vendredi 11 décembre 2009

A la fête l'Afrique n'est pas citoyenne

Promeneur solitaire attiré par le mouvement et le néon des villes, la fréquentation habituelle de lieux relativement différents avait entrainé mon esprit pourtant rêveur et voyageur à l’observation aigüe de tous les lieux où m’entrainait ma soif inextinguible de lointain. Cette année je suis allé au Congo, douze ans après l’avoir quitté en sang et en feu.

Longtemps hors de mon pays, j’ai été balloté par maints vents et courants ; plus d’une fois j’ai échoué sur des plages où m’accueillirent des peuples aux qualités et défauts divers. Avec eux je vécus des moments inoubliables, à tel point que pour l’un d’entre eux je me surpris d’amour. Cet élan affectif, loin d’être négligeable, ne put cependant contenir ce besoin étrange de refaire le chemin inverse, ce voyage à rebours, qui ramène vers les lieux de nos origines ; les miennes sont à Brazzaville, au Congo. De toutes les raisons habituelles qui nourrissent la forte tentation du retour : la déception, le désenchantement, c’est plutôt la nostalgie mélancolique qui sans cesse me faisait penser au poème célèbre de Du Bellay « Heureux, qui comme Ulysse… ».

J’arrivais donc au Congo, et avant d’y atterrir, plusieurs questions surgirent : est ce aussi bien que certains le chantent, est-ce aussi abîmé que je l’entends dire ça est là dans la presse, les conversations et les différentes affaires juridico-politiques ? Je ne pouvais savoir, il fallait voir.

Ni sociologue, ni politologue, les observations que j’ai faites lors de mon récent séjour au Congo-Brazzaville n’ont point fait l’objet d’une analyse scientifique seule susceptible de les classer, les hiérarchiser, et surtout de leur assurer une autorité. Je les ai faites sans considérations quelconques, telles que mes sens les ont communiquées à mon entendement. De mon séjour dans ce pays il m’a été donné de constater plusieurs choses, irréfutables de façon objective, et certainement discutables d’un point de vue subjectif. Ces observations tant elles sont nombreuses, je les réserve aux discussions de café et aux différents échanges que favorise ma vie sociale. Je me contenterai ici de rapporter ce qui m’a paru le plus important, non pour moi, mais pour la communauté que forment les congolais. Ces constats pourront également dans une certaine mesure être élargis au reste de l’Afrique noire, les choses y étant sensiblement les mêmes qu’au Congo.

De tout ce que j’ai observé, ce qui m’a le plus frappé c’est la propension des congolais à la fête, à la fête et encore à la fête. Comme on dit en Afrique, ce sont de gros « ambianceurs ». Rien n’est plus facile que de s’amuser ; des boites, des nganda et autres vecteurs de plaisirs faciles, il y’en a partout au Congo, à profusion (Kidi kidi, dira-t-on en Kituba) . Que l’on soit jeune ou vieux dans ce pays, et pour peu que l’on ait un peu d’argent, le nécessaire étant suffisant (tout le monde n’a pas les moyens de flamber comme la jeunesse dorée de Brazzaville ou de Pointe-Noire), on est facilement pris dans le tourbillon du délire. Et l’on peut remettre cela tous les jours. Vous remarquerez c’est la vie de beaucoup de congolais.

Je n’ai pas cherché à comprendre les motivations a tant s’amuser de personnes vivant dans un monde décadant et défoncé, où peu de choses incitent à l’espoir ; un endroit où à force de privations et de frustrations de tous genres les gens devraient plutôt réfléchir aux moyens de sortir d’un tel chaos. J’aurais tout aussi pu me contenter des justifications de ceux-là, au Congo et ailleurs, qui se complaisent d’un tel état des choses. Vous en entendrez, du fait de la capacité à s’y amuser, le Congo est « le plus beau pays du monde ». D’autres, lorsqu’on essaie de plaindre ce contraste entre le sort des congolais et cette ubiquité de l’ambiance festive, vous diront de ne point faire attention à la misère autour, et si l’on est bien loti, de se contenter de son sort. Ce sont là les propos de personnes de mon âge, donc des jeunes. Cet entrain à s’amuser fait sourire, mais n’est pas moins inquiétant. Qu’une bonne partie de la jeunesse d’un pays, l’élite de demain, pense si peu haut est effrayant. Comment est-ce possible, à une si grande échelle, d’afficher une telle insouciance, de se laisser amollir par ces douceurs empoisonnantes ? S’il est bon beau et légitime de s’amuser, il l’est encore plus de vivre dignement.

La jeunesse forge son imaginaire à partir de cet état de fait : avoir des responsabilités, se faire beaucoup d’argent, s’amuser, encore s’amuser. C’est en principe le devoir de la jeunesse de réfléchir au modèle de société que nous souhaitons ériger demain, qu’il soit social ou politique, politique et social. Penser les moyens d’apporter le nécessaire à une vie décente et moderne dans un pays où règne la concorde sociale, voila les préoccupations d’une élite bien élevée.

Les douceurs empoisonnantes sont celles dont se servent tous ceux qui ont intérêt à avoir en face d’eux des populations enclines aux petits loisirs, afin de les tenir éloignées des préoccupations publiques auxquelles elles répondent mal. Les populations aveugles s’en font facilement les esclaves. La Boétie dont les propos à ce sujet résonnent d’une étrange modernité, s’est lui-même inspiré des Anciens. Voyons donc là un trait universel et atemporel. Le miel est le meilleur ennemi de la liberté. «Il est certain qu’avec la liberté on perd aussitôt la vaillance. Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat. Ils y vont comme ligotés et tout engourdis, s’acquittant avec peine d’une obligation. Ils ne sentent pas bouillir dans leur cœur l’ardeur de la liberté qui fait mépriser le péril et donne envie de gagner, par une belle mort auprès de ses compagnons, l’honneur et la gloire. […] Les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir. […] Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient aussi la révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la maitriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi.
Tous les tyrans n’ont pas déclaré aussi expressément vouloir efféminer leurs sujets ; mais de fait, ce que celui-là ordonna, la plupart d’entre eux l’ont fait en cachette.»

Une autre chose m’a frappé, l’enthousiasme avec lequel les populations de Pointe-Noire, où je me trouvais, je suppose que celles de Brazzaville et des autres villes aussi, ont accueilli la nomination du nouveau gouvernement. Même en France où la politique, sur bien de points bien plus sérieuse que la congolaise, mérite donc de l’attention il est difficile de constater chez les gens une telle assiduité qui les rend presque tous au fait du moindre mouvement des politiques. Cela faisait à peu près quinze jours que j’étais au Congo, j’avais donc eu l’occasion de constater l’incurie et l’immobilisme de ce gouvernement. C’est ineffable, il faut le voir. Peut-être les congolais sont-ils de grands citoyens, soucieux de leur patrimoine commun, tenant coute que coute à participer à la gestion de la chose publique ?

