Depuis des décennies, exercée
sans la nommer, dans la plupart des pays africains où elle se trouve de plus en
plus soumise à une forte demande de reconnaissance et de légitimation, la
démocratie dite à l’africaine serait-elle le refuge et l’alibi de ceux qui ont
horreur de l’effort vertueux que réclame l’exercice de la démocratie tout
court, universelle par le service des valeurs universelles auquel elle convie
tout homme de bonne volonté ?
Une bien lâche dérobade à
l’éthique de responsabilité qui est le grand souci de l'aventure démocratique,
la reculade devant les exigences de la conscience critique? Leur longue
expérience du combat démocratique avait donné aux occidentaux la conviction,
après Platon et Aristote, que, pourvu qu’on en respecte les règles et en
intériorise les valeurs, la démocratie est le seul régime politique susceptible
de créer, pour l’homme, les conditions de son épanouissement, et de sa
réalisation.
La démocratie conduit à un tel
résultat en créant une société régie par des principes de justice et de
liberté, et non par les humeurs et les caprices d’un potentat, les fantaisies
d’un petit groupe d’individus qui sont malheureusement l’orientation que prend
facilement la démocratie à l’africaine dont on aimerait d’ailleurs qu’on nous
en donne les fondements, les principes, les normes, les valeurs qui la
régissent. Lorsqu’on dit démocratie à l’africaine, on pense tout de suite à
Mobutu Seseko et à Yaya Djamé qui ont conduit leur pays à la culbute, à force
d’exercice fantaisiste et cruel d’un pouvoir sans limites. La démocratie, comme
idéal politique, nous place en face d’une telle masse d’exigences morales, qu’à
moins d’avoir reçu une solide éducation qui ouvre les sens et l’intelligence au
sens de notre semblable à servir et non à asservir, elle apparaît comme une
utopie où se plaisent les poètes et autres rêveurs, et dans lequel le soit
disant pragmatisme africain n’a que faire.
Les régimes politiques de la
coloration de celle de la démocratie à l’africaine naissent de l’inaptitude
coupable des sociétés qui les fondent, à pratiquer les vertus de courage du
bien, de compassion, d’humilité, de prudence, de respect des autres. Sauf si
elle est totalitaire (mais alors ce n’est plus démocratie mais négation de la
démocratie) la démocratie est soumission courageuse aux principes, aux normes
et aux valeurs qui la fondent et dont la justice constitue le socle. Et quel
Africain n’aspire à la justice et à un traitement digne? Que ce soit difficile
pour notre nature blessée, qui le contesterait? Les plus vieilles démocraties
elles-mêmes ne sont pas irréprochables, mais elles avancent tant bien que mal,
résolument. La démocratie se présente ainsi comme un combat pour le bien sans
fin, sans cesse recommencé, parce que la part mauvaise de la nature de l’homme
résiste.
Si en revanche, par démocratie à
l’africaine, il faut entendre l’affirmation de la prise de conscience par
l’Afrique que son adhésion à la démocratie comme exigence éthique pour toute
conscience droite, mais que néanmoins, elle tient compte des résistances de la
nature humaine, résistances d’autant plus fortes que, dans l’exercice de ce
type de pouvoir politique, l’Afrique manque de tradition et d’héritage, et que
de ce fait, il faut s’attendre à de graves maladresses dans les débuts de
l’exercice du pouvoir démocratique, c’est là, la voix d’une sage et prudente
philosophie. Mais ce serait sottise si cela traduisait la violente affirmée
d’exercer le pouvoir démocratique conformément à des spécificités culturelles
africaines dont on aimerait bien savoir à quoi elles ressemblent. A un exercice
du pouvoir régi par des règles flexibles selon les humeurs et la fantaisie du
détenteur du pouvoir?
Si elle est refus de se soumettre
aux exigences de la raison critique, (qui est exigence impérieuse
d’intelligibilité) refus du respect de la dignité d’autrui né libre, si elle
est la fantaisie livrée à elle-même, la démocratie à l’africaine ne donnera pas
à l’Afrique la grande et belle civilisation qu’elle lui promet. La démocratie,
comme tout ce que l’homme entreprend, se gagnera à la sueur de notre front.
Elle est renoncement à soi, dévouement au bien commun à construire ensemble,
compassion, générosité, loin de l’esprit rentier. La démocratie à l’africaine
est-elle disposée à affronter les penchants mauvais de notre nature?
Ce qui manque à l’Afrique pour
rentrer résolument en démocratie, c’est ce qu’on appelle l’esprit
philosophique, conçu comme interrogation ouverte et inventive, radicale mise en
question des vérités reçues, refus de se laisser enfermer dans un passé non
examiné. Allons! Soyons francs et ouverts au débat: le système politique, faute
d’autre terme, appelé démocratie à l’africaine, fait si peu de place à la
conscience critique, l’emblème de la démocratie, que, même par analogie, ce
canard boiteux ne mérite pas l’appellation de démocratie dont on l’affuble.
Désir de démocratie n’est pas déjà démocratie.
Dominique NGOÏE-NGALLA