mardi 12 juillet 2011

L’Eglise africaine va-t-elle re-évangéliser l’Occident ?

La défection du christianisme est profonde en occident. On le voit à la désertion des lieux de culte aux heures de célébration. Des avancées scientifiques insoupçonnées, dont beaucoup font sourire les choses de la foi ou rendent sceptique une économie consumériste et frivole installent un climat délétère qui amène un maximum de fidèles à décrocher du religieux traditionnel. Malheureusement contre la permanence de la distraction aliénante, l’Eglise se montre faiblement armée, et même adopte les armes de l’adversaire pour mobiliser des ouailles qui se font tristement rares. Dans le même temps, l’annonce de l’évangile en Afrique noire depuis le XIXe a en revanche opéré, un siècle plus tard, comme un transfert de la ferveur religieuse de l’occident en cette région du monde. Ici, croisant le désespoir de la misère économique, l’évangile enflamme les masses qui attendent du christianisme la consolation par l’espoir de l’entrée en paradis, et bien entendu, la protection contre la méchanceté des sorciers.

Depuis quelques décennies, séduite par cette bonne santé apparente de l’Eglise africaine, l’Eglise d’occident lui demande de venir, comme en périple de retour, évangéliser l’occident en procès inquiétant de déchristianisation rapide. Sans condition, semble-t-il ! Sans enquête préalable sur la formation de ces étranges missionnaires que l’Afrique envoie à l’Occident. Ce que l’Eglise d’Occident, assoupie attend de l’Eglise africaine où, pense-t-elle, souffle le vent de la pentecôte c’est sa sève tonifiante. Une confiance aveugle en ces missionnés d’une Eglise aux fondements encore mal-assurés et dont, du point de vue de la doctrine chrétienne, la sève bouillonnante n’a pas forcément que des effets bénéfiques, si l’on ne la discipline. Avec probablement la meilleure intention du monde : mettre de l’ambiance dans des célébrations devenues ennuyeuses, les prêtres Africains venus au secours de l’Occident en panne de foi n’ont pas tardé à mettre au culte une animation d’une exubérance tapageuse inspirée, à les croire de leurs traditions religieuses. La tradition liturgique occidentale si soucieuse de discrétion pour rester conforme à l’esprit de l’Evangile qui est effacement et humilité, est ainsi brutalement subvertie et submergée par la religiosité exubérante et bruyante des missionnaires Noirs. L’espace sacré de l’Eglise qui en principe modifie l’état de conscience et l’attitude du corps du croyant est alors transformé en lieu festif pas tellement favorable à une attitude de prière. Je ne crois pas qu’un sentiment profond de la présence de Dieu en ce lieu ne bloquerait pas net la propension de ces Africains à laisser s’exprimer dans les lieux de culte, plus leur corps que leur âme. Ce Dieu pendu à un gibet, quel sentiment et quel mouvement du corps peut-il inspirer si on croit en lui ? Ces frénétiques battements de mains, ces moulinets ridicules appartiennent-ils vraiment au registre du religieux ?