Or les citoyens c’est dans les Républiques qu’on les trouve. D’après ce que j’y ai vu, il me serait difficile, même grisé, de qualifier le Congo de République. Dans une telle entité politique composée comme ailleurs d’un territoire, d’un peuple et d’institutions sensées organiser cet ensemble, les intérêts des uns et des autres convergent en ce qu’ils désirent tous le bien être commun ; ils recherchent tous l’intérêt général. Au Congo les intérêts sont parallèles, et ce n’est pas exagérer. Les proches de la mangeoire, -comment qualifier autrement un pouvoir dont l’état du pays laisse à penser que son seul but est l’enrichissement personnel au détriment du bien-être public- , s’engraissent et s’engraissent chaque jour davantage. Jouir, placer leur argent, s’atteler à être les plus beaux et les plus vus des congolais, tel est leur intérêt. Le peuple, oublié par des représentants sensés prendre soin de lui en organisant la vie sociale, est hors jeu et tire le diable par la queue ; son intérêt est la survie au quotidien. Ngoïe-Ngalla l’a également constaté qui dit « le défaut d’éthique citoyenne chez les élites africaines explique qu’elles vivent éjectées en quelque sorte hors d’elles-mêmes et vivent loin des préoccupations des populations dont elles prétendent être les dignes représentants. Des populations pourtant pas si sottes, qui sont passées maitres de la récupération, du recyclage et de l’économie informelle, dont, on peut bien le dire, vivent les masses africaines des bidonvilles et des villages, démontrant par là jusqu’où elles n’iraient pas si elles avaient des dirigeants honnêtes et attentionnés » Ces populations pas bonnes seulement pour la récupération et l’informel sont également, surtout les plus modestes d’entre elles, dotées de cette grande capacité à l’empathie et à la compassion qu’on retrouve chez ceux qui sont confrontés au tragique de l’existence. Le petit peuple congolais est formidable. C’est paradoxalement parmi un tel peuple que l’on retrouve les grands fêtards que sont les congolais. Eux aussi encore une fois ne sont pas des citoyens. La citoyenneté suppose de participer au débat public ; lorsque cet accès lui est refusé il faut s’organiser (pacifiquement bien entendu !) de sorte à devenir une force qu’on est obligé d’écouter. Au Congo il ne faut pas compter sur les élus du Parlement pour se faire l’écho des revendications de la cité ; on sait de quel côté est la majorité. Quant à l’opposition parlementaire, en est-ce vraiment une ?

Il ne suffit pas de bénéficier de droits civiques et politiques pour croire ainsi la citoyenneté réalisée et achevée. Elle est de l’ordre des idéaux à conquérir, jamais certains. Elle ne résume pas à la connaissance des noms de tous les ministres et à la capacité de reconnaitre tel ou tel ministre ou député à l’immatriculation de son véhicule de fonction. La citoyenneté suppose un intérêt à la vie publique qui requiert la connaissance et la compréhension du modèle politique selon lequel le pays est administré, seules susceptibles de favoriser une meilleure participation et une plus grande habilité à constater les écarts dans la conduite des affaires, donc de les dénoncer. Etre citoyen, lorsque l’on est du côté du peuple suppose encore d’exiger des meilleures conditions d’existence, un bon système de santé et surtout une meilleure éducation, l’école étant le meilleur creuset pour fondre ensemble des entités politiques comme les nôtres où grouillent des populations culturellement différentes. Etre citoyen c’est encore être capable d’œuvrer, chacun à son niveau, pour le bien-être général.

Les violentes récentes dans les pays d’Afrique centrale devraient nous inciter à ériger une société dans laquelle la cohésion sociale et le dialogue sont privilégiées. Aucune ethnie n’étant supérieure aux autres, pas même celle du prince, aucune d’elles ne devrait, du fait de sa proximité avec celle du chef de l’Etat, se hisser au dessus des autres. On n’est pas plus citoyen parce qu’on est de tel endroit, mais parce qu’on est ressortissant d’une entité politique délimitée. On est angolais, congolais ou gabonais et non teke, likuba, fang, yombe, manianga, tetela ou tshokwe. L’empereur Caracalla, en 212 après JC, octroya la citoyenneté romaine à tous les ressortissants de l’empire romain, chose que l’empire colonial français, plus moderne en principe, ne fit pas avec ses indigènes.

La citoyenneté exige, soit-on faible ou puissant, que l’on adopte « une manière publique de penser, de vouloir et de sentir », c'est-à-dire que chacun doit concourir à la nécessaire primauté de l’intérêt général, que la seule autorité soit issue de la loi qui est la même pour tous, pas d’arbitraire en la question. Dans une République on a peu de chances d’entendre dire « tu sais qui je suis? » à ceux qui sont sensés faire respecter l’autorité de la loi par n’importe quel protégé d’un puissant.

Cunctator

mercredi 2 décembre 2009

Quand la France débat de son identité

Ce débat, sorte d'extériorisation d'une étrange conception de l’identité (identité nationale) que la notion de liberté chère à la France récuse, est dangereux,il tend à définir ce qu'est être français. Qui le sait vraiment? Or définir, c'est limiter, c'est exclure, c'est circonscrire. Qui serait le bon français? Les commanditaires de ce débat, de celticité douteuse, eux je suppose, se sentent bien français quand bien même une partie de leurs origines sont ailleurs.

Etre français qu'est ce que cela signifie lorsque l'héritage chrétien malmené par la laïcité et le patrimoine gréco-romain revendiqués sont également partagés par des millions d'autres européens? La menace d’autres cultes sur la première fille de l’Eglise reconduirait-elle les français à la messe, qui depuis ne fait plus recette ? Dans la guerre contre les ennemis de l’identité nationale française, des valeurs ringardisées par la modernité, la société de consommation et ses avatars sont rappelées en renfort. La France serait-elle en train de se dilater à ce point ? Mais pourquoi être si conservateur, refuser d’avancer dans le sens de l’histoire et jouer ainsi les réactionnaires? pas beau ! diraient les enfants. Peut-être est-ce l'inclination au rejet de l'autre qui ferait le Français bon teint? A ce sujet l'histoire française dans le temps court nous donne pourtant des exemples à ne pas suivre. Un gouvernement récemment s'est fait champion de l'ouverture et de la diversité, qui subitement, quelle mouche l'a piqué, agite le chiffon rouge du danger du communautarisme, du danger de l'atteinte, si rien n'est fait, à l'intégrité française. C'est grossier pour l'administration d'un pays dont nombreux ont chanté la vocation à l'universel, à l'humanisme. Et bien ce n'est pas cela la Grande France, exportatrice de révolution et de passion ravageuses des injustices. L'esprit français, forgé par ses lettres et sa philosophie, a plus que tout autre la capacité de germer chez d'autres peuples, faisant de la culture française l’une des plus appréciées.

