocs de Ground zero à New-York nous le montre, qui jette un doute sur ce peuple américain pourtant réputé pour son respect de la liberté de culte, liberté consacrée par le premier amendement de la Constitution américaine (1791). Pour les détracteurs du projet, une mosquée est inacceptable si près d’un lieu ou un attentat perpétré par des terroristes musulmans a fait tant et tant de victimes. En France, pays des lumières et d’une tradition humaniste, l’autre, l’étranger est n’est que passablement admis. « Nulle part, dit Julia Christeva, on n’est plus étranger qu’en France. N’ayant ni la tolérance des protestants anglo-saxons, ni l’insouciance poreuse des Latins du Sud, ni la curiosité rejetante autant qu’assimilatrice des Allemands ou des Slaves, les Français opposent à l’étranger un tissu social compact et un orgueil national imbattable. Quels que soient les efforts – à la fois considérables et efficaces – de l’Etat et des diverses institutions pour accueillir l’étranger, celui-ci se heurte en France plus qu’ailleurs à un écran. » (Etrangers à nous même, Gallimard, collection folio essais, 1991).


Ils sont nombreux dans les livres d’histoire et dans les archives de presse les adeptes de religions prônant la tolérance qui massacrent d’autres adeptes de ces mêmes religions soit en raison de leur appartenance ethnique, soit en raison d’appréhension différentes du message divin. Ils sont également nombreux ces gens que tout porte à la tolérance mais dont la tolérance se limite à des personnes, à bien des égards, assez proches d’eux. Quand on n’argue pas de la probable incompréhension des personnes de condition différente, on avoue son mépris pour leurs manières qui nous paraissent étranges pour justifier un tel entre-soi de médiocres. Être humain suppose la capacité à voir un semblable dans tout homme quelle que soit sa condition, fût-il clochard. Les lettrés et les sachants se défient des gens des bas fonds et des tavernes, craignant que leur langue, par exemple, pourtant belle et pleine de vie, n’agresse leurs oreilles n’entendant que le raffiné ; craignant qu’ils ne soient frustrés devant l’incompréhension de leur bagout plein de science par ces rustres. Fausse est cette tolérance qui n’accepte que ce qu’elle connait et contrôle, que ceux qui en raison de leur différence peu prononcée ont la possibilité de nous ressembler. Un de mes amis dont la carte de visite était tellement chargée de beaux titres qu’il y manquait d’espace pour y ajouter le titre de qualité de marquis, une personne ouverte si l’on en juge d’après tous ces titres impressionnants, car il y était poète, documentaliste, historiographe, orchestrateur de jazz et bien d’autres choses intéressantes, me reprocha un jour de fréquenter des milieux qui ne correspondaient pas à ma situation sociale. Je répondis qu’à ses grands restaurants et ses palaces, où je n’étais sûr de ne rencontrer qu’une humanité pâlotte et raide, peu en accord avec mon tempérament, je préférais des endroits plus éclatants de vie plus, raisonnants d’humanité. C’est ainsi que je souris au monde, où le ciel voulut que rustres, manants, vilains et roturiers eussent la terre en partage avec les nobles, les riches, les raffinés et les érudits.


Nos façons d’être ayant depuis longtemps reçu l’étiquette de la supériorité, nous perdons toute capacité à relativiser les expériences. L’universalisme c’est nous, c’est aux autres de nous ressembler, qu’ils fassent des efforts. Quelle prétention surtout en matière humaine ou les sentiments et les émotions facilement prennent le pas sur l’objectivité ! Qu’est-ce d’ailleurs que l’objectivité ? Alors nous tentons avec énergie de tout ramener à nos catégories de pensée et d’agir. Lorsqu’on perçoit une incompréhension ou un refus d’adhérer à nos valeurs universelles, quel tôlé !


Or la tolérance, la vraie, qui emmène à la compréhension de l’autre, suppose l’effort laborieux de regarder le monde tel que l’autre le voit. Là seulement on peut comprendre cet autre. On ne peut avoir une compréhension réelle d’une société que si on la pénètre. Bien que l’observation distante de phénomènes permette d’en déduire quelques caractères, juger une société, l’analyser sur la base d’éléments superficiels, tels ces anthropologues souhaitant étudier des communautés humaines données à partir de leur bureau, est le meilleur moyen d’obtenir des résultats erronés, biaisés par nos vues propres. N’est pas tolérant l’homme qui n’envisage le monde que d’après ce qu’il connait où d’après les possibilités d’élargissement qu’il se donne. Le monde est à envisager comme un horizon infini de possibilités. Julia Christeva revenant sur les philosophes des Lumières partage avec eux que l’ouverture nous enrichit et nous éclaire sur nos propres insuffisances et avantages : « ’il est agréable et intéressant, dit-elle, de s’expatrier pour aborder d’autres climats, mentalités, régimes ; mais d’autre part et surtout, ce décalage ne se fait que dans le but de revenir chez soi, pour juger ou rire de nos limites, de nos étrangetés, de nos despotismes mentaux ou politiques. » (Etrangers à nous même). Fougeret de Monbron ne le contredira point, qui dit « l’univers est une espèce de livre dont on lu que la première page quand on a vu que son pays. »


Cunctator.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.