Les défenseurs des nouvelles liturgies de l’Eglise africaine prétendent s’inspirer des traditions religieuses africaines. Il faut craindre que ce soit là une Afrique de leur invention. Qui fait l’effort de connaitre les religions de l’Afrique et leurs formes d’expression se rend vite compte du sérieux de cette Afrique là. Elle ne mélangeait pas le sacré et le profane. Elle ne transigeait pas avec les valeurs du sacré. Le rituel liturgique africain qui envahit l’Eglise d’Occident friande d’exotisme est en fait une création récente de certaines communautés chrétiennes africaines. Il porte dans ses flancs l’odeur d’une revanche de l’Eglise indigène contre l’Eglise missionnaire et son rituel de célébration imposé. Je suis Noir Africain resté proche des traditions religieuses de mon groupe d’appartenance, et intéressé à leur analyse. Je ne me reconnais pas dans l’actuel rituel de célébration de la messe que ses promoteurs prétendent tirer des traditions religieuses africaines. Je me souviens de ma grand-mère. Elle n’était pas chrétienne. Et cependant, lorsqu’elle priait le grand esprit (Nzambi ya mpungu), elle avait les mains en orante et gardait le silence. Comme les chrétiens de l’Eglise primitive. Nous commençons à vivre, peut-être, de l’esprit de l’Evangile, un rapide les effets pervers d’une inculturation du christianisme mal comprise par des communautés chrétiennes africaines soucieuses au fond, non de spiritualité, mais plutôt pressées de se débarrasser d’un legs de la colonisation honnie. Si les réformes au sein de l’Eglise africaine doivent être menées dans cet état d’esprit, parions qu’avant longtemps, le christianisme africain ne gardera plus du christianisme de stricte obédience que le nom. Syncrétique, grimaçant à force de chercher à lui donner une coloration africaine. Le christianisme authentique est lieu de rencontre de la sensibilité et de la raison. C’est cette heureuse alliance que, livrée à l’ivresse de l’émotion, l’Eglise africaine qui se cherche encore n’a pas encore réussi. Mais y songe-t-elle d’abord ? Puisque, convaincus d’avoir raison, ses ténors se réclament de la négritude qui exalte, on le sait, l’émotion comme moyen de compréhension et d’expression du monde ? Et c’est d’une telle Eglise africaine que l’Eglise d’Occident attend la sève qui la revigore !

Sans traditions chrétiennes, juste évangélisées et devenues autonomes dans un contexte historique ambigu, sans recherches patientes, une telle Eglise africaine ne peut apporter à l’Occident qu’une expression du religieux chrétien confus, barbouillé de rhétorique chrétienne. Il faut plutôt espérer de l’Eglise d’Occident, visiblement décrochée, un sursaut salutaire. L’Afrique qui derrière son flamboiement baroque cache une profonde incompréhension de l’esprit de l’évangile, a besoin d’une renaissance de l’Eglise d’Occident pour reprendre sous sa tutelle fraternelle et non plus coloniale sa merveilleuse aventure. Jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge adulte qu’elle se fait aujourd’hui l’illusion d’avoir atteint.


4 commentaires:

St-Ralph a dit…

Tu me devances sur le sujet. Cela fait un moment que j'ai en tête un projet d'article sur le rôle de plus en plus grand des prêtres africains dans l'Eglise catholique occidentale. Visiblement, tu vas beaucoup plus loin dans ton analyse que ce que je comptais réaliser.

Le recul de la foi en Occident est évident et j'avoue que parfois il me fait peur autant que j'ai peur de la multiplication des confessions religieuses en Afrique. Les églises de France sont désertes ! Les fidèles sont peu nombreux ; et apparemment les prêtres aussi sont rares. Tiens, dans ma petite ville de 10 mille habitants, vient d'arriver un jeune prêtre camerounais depuis quelques semaines.

Mais quand tu dis de l'Eglise africaine qu'elle est trop exubérante et par conséquent moins proche de la foi chrétienne, cela me semble un jugement trop sévère. N'est-ce pas le manque de joie dans la pratique de la foi chrétienne qui a conduit l'Occident à la faillite religieuse ? La mine sérieuse trahissant parfois même la souffrance nous rapprocherait-elle plus de Dieu que les cris de joie, les battements des mains ? Je ne le crois pas mon, cher Cunctator. C'est cette tradition religieuse qui faisait de Dieu un être qui passe son temps à châtier, à épier nos fautes qui a fait déserter les églises. Quand les Français d'un certain âge parlent de leur enfance et de la pratique de la foi chrétienne que leurs parents leur faisaient vivre, ils disent ne pas aimer cette pratique là. Et c'est cette église-là que le colon a apporté en Afrique. Les images des Saints aux visages douloureux qui ornaient les livres chrétiens ont aujourd'hui disparu parce que cette église faite de souffrance donne une mauvaise image de Dieu. Devant cette faillite, au sein de l'Eglise catholique de l'occident sont nés des mouvements qui se voulaient plus dynamiques, montrant plus de joie à être chrétien. Ce fut l'échec, certainement parce que c'était déjà trop tard.