La France a vocation à l'ouverture et à l'accueil. Sa position géographique l'ayant faite ouverte à maints vents et courants l'y prépare; l'histoire de son peuplement montre qu'elle n'a jamais cessé d'agréger et de fondre dans un même creuset des gens venus de plusieurs ailleurs. Il faudrait croire que, l'identité nationale étant en danger, certaines personnes ou groupes de personnes ayant eux aussi vocation à être pleinement français sont des poisons pour la pureté de la race française. Il n'ya que les régimes totalitaires pour se permettre de telles manœuvres, définir une identité. Maintenant on va décider d'autorité légale ou administrative comment il faudrait être français. Quelle blague!

La loi pourtant définit clairement le Français, c’est la personne titulaire de la nationalité française. On est français par le sang, par la naissance, pour services rendus à la France, par l’intégration à la société française. Plus encore que tous ces critères, on est Français par amour pour la France, par une sorte d’affinité élective on s’est choisi, on s’est aimé. J’en connais de nationalités étrangères qui se sentent profondément Français ; quelque chose de tout ce que la France a à offrir les a tant touchés que pour rien au monde ils s’en sépareraient. Ainsi sont les francophiles du monde entier. Mais cette proximité avec la France dont ils se sont fait l’ami, personne n’aurait pu le leur dicter, il s’agit d’un rapport d’adhésion libre. La seule force en jeu ici est le pouvoir de séduction de la France. Or on ne séduit pas par la contrainte. Comme tout pays la France a ses défauts, ses parts d’ombre dont même les français les plus fiers ont honte ; ils n’en aiment pas moins la France pour autant. Il est vrai que depuis un moment la France a du mal à se faire aimer, et ceux qui contribuent à ce désamour, on les connait.

Et puis, pour ceux-là qui sont français, on pourrait suggérer aux défenseurs de l’identité nationale dont les éclaireurs, placés sur des miradors et des postes avancés, aperçoivent au loin un nuage de poussière soulevé par les sabots des montures portant des hordes barbares en marche vers la France dans le seul but d’écraser la francitude, de s’armer du casque et du bouclier que sont la culture. La culture est à mon sens, hormis ses idéaux, ce que la France a de plus grand et de plus beau. Montaigne, Ronsard, Rabelais, La Fontaine, Molière, Voltaire, Victor Hugo, Balzac, Zola, Baudelaire et tant d’autres parmi ceux qui depuis longtemps reposent en paix ; Sartre, Camus, Barthes, Saint-Exupéry, Péguy, Malraux, Simone de Beauvoir et tant d'autres encore plus près de nous, soufflent sur nous l’âme de la France qu’on veut avilir en la parant des guenilles de l’intolérance.
S’il est un môle indéfectible ou presque des peuples, c’est bien en la culture qu’il faut le trouver, la culture étant ce que les hommes d’un peuple destinent à leur survivre, une sorte de témoignage durable de ce qu’ils sont. Une culture séduisante et favorable à l’épanouissement de l’esprit humain ne saurait être anéantie par aucun envahisseur, la culture grecque nous le prouve, qui séduisit les Romains victorieux. Quel romain digne de ce nom, au IIe siècle avant JC, Caton mis à part, ne voulait-il apprendre les humanités grecques ? Caton lui-même, à son corps défendant finit par les apprendre.

Cunctator.

mercredi 25 novembre 2009

L'élégance des sapeurs

« L’art d’être un homme », tel est le titre d’une exposition qui a lieu en ce moment au Musée Dapper à Paris. Une partie de cette exposition, consacrée à deux photographes, a pour sujet l’univers de la Sape et des sapeurs. Une chose retient l’attention lorsque l’on regarde ces photos, le contraste entre la mise impeccable de ces sapeurs et les endroits où sont prises ces photographies. Des personnes vêtues de façon très chic posant dans un environnement dont l’épithète qui vient la premiere à l’esprit pour le qualifier est misérable. Ce contraste qui ne manque pas d’interpeler et de choquer donne à réfléchir, à s‘interroger. Qu’est ce que le photographe a voulu exprimer par ces images, ou plutôt, puisque c’est en principe de sapeurs dont il s’agit, que veulent-ils exprimer en s’habillant de la sorte dans un tel environnement où rien qu’à le regarder, on devine qu’on y manque de tout ou presque. Nous y reviendrons.


Les sapeurs dont tout le monde convient à dire qu’il s’agit d’une création congolaise font partie du paysage social congolais (RDC et Congo-Brazzaville) depuis plus de deux décennies avec une recrudescence du mouvement ces dernières années due à l’exploitation commerciale de ce mouvement, principalement par l’industrie audiovisuelle. La sape est même en train de devenir, de façon subreptice, un trait culturel par lequel les congolais sont identifiables. Ils se sont faits, en Afrique comme en Europe, champions en fait de bonne mise et de prestance quant au vêtement. La SAPE est même une religion, la religion du tissu, avec ses tabous ses interdits, ses prêtres et théologiens. Comme dans toutes les grandes religions dont l’histoire des hommes nous donne à observer le cours, la SAPE connait ses divisions et schismes. Si certains sont partisans inconditionnels de l’habit classique (Brazzaville), d’autres sont adeptes d’une ligne plus détendue et imaginative, rehaussée par le prix élevé des pièces (Kinshasa). Quelque soit la tendance, l’obédience ou la secte à la quelle il appartient, tout sapeur se réclame de l’élégance. L’acronyme de leur mouvement ne se termine-t-il pas par « Elégantes », épithète parente, du fait de l’appartenance à un même champ sémantique, du substantif élégance.


Mais en quoi donc consiste cette élégance nouvelle, minimaliste qui ne se contente que de soigner sa tenue, encore que là aussi des choses sont à revoir, sans polir sa personne, de telle sorte qu’on ait un sapeur non seulement bien vêtu, mais aussi d’un commerce agréable à quiconque. C’est cela aussi l’élégance. Est en effet élégant celui qui aura su polir sa personne afin qu’elle plaise quelque soit la circonstance, quelque soit l’endroit. Outre le vêtement qui doit nécessairement être bien mis, l’élégance est question de finesse, de mesure, de civilité et surtout de goût. L’élégance concerne alors de ce point vue, le domaine de l’esprit, qui pour cela doit se manifester avec grâce, grâce qui se répandra sur l’ensemble de la personne de sa tenue et de son allure. C’est ainsi qu’il nous arrive d’entendre dire « une âme élégante ». Cette personne sera charmante aussi bien dans la conversation que dans ses manières. Un esprit dont les pratiques et habitudes tendent vers tout ce qui contribue à nous apprendre notre métier d’homme, rendant l’âme belle, bien disposée, délicate et agréable sera d’une élégance plus riche que celle ténue et pâle du sapeur.

La personne élégante, sapeur ou quiconque, procure par sa présence simple, tel un ornement, de l’agrément au lieu où elle se trouve. Si les sapeurs étaient des personnes élégantes, les joutes verbales et gestuelles auxquelles donnent lieu leurs rencontres, c’est certain, donneraient des tirades mémorables tant ils se défendraient, grâce à une langue gracieuse elle aussi, de façon non seulement brillante mais combien belle et touchante. Rien que pour cela il serait souhaitable que nous ayons à voir un jour un griot aux paroles sucrées et fleuries dans la peau d’un sapeur. Qu’elle s’exprime en Lari, Lingala, Français ou autre, la langue de la personne élégante ne doit pas demeurer en reste.

L’élégance est donc contraire à la barbarie, à la grossièreté, à cette rudesse de manières qu’il n’est pas rare d’observer dans les vidéos et documentaires dont le sujet est la SAPE telle qu’entendue aujourd’hui ; elle se manifeste d’emblée sans le secours de l’ostentation vulgaire et de discours remplis de soi même dont usent les sapeurs pour se présenter.
Pas besoin de revenir sur la notion de gout, mais reconnaissons que mettre des costumes dont les couleurs répugnent les clowns et saltimbanques eux-mêmes, c’est cruellement en manquer.
Une personne dépourvue de charmes particuliers quant au physique, et cependant dotée d’une âme lui conférant des manières nobles et galantes, ne manquera de séduire tous ceux épris de bonnes manières et de propos agréables. Le soin de l’être devant en principe passer avant celui du paraître, l’élégance devrait ainsi d’abord habiter la personne avant de rejaillir sur son aspect extérieur. C’est le contraire chez nos élégants adeptes de la SAPE. Cependant loin d’insinuer que tous les sapeurs sont des rustres et perroquets autant en ce qui concerne leurs paroles inarticulées en terme de logique que leur gout pour le bigarré et le flashy, il y’a des sapeurs sincèrement et légitimement élégants. Que ceux-là veuillent bien excuser notre propos à l’égard de leurs confrères et ne pas se sentir concernés par nos observations.


Est-ce la faute à nos élégants sapeurs si les instances dont la mission est de travailler à l’avènement d’une société d’Hommes, une société basée sur les valeurs authentiquement humaines que l’on retrouvait dans le « kimuntu » de nos ancêtres qui s’articuleraient alors à la SAPE, font tout le contraire en faisant la promotion de valeurs négatives ? En instrumentalisant les sapeurs érigés depuis en corporation, et en désignant, ça s’est vu, comme président des sapeurs une personne occupant de hautes fonctions administratives, ils contribuent à donner des congolais une image de plaisantins patentés.


Pour revenir aux interrogations suscitées par les photos des sapeurs vues à l’exposition et par la SAPE tout court (que veulent exprimer les sapeurs par leur façon de se vêtir, par leur allure, par leur jeu et toute cette ostentation, la sape est-elle une contre culture, est-elle soutendue par une idéologie ?), n’ayant discuté avec un prêtre de la sape dont les propos auraient pu être repris ici, il va falloir se contenter d’une analyse de ce que nous donne à voir les sapeurs et le contexte dans lequel ils évoluent.
Dans le contexte européen la sape a tout d’une culture marginale qui revendique une certaine appartenance. Elle reprend à son compte le style vestimentaire de l’élite occidentale et lui applique ses propres codes et sa propre logique. Les sapeurs ont contribué à démocratiser l’élégance masculine en la faisant descendre dans la classe populaire que constituent les sapeurs (immigrés Noirs, le plus souvent ouvriers). L'élégance masculine occidentale avec eux perd de son séreiux pour devenir un jeux. On se joue du vêtement que l'on démystifie, qu'on apprivoise pour en faire un copain avec lequel on s'entend bien. Autant on peut respecter les codes et les règles que s'en détacher pour apporter une touche fantaisiste qui ne manque pas de faire joli. Les façons raides et guindées de la bourgeoisie, ses apparences de politesse et de courtoisie ne sont pas de mise chez eux. Le vêtement du sapeur est un appendice de son corps, il est donc très à l’aise avec. Même dans ces vêtements que la bienseillance recommande de ne porter qu’en adoptant un air grave pour cause de solennité, le sapeur lui est libre, il a paré son corps, le reste ne compte pas. C’est un libérateur, un provocateur iconoclaste. Ses beaux et chers vêtements il les met quand il souhaite, même à contretemps ; l’importance c’est d’être bien sapé. Le sapeur est un maître d’une gestuelle réinventée du vêtement, c’est tout un spectacle que de les regarder. Ceux qui ont l’âme un peu folle s’en délecteraient.
Au Congo la sape est liée au contexte sociologique de Brazzaville, la capitale. De son fief Bakongo, elle semble revendiquer un pouvoir qu’elle n’a pas dans d’autres sphères. Les sapeurs sont les rois incontestables de l’esthétique vestimentaire, même si quelques hérétiques, qui ne manqueront pas d’être corrigés, par leur bizarrerie exagérée s’écartent de la tradition. Leur autorité leur sera difficilement enlevée, ils sont rois, princes, grands chefs, grands prêtres. Leur autorité est légitime, aucun sapeur ne peut s’arroger un titre s’il n’a à le gagner loyalement ou à le défendre. A la différence des politiques aux discours creux, qui depuis comptent des adeptes de la religion du tissu dans leurs rangs, les sapeurs, grandes gueules impénitentes et soldats acharnés lorsqu’il s’agit de défendre les couleurs de la SAPE, font suivre leurs promesses d’actes. Ils font penser à une île dans un océan de misère, de déchéance, d’injustice et de corruption et d’incurie.

Nos sapeurs ne sont peut-être pas entièrement des gentilhommes ou des gentlemen, mais eux au moins ont la décence de tenir à leur parole et de ne pas être violents. Ils font ce qu’ils disent en général, relèvent leurs défis. Est-ce là, au-delà du vêtement, leur supplément d’élégance.


Cunctator.

vendredi 23 octobre 2009

Les catholiques africains demandent un Pape Noir

L’élection d’Obama à la tête de l’Etat du pays le plus puissant du monde a donné des idées aux chrétiens d’Afrique d’obédience romaine. Le Pape en effet règne sur des millions et des millions de chrétiens répartis dans le monde entier. Quel bonheur et quelle fête le jour où ce Pape serait un Noir d’Afrique ! Après avoir demandé et obtenu de Rome la célébration du culte en langues locales, les catholiques africains n’entendent pas s’arrêter en si bon chemin. Ils veulent maintenant un Pape de leur couleur ! Est-ce dans l’espoir de vivre plus pleinement l’Evangile ? L’inculturation (l’effort pour donner une couleur locale à l’expression du message évangélique) n’ayant de chance de tenir ses promesses que par la nigrification du sommet de la hiérarchie de l’Eglise romaine, Mais on peut douter que de simples changements formels suffiraient à affermir les convictions religieuses des africains, soudain dopés et vivant mieux leur foi. Tout laisse penser au contraire que, pas plus que l’inculturation n’a amélioré la qualité de la spiritualité des africains, l’installation d’un Pape Noir à la tête de l’Eglise ne les rendra meilleurs chrétiens ; Certes, l’avènement d’un tel Pape nous ferait bondir de joie. Satisfaction de vanité légitime, semblable à celle que nous a donnée l’élection d’Obama aux Etats –Unis, Noir comme nous, et d’origine africaine. Mais pour l’essentiel, l’affermissement de notre foi et la transformation de nos misérables existences de pêcheurs où nous sommes si peu capables d’un peu de bien, il faut, hélas, avoir l’honnêteté, l’intelligence et l’humilité d’avouer que nous nous berçons d’illusions.

Le changement qualitatif de la spiritualité de l’Eglise africaine viendra d’autre chose : de la prise de conscience par les africains, des obstacles qui freinent la bonne marche de l’Eglise africaine. S’ils croient en l’Esprit Saint, il faut qu’ils lui demandent de redresser ce qui est tordu en eux, de briser la glace de leurs cœurs, d’affermir leur foi. S’ils ont la patience de demander cela, le reste leur sera donné par surcroit. Y compris d’avoir un jour un Pape Noir ! Qu’ils prennent conscience des faiblesses de leur Eglise : faiblesse intellectuelle, faiblesse spirituelle cachée derrière la chaleur des célébrations tapageuses et le nombre sans-cesse croissant des fidèles. Si faible cette Eglise comment ses fidèles peuvent-ils avoir la naïveté de croire que l’autorité morale qui lui manque, l’avènement d’un Pape Noir suffirait à la lui donner ? La transformant, comme ça, d’un bloc ! Mais un Obama à la tête des USA ça se mérite. Un Pape Noir à la tête de l’Eglise catholique ça doit se mériter aussi. L’Eglise d’Occident n’est pas puissante et n’a sur le monde l’autorité qu’on sait parce qu’elle a à sa tête un Pape Blanc. Elle est puissante parce que d’une part, du point de vue de la formation intellectuelle son clergé est solide, et que d’autre part, malgré de graves défaillances, parfois, en permanence elle se bat pour toujours plus de vie chrétienne en son sein. Fluctuat nec mergitur. Malgré l’orage le navire tient bien la mer et ne sombre pas. L’ambiance délétère introduite par le libéralisme économique et la frivolité subséquente vide certes les églises abandonnées à une petite poignée de personnes âgées. Cependant, dans le même temps, les monastères ne cessent de bourdonner de la prière de centaines et de centaines de moines de plus en plus étonnamment jeunes. Eglise vivante d’Occident dont la sève ne tarit pas. Les crises les plus effrayantes la relancent et la portent toujours plus haut. Et parce que dès les origines elle se porta à la pointe du combat pour éduquer, civiliser, ne craignant pas de travailler de ses mains, l’Eglise d’occident fut capable pendant des siècles, de contenir tant de barbarie qui avait déferlé sur l’Europe et menaçait d’engloutir l’Eglise elle-même.

Il n’y a qu’en se battant de cette façon que l’Eglise africaine pourra aider à endiguer tant de violence paralysante et tant de barbarie. Ce sont des obstacles terribles à la progression d’une foi solide. Et aussi longtemps qu’elle ne prendra pas toute la mesure de sa misère intellectuelle, spirituelle et morale, l’Eglise africaine sera inutile à l’Afrique et au monde à la tête duquel elle veut installer un Pape Noir. Il y a même tout lieu de craindre quelle finisse dans l’ornière, méconnaissable, engluée dans le folklore le plus grotesque. Longtemps, l’autorité morale de l’Eglise africaine reposa moins sur la solidité de son enseignement que sur la dignité de vie du prêtre, sa moralité, son témoignage. C’est vrai qu’elle était alors missionnaire. Jusqu’à l’indépendance, elle ne compta qu’un petit nombre de prêtres indigènes. Ce qui caractérisait cette Eglise là ? Un sens profond des exigences du sacerdoce chrétien. Certes, tous n’étaient pas des saints ; mais chez beaucoup d’entre eux, ce désir et cette volonté joyeuse de vivre une vie toute d’ascèse et de mortifications. Un haut idéal de spiritualité fait du mépris consenti des choses de ce monde : argent, amour, gloire. Une existence obscure dans la chasteté, l’obéissance, le travail et la prière, ça trempe le caractère et ça confère à celui qui s’y soumet librement, une aura et une force d’attraction vers soi insoupçonnée, qui ne sont d’ailleurs pas une exclusivité du christianisme. Cela s’observe partout où une société accède à un niveau supérieur de spiritualité. L’attraction que, depuis quelques décennies, (la période correspond à l’affadissement du christianisme en Occident) le bouddhisme asiatique par exemple exerce en Occident sur maints esprits assoiffés de hauteur spirituelle s’explique par la beauté de l’idéal du bouddhisme et la constance de l’effort de ses fidèles à couler cet idéal dans leurs vies. Loin de toute gesticulation rituelle inutile toujours suspecte d’afféterie.

On ne peut malheureusement pas en dire autant de l’Église africaine. Les statistiques nous montrent certes une Eglise en progression galopante. Mais à la vérité que se cache-t-il derrière la prise d’assaut des lieux de culte ? Une foi brulante ? Des convictions enracinées ? Non, la misère et une profonde détresse morale en quête de consolations faciles. L’examen du contenu de la foi de tels fidèles et de leurs pratiques rituelles révèle tout ce qu’il y a de peu chrétien. On se trouve aux limites des pratiques magiques parfaitement contraires à l’esprit de l’Evangile. Elles ne libèrent pas ; elles constituent au contraire des entraves qui creusent le lit du sous-développement. Elles se trouvent aux antipodes de l’esprit de l’Evangile qui libère et met sur la voie du développement lorsqu’il est bien compris.

Si l’Eglise africaine veut avoir, comme autrefois celle d’Occident, une voix qui compte et qui porte, pas besoin d’avoir un Pape noir à Rome, pur fétichisme. Qu’elle prenne le chemin suivi aux temps anciens par l’Eglise d’Occident. Quand le Pape et les évêques faisaient trembler les grands de ce monde, et étaient obéis au doigt et à l’œil par des foules immenses recueillies. Quel est donc ce chemin ? La discipline, le travail, l’étude, la prière. Les bénédictins, la famille de moines qui a tant fait pour bâtir la civilisation de l’Occident avait pour devise : « ora et labora », prie et travaille. Or l’Eglise africaine est pleine de ces jeunes gens qui entrent en religion non pas par vocation, mais pour se mettre à l’abri du besoin, dans une société économiquement déprimée et aux lendemains incertains. Trop de fainéants inutiles au sein de l’Eglise africaine en ont fait une Eglise de mendiants qui ne résiste pas aux cadeaux empoisonnés du pouvoir.

vendredi 9 octobre 2009

Ecriture et conscience citoyenne.


« L’ethnie est-elle maladie dangereuse dont on peut, comme d’une fièvre maligne, mourir sans même s’en apercevoir ? Ou bien est-elle péché d’origine, ineffaçable, qui, même avec la meilleure bonne volonté, en pervertissant irrévocablement les fondements spirituels et psychologiques de la conduite humaine, rend, même chez les meilleurs, l’action bonne difficile »[1], des paroles que j’ai écrites dans un petit livre sans prétention. Il me faut y revenir, pour analyser et chercher à comprendre l’impact presque nul, spirituel et social, des œuvres des écrivains sur les mentalités de leur pays, eux dont des années 60 à nos jours , l’engagement à la cause des petits et des faibles contre les tyrans, les dictateurs et autres broyeurs des libertés et des droits de l’homme est resté exemplaire. Oui vraiment, le Congo-Brazzaville peut être fier d’avoir Jean Malonga, Antoine Letembet Ambilly, Tchikaya Utam’si, Sylvain Bemba, Henri Lopès, Jean-Baptiste Tati-Loutard, Tchitchelle Tchivela, Maxime Ndebeka, Emmanuel Dongala et cette poétesse de talent, Marie Léontine Tchibinda, notre comtesse de Noailles. Et tant d’autres de la génération montante dont la qualité des œuvres rassure sur la relève de demain. Et comment oublier Alain Mabanckou dont on peut se demander jusqu’où il n’ira pas ?

Tous ces écrivains, chacun en leur genre, ont honoré le Congo de l’éclat de leurs beaux talents. Tous, des écrivains de race, et dont la renommée à l’étranger n’est pas petite. Les raisons ou les causes sociologiques qui expliquent la production d’œuvres de cette qualité reste un mystère. En effet comparé à la taille de la plupart des Etats africains, le Congo est un petit pays que son sous peuplement relève dans une espèce d’insignifiance compliquée de sous développement. Une université qui est loin d’être brillante après avoir été un temps l’espoir de l’ex Afrique Equatoriale Française (AEF). Et taux de scolarité (presque 100%) qui pourrait fournir un élément d’explication à l’émergence de cette littérature de qualité ne s’élève de façon aussi admirable qu’après que la plupart de nos écrivains aient donné le meilleur d’eux-mêmes. Et puis, il s’agit d’un enseignement de masse. Dans ce cas il vaudrait mieux parler d’alphabétisation, dont on ne saurait attendre quoi que ce soit qui vaille vraiment. Mais peut-être, après tout la naissance et l’éclosion de tant de talents et surtout leur regroupement sur ce bout de terre presqu’au même moment (à quelques années de différence, ils sont tous de la même génération). Ne sont-elles qu’un effet du hasard ? Mon problème n’est pas là. Hasard ou aboutissement heureux du cheminement obscur d’une chaine causale, je m’étonne, connaissant la mission de l’écriture et de toute création de l’esprit, que tant de beaux talents rassemblés (ils se connaissent tous, se fréquentent ou se haïssent) n’aient pu concourir au façonnage d’une république de citoyens pour éloigner la violence et ses guerres civiles récurrentes. Résultat ? Un beau désordre politique économique et spirituel qui rejette le Congo dans les profondeurs du classement des pays sous-développés, où le sous développement signifie d’abord la difficulté, presque l’incapacité de la conscience citoyenne à éclore pour s’éveiller aux problèmes sociaux de l’heure et chercher à y trouver solution. L’écrivain n’est-il pas à sa façon le prophète qui mobilise à temps et à contre-temps. Parce que son intelligence dilatée est libérée des erreurs d’un savoir domestique limité (celui du groupe d’appartenance) le projette en permanence sur les laideurs d’un monde à éclairer et à transformer.

De ce fait parce que de toute leur volonté ils se forcent d’accéder à une meilleure connaissance d’eux-mêmes et du monde qui les entoure, afin de mettre de l’ordre dans le chaos, les artistes et les écrivains, dont le savoir a dilaté l’âme et la vision du monde, sont forcément des être épanouis. Cet épanouissement de leur être, ils le doivent à la recherche inlassable de la vérité et de la justice. Dussent-ils comme Socrate payer cette recherche de leur vie. Pour eux, la paix intérieure et autour d’eux est à ce prix. Et volontiers ils font du vers célèbre de Lucrèce leur devise : « felix qui potuit rerum cognoscere causas » , heureux celui-là qui connait les faits par leurs causes (Lucrèce, De natura rerum). C’est cette connaissance rationnelle objective du monde qui, lorsqu’elle s’accompagne d’éthique, délivre l’homme de la brute qui rue en lui et l’élève. Les artistes et les écrivains ne peuvent donc rester indifférents aux désordres de la société où ils vivent. Ils en sont la mauvaise conscience, ou du moins ils devraient en être la mauvaise conscience qui dérange. Qu’ils attirent à eux ou qu’ils repoussent, ils poussent forcément à la réflexion. Jean-Paul Sartre qui fut dur pour lui-même, modèle de probité intellectuelle et morale, demandait à l’écrivain un engagement de l’homme tout entier. A l’écrivain il assignait « de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde, et que nul ne puisse s’en dire innocent » (Jean Paul Sartre, Qu’est ce que la littérature). On ne sort pas de là. On est écrivain ou on ne l’est pas. Et ce serait un bien piètre écrivain aujourd’hui, surtout dans le tiers monde, que celui qui s’arrêterait à la dimension esthétique de la création littéraire. Aujourd’hui celle-ci compte forcément trois dimensions : la dimension esthétique bien sur, la dimension réflexive et du questionnement, et la dimension politique c'est-à-dire la prise en compte des problèmes sociaux.

