mardi 7 juin 2011

Xénophobie, racisme, la faiblesse et la honte de l’humanité (suite)

Pourtant ce n’est pas encore du racisme ; mais seulement l’expression spontanée de la pulsion animale de rejet de la différence. Le racisme commence lorsque, de pulsion irraisonnée, le rejet de l’autre est justifié par un discours cohérent, argumenté. Dans cette logique, des sociétés riches et cultivées sont plus que les sociétés dites archaïques, exposées au racisme. Il est remarquable qu’après avoir tant souffert de l’Occident européen - la tragédie de la traite des Noirs, la violence coloniale-, les Noirs dans leur majorité ne nourrissent point vis-à-vis de leurs bourreaux de haine inexpiable et tenace, mais au contraire posent sur eux un surprenant regard de sympathie. On eût dit ces Noirs frappés d’amnésie. La vérité, semble-t-il, est que comme d’autres groupes humains restés assez près de la nature, les Noirs d’Afrique ont gardé de l’homme un sens profond qui les prédispose au pardon. Les Bantous appellent cela le Kimuntu. Le moyen psychologique du Kimuntu est ce rire intarissable par quoi les Noirs tiennent à distance leur cruel destin et parviennent à dompter en eux la méchanceté des Blancs, passée et présente. C’est peut-être là le type de sagesse dont Catherine sauvage fait une particularité de l’âme noire. Sagesse sans prétention, au ras du sol, mais qui a l’immense mérite de réguler la relation de l’homme noir au monde et aux autres hommes. Et c’est bien ce qu’on peut reprocher à l’Europe de manquer, tournant de ce fait le dos à la vocation de l’homme. Je me souviens d’une phrase de mon manuel de lecture au CP. Un enfant noir des années 50 ne pouvait certes pas comprendre la profondeur de la réflexion contenue dans cette phrase apparemment banale. Mais je retins la phrase, peut-être pour sa cadence : « Le noir est trop accueillant pour l’étranger ». Les auteurs Français de ce petit manuel de lecture pour écoles africaines voyaient une folie, une grave imprudence en tout cas, dans une éthique de l’accueil que les Noirs placent au cœur de leurs valeurs de culture.

Certes, marqué par la méditation sur l’homme des philosophes de la Rome et de la Grèce antiques et par les enseignements de la morale évangélique, le respect est depuis au cœur de l’humanisme européen, comme il est au cœur de la culture africaine qui reçut pourtant l’évangile très très tard. La différence se trouve dans la pratique. En Europe on peut parler d’un humanisme tout théorique, confessé de bouche chez beaucoup quand en Afrique il est placé au centre de l’existence. Humanisme européen étriqué, parce que pour les Européens pour lesquels les rapports d’humanité sont réservés aux proches, l’espace d’humanité se réduit à la société européenne et blanche, accessoirement à l’Asie et à l’Extrême Orient, depuis du moins que les sociétés de là-bas ont adopté la logique européenne de développement. Pour l’Europe donc jusqu’à son adoption récente de l’Asie industrialisée, l’humanité s’arrête aux portes de l’Europe. Au-delà, commence la sous-humanité avec laquelle, outre les ententes en vue de s’assurer les immenses ressources qui s’y trouvent, l’Europe civilisée n’a rien à faire ensemble. Le bas niveau technologique des uns, la trop grande différence biologique des autres, ajoutée au caractère archaïque de leur civilisation, voila les éléments qui déterminent la mise à l’écart par les Européens des hommes de l’au-delà de l’Europe blanche.

A suivre.

4 commentaires:

St-ralph a dit…

Je suis en train de lire le livre de Mylène Patou-Mathis "Le sauvage et le préhistorique, miroir de l'homme occidental". Sa peinture des fondements du racisme est très intéressante. J'en ferai un billet dans quelque semaine. Sa lecture pourrait t'intéresser.

Je reviendrai plus tard sur d'autres aspects de ton analyse.

Cunctator a dit…

Ok, St-ralph, merci de te retrouver ici. Encore merci pour La couleur des sentiments, c'est l'un des meilleurs livres que j'ai lus cette année. Entendu, j'attends avec impatience. Un projet d'un recueil de bloggueurs, ça te parle?

Cunctator.

St-Ralph a dit…

La capacité des Noirs a vite oublier les maux qui leur sont infligés est admirable en effet. D'une part, on est tenté de dire tant mieux ; mais d'autre part cette inclination semble très proche de la naïveté surtout quand ils ne s'appuient pas sur les maux subis pour se garantir de ceux à venir.

Partout en Afrique, on cède trop vite des terres au nouveau venu qui est dans le besoin. Malheureusement, cela entraîne toujours des problèmes de cohabitation des générations plus tard. Le Noir est en effet trop accueillant pour l'étranger. Cela s'est vérifié avec l'Afrique du Sud, cela se vérifie aussi en Côte d'Ivoire où les voisins de ce pays sont installés sans crainte depuis plusieurs décennies dans presque tous les villages.

Si dans son livre "Demain le feu" Badwin s'étonne de la méchanceté sans raison du Blanc à l'égard du Noir, c'est parce qu'il sait qu'au fond de ce dernier il n'y a aucune raison qui le porte à haïr l'autre couleur.

Mais quand tu dis que l'Afrique a reçu "très très tard" l'Evangile, tu oublies une période importante de l'histoire de ce continent. En effet, l'Afrique de l'Est a longtemps connu le christianisme avant l'Europe. Quand l'Egypte, l'Ethiopie et la Nubie comptaient des chrétiens, l'Europe occidental vivait dans le paganisme. Aujourd'hui, les archéologues exhument sur le continent des temples portant la croix chrétienne. Dans la Bible, un ambassadeur Ethiopien a été baptisé par l'apôtre Philippe. Je serai tenté de dire que les Africains ont intégré le sentiment chrétien des premiers temps ; la source de l'Evangile étant très proche d'eux. Ce sont peut-être les Européens dont la nature n'a pas su se plier aux règle de l'Evangile.

° Un projet commun ? Pourquoi pas ?

Cunctator a dit…

"Partout en Afrique, on cède trop vite des terres au nouveau venu qui est dans le besoin. Malheureusement, cela entraîne toujours des problèmes de cohabitation des générations plus tard." Regarde la RDC, la Côte-d'Ivoire en sont des exemples sanglants. Oui en effet pour le christianisme en Afrique, je te l'accorde si l'on veut dire que le christianisme s'est developpé dans une partie de l'Afrique avant son essor occidental, mais l'évangélisation massive ne s'est faite qu'avec l'ouverture de l'intérieur du continent.Et je suis d'accord avec toi que les occidentaux ont du mal à se plier avec les recommandations de l'evangile qui est un humanisme. Or ces sociétés prennent une mauvaise pente en ce qui concerne le sens de l'humain qu'elle tend à transformer en machine. Heureusement qu'il existe des régions de la terre ou l'humain a encore du sens. mais pour combien de temps encore?

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.