Cunctator a dit…

Hello Raph, je n'ai pas signé ce texte, c'est Dominique lui même. Mais vu que cette espace nous appartient à tous les deux et qu'il n'est pas là pour te répondre, je vais au moins te donner moin point de vue. Avant, je souhaiterais te remercier pour ta présentation du livre de Paul Valéry, je l'ai lu avec avidité. revenons donc à la liturgie chrétienne telle qu'entendue par les Africains. je ne pense pas que le propos que je vais développer s'appliquent tous les Faricains, mais je généralise simplement le trait du fait d'une constation générale qui laisse penser qu'il s'agit donc d'une constante. Nous perdons le sens du sacré, de sorte que le fait religieux est relégué à un rite exutoire de la misère sociale. Que recherche-t-on à l'Eglise? ets-ce la présence de Dieu qui chasse le désordre, la foire et les marchands. Souviens toi de Jésus chassant les marchands de "la maison de son père". La joie est une grace que Dieu seul accorde, ce n'est pas à nous de la lui proposer, réjouissons nous de l'amour du Seigneur et rendons lui grace,mais de grace la messe n'est pas une fête. je pense qu'il existe une éthique et un ethos chrétiens. je ne les retrouve pas dans le bruit. le christ était humilité et non exubérance. C'est Dieu qui nous a voulu à son image, mais aujourd'hui nous le dessinons à notre image. En regardant le film "Congo river" du réalisateur Belge Eric Michel, j'ai vu une eglise congolaise ou les fidèles acclamaient Dieu sur des pas lascifs propres au ndombolo, merde!"Tout ce qui est grand a une horreur sacrée. Admirer les médiocres et les collines, c'est aisé; mais ce qui est trop haut, un génie aussi bien qu'une montagne, une assemblée aussi bien qu'un chef-d'oeuvre, vus de trop près, épouvantent" dit Cynthia Fleury (Les pathologies de la démocratie). Mes souvenirs de lecture de l'ancien testatment et des evangiles montrent calme et crainte dans les lieux où Dieu se manifeste (La transfiguration, le buisson ardent, etc). Pour finir je pense que la rencontre d'un Dieu si exigeant et si sérieux nous transforme radicalement et nous rend si humbles et civiques qu'il est difficile pour un chrétien de ne pas se montrer aussi doux qu'un agneau.

St-Ralph a dit…

Mon cher Cunctator, il me semble de toute évidence que chaque continent s'est approprié diversement la religion chrétienne. En France, les chrétiens qui prient et allument des cierges pour la victoire de leurs soldats dans les différents coins du monde ne me semblent pas faire preuve de plus de foi chrétienne que les Africains qui dansent dans les Eglises. Les Européens dont la pratique de la fête de Noêl se rapproche plus du paganisme ne m'inpirent point de foi. En Amérique latine, l'église catholique a aussi un visage tout à fait différent de ce que nous ont laissé les colons et qui retient encore ton attention comme pratique plus pure sinon plus proche de l'idéal chrétien.

J'avoue sincèrement que ce qui me gêne, c'est moins la façon de pratiquer le catholicisme en Afrique que la multiplication des églises qui éloigne les populatiosn de la construction de la vie quotidienne et donc de l'avenir des nations.

Cunctator a dit…

St-Ralph,
T'as raison sur ton premier point, le plus important c'est peut-être la ferveur manifestée et la foi. Pour le second, la multiplication scandaleuse des Eglises chrétiennes nourrie par le messianisme américain est dangereuse tant les pratiques de ces églises, sans organe fédérateur, cause du tort au message du Christ lorsqu'elle le dévoie. Ne tirons pas sur toutes, il reste cependant des Eglises avec de bons pasteurs, réellment animé par le feu de l'Evangile qu'il cherche à répandre.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.