Dominique Ngoïe-Ngalla.
[1] Dominique Ngoïe-Ngalla, Le retour des Ethnies, BAJAG-MERI, Paris 2003.

lundi 28 septembre 2009

Eloge de la différence

Différence !plus que le mot lui-même, c’est le porteur de sens, le porteur d’altérité qui suscite diverses réactions chez les protagonistes de cette altérité. En vogue du côté des politiques avec les notions d’intégration, d’identité nationale, de multiculturalisme, de pluriethnisme, la différence est une notion dont on ne saurait se passer, une notion qu’il convient donc d’apprivoiser afin d’en faire une amie, étant donné qu’elle affecte même des groupes humains supposés semblables. La différence est ce dont est faite la vie ; elle en est la beauté et l’orgueil.
Bien que faisant partie de notre condition, la différence n’est pas aisément acceptée, surtout lorsque du fait de l’histoire, d’une position sociale, politique ou intellectuelle on est placé du côté considéré comme le bon côté dans une société donnée en fonction de ses valeurs et de sa hiérarchisation. Accepter la différence c’est accepter notre condition d’hommes, la vie étant faite de disparités, d’aspérités et de cavités. Si en certains endroits ou pour certaines personnes la vie est plane, pour d’autres elle est montueuse, vallonnée, et l’on peut apercevoir ça et là de petites rivières torrentueuses dans lesquelles, telles des truites, ces personnes se débattent avec ces courants tumultueux. C’est ainsi que la vie est faite de personnes de condition humble, de nantis, de nobles, de roturiers et de vauriens.
L’identité universelle du statut humain affirmé par le christianisme et tous les humanistes ,et bien avant eux les Anciens grecs et latins, ne doit pas conduire à réduire tous les hommes sous le même rapport. Bien que notre égalité et notre identité résident dans notre dignité et valeur communes, les manifestations de l’humain par chaque personne sont singulières. Tout homme est unique. « Chacun des hommes, selon Bergson, a des dispositions particulières qu’il tient de la nature, et des habitudes qu’il doit a l’éducation qu’il a reçue, à la profession qu’il exerce, à la situation qu’il occupe dans le monde. Ces habitudes et ces dispositions sont, la plupart du temps, appropriées aux circonstances qui les ont faites ; elles donnent à notre personnalité sa forme et sa couleur. Mais précisément parce qu’elles varient à l’infini d’un individu à l’autre, il n’y a pas deux hommes qui se ressemblent. »
Pourtant une certaine tentation à l’égalitarisme manifestée par une volonté de niveler tous les hommes, oublie qu’il n’est pas possible de modifier ce que la nature a gracieusement donné à une personne, ou encore que les expériences quoique similaires ne sont pas interchangeables. Tout enfant par exemple, ne vit pas la perte de ses parents de la même façon ; toute personne ne subit pas l’exile de la même façon. Si l’on admet que nos différentes aptitudes, bien utilisées, nous exposent forcément à des fortunes diverses, il est donc normal que nos succès diffèrent. Ainsi il y’a des personnes douées pour les affaires, d’autres pour mener les hommes, d’autres pour la spéculation intellectuelle, d’autres développeront des dons artistiques. L’issue de tout ceci est un prestige différent selon le statut que l’on aura acquis et les rôles qu’on exercera dans une société donnée.
La culture européenne qui se caractérise par la volonté d’épanouissement et d’indépendance de l’homme en le libérant de toute attache rendant difficile l’avènement du sujet, contribue elle-même à effacer ce sujet tant les nouveaux modes d’êtres et de pensée récusent toute notion d’autonomie, d’indépendance de pensée et de liberté de choix. L’industrialisation de la production, la société de consommation ont érigé de nouvelles logiques évinçant de façon subreptice nos capacités à choisir et ôtent, petit à petit, toute teneur à la notion de volonté.
L’occidentalisation du monde dont nous connaissons tous les causes exporte cette façon d’être à des régions dont les cultures, pour les plus fragiles, ont du mal à s’opposer à cette fécondation hasardeuse, adoptant volontiers ce qu’elle a de plus pernicieux. En tout cas en ce qui concerne l’Afrique, une observation lente et rigoureuse montre que son intérêt pour la civilisation occidentale n’est pas dans ce qu’elle a pu produire de plus admirable; l’Afrique est ce continent ouvert à tous les vents et tous les courants qui y déposent, sous les applaudissements des populations, des poisons qui, si on y fait garde, finiront par avoir raison de ce que nous sommes. En effet, séries télé, films, clips vidéo nous projettent des modèles d’individualisme exacerbé, d’irrévérence envers le sacré, d’affairisme aiguisé et de sentimentalité qui à mon sens ne sont pas des valeurs africaines. Déjà potentiellement occidentaux, nous risquons, si nous continuons à nous oublier ainsi, de compter parmi les civilisations disparues. Il n’est bien entendu pas question de rejeter en bloc tous les apports culturels des autres mondes, mais il faudrait plutôt les accueillir en sachant rester soi même afin d’être mieux armé pour effectuer un tri entre ce qui nous convient ou non.
Etre soi même, assumer sa différence donc, permet non seulement d’apporter quelque chose à ce monde tendant dangereusement vers le fade et le monocorde, mais encore d’être mieux préparé au rendez-vous, cher à Senghor, du donner et du recevoir.Qu’aurions nous à donner si, dissolus dans l’autre, nous finissons par tellement nous ressembler que l’élan de la rencontre s’en retrouve ratatiné, rabougri. Ce qui attire véritablement l’autre-différent c’est la promesse d’un enrichissement mutuel ; il faut que l’autre soit une perspective de sortie de l’ornière que constitue notre éthos habituel. Cet objectif nourrit les curiosités, invite au rêve, au voyage et à la découverte. Il est en effet difficile pour certaines personnes enclines à l’échange et au dialogue d’où qu’elles soient de converser avec des personne dont tout laisse à supposer qu’elle recèlent d’énormes trésors du fait de leurs particularités intrinsèques, mais qui souvent déçoivent par leur conformisme et leur adhésion tous azimuts aux courants et tendances du moment, le mainstream des anglo-saxons. Je me souviens d’un ami passionné de musique qui me disait son ennui lorsque rencontrant une personne, il souhaitait parler un peu de musique avec elle. La question qu’il commençait par poser à ces gens était « quel genre de musique écoutes-tu ? », et il était assez fréquent qu’on lui réponde « un peu de tout.» Cette réponse au lieu de l’édifier le perdait davantage, en sorte qu’il n’en savait pas plus sur les goûts musicaux de ses interlocuteurs et leurs motivations. Cette question à laquelle il n’attendait pas une réponse préconçue était un moyen d’entrevoir l’univers de son interlocuteur, de pouvoir discuter et échanger et peut-être s’influencer mutuellement.
Rien de mieux que les cultures lointaines, différentes des nôtres, pour constater la richesse de nos différences. Les anthropologues et ethnologues de par leurs expériences des peuples les plus éloignés de leur civilisation nous rapportent des preuves de l’étonnante richesse du monde vécu de façon différente selon qu’on est aborigène d’Australie, Bushman ou Bororo. Privés de la diversité culturelle et de l’hétérogénéité qui créent la richesse des relations humaines, nous n’éprouvons pas le désir de connaître ce qui ne nous ressemble pas. C’est ainsi qu’un adulte jamais confronté à la différence qu’elle soit sociale ou culturelle, bien que se disant ouvert, mais en effet ouvert seulement à ce qu’il connaît et à ce qui lui est plus ou moins semblable, aura le plus grand mal à se faire d’une différence abrupte. Cela requiert un apprentissage de la nécessité de ne pas envisager le monde selon ses propres catégories de pensée et d’analyse, mais plutôt de savoir, si on peut dire, se mettre entre parenthèses pour regarder le monde tel qu’il est.
Cultiver la différence et non faire une apologie négative de la différence a encore ceci de bénéfique que cette culture facilite la relativisation de nos propres parcours et trajectoires et d’avoir un regard dénué de morgue, un regard plus accueillant sur les horizons qui ne sont pas les nôtres. Remarquons qu’une personne de bonne naissance issue d’une banlieue chic du New-jersey ou de quelque autre endroit huppé, a priori peu disposée au partage, à la solidarité et à la générosité et même à la gratitude, car ne connaissant pas la précarité, l’indigence, le dénuement,verra l’apprentissage de ces attitudes facilité par la fréquentation ou simplement la conscience aigüe du sort de personnes moins bien loties, dont la gratitude naturellement apprise par l’habitude de recevoir peu souvent (pour de telles personnes recevoir le moindre penny, le moindre objet suscite de grands remerciements, ils savent mieux que quiconque la valeur d’une obole), n’a d’égale que leur dépouillement matériel. Une telle personne révisera ses caprices et aura, sans peut-être les pratiquer, connaissance des valeurs qui font avancer les humbles : humilité, courage, détermination, opiniâtreté, etc.
Parmi les instruments d’ouverture à la différence ou à l’altérité on peut citer les productions artistiques, en tant que fruits d’une vision propre à une culture donnée, comme instruments par excellence. Parmi ces productions, la littérature de par sa plus ou moins grande diffusion au delà de ses lieux de production, favorise la rencontre avec des personnages, des lieux, des atmosphères qui nourrissent en nous des aspirations et ambitions qui ne nous seraient pas venus naturellement. Un européen en lisant Amadou Hampaté Bâ pourra apprécier l’esprit de tolérance et de solidarité décrits dans son œuvre. Un africain en lisant Balzac ou Zola découvrira bien des plaies des sociétés industrielles naissantes ; les auteurs Anciens lui inspireront ou peut-être renforceront son sentiment quant à la dignité de l’homme et à la constante nécessité de tenir à la morale.En ce qui concerne les expériences littéraires et musicales, l’esprit ne saurait se satisfaire soit des mêmes rythmes ou des mêmes canons. Les sentiments qui caractérisent une personne donnée du fait de ses expériences ne trouvent pas forcément à s’épancher ou à s’exalter dans les musiques qu’il lui est donné d’écouter dans son environnement immédiat. Aux âmes martiales conviendront les musiques épiques, les marches militaires ; ne faites pas écouter du « coupé décalé » ou que sais-je d’autre d’oiseux et de bruyant aux personnes graves, soucieuses de sérieux et ayant développé le sentiment tragique de la vie, de telles personnes retrouveraient leur unité grâce à l’écoute de musiques évoquant par leurs sonorités des sentiments plus proches de leurs états d’âme, tels ces sanglots longs des violons de l'automne qui blessent le cœur de Verlaine d'une langueur monotone. Un esprit tourné vers la contemplation quasi mystique des choses de l’au-delà ne supporterait guère la foire et les tam-tams des Eglises africaines.

Philippe Ngalla-Ngoïe.

mercredi 19 août 2009

La lente agonie du racisme.




Il y’a peine quelques mois, nous saluions le courageux et progressiste peuple américain élisant un Président issu d’une communauté regardée de travers, un Président en partie originaire de la partie damnée de l’Afrique, dont les capacités humaines de ses habitants ont longtemps été remises en doute avec force par des esprits brillants d’occident et d’ailleurs, seuls habilités à revêtir les caractères essentiels de l’Homme.

Mercredi10 juin 2009 survenait une fusillade au Musée de l’Holocauste de Washington DC. Cette fusillade ayant provoqué la mort d’un agent de sécurité noir, s’inscrit dans une série de crimes visant les minorités aux USA depuis l’élection de Mr Barak Hussein Obama, premier Président noir des USA. Ce fait prouve que ce pays progressiste, soulignons le -dans quel autre cela aurait été possible-, doit encore affronter les questions relatives à la race au sujet desquelles d’énormes tâches sont encore à accomplir. En effet les disparités sociales et économiques, les différences quant à l’éducation sont déterminantes pour la place et le statut des différentes ethnies de l’Amérique, et on sait que l’état d’un groupe ethnique dans une société donnée, surtout si ce groupe se place en tête des défavorisés, fonde des préjugés volontiers appliqués à tout individu issu de ce groupe. L’arrestation devant sa maison du Pr. Henry Louis Gates Jr, historien de renom, est un bel exemple de la force des préjugés.

L’élection de Barak H. Obama, grand pas vers l’adhésion aux valeurs authentiquement humaines de tolérance proclamées par les esprits des quatre coins du globe ( même les papous et tous les autres peuplades arriérées à la pensée si fruste s’y collent) a non seulement illustré la volonté, même timide, des Etats-Unis de franchir la « color line », mais elle a aussi illustré celle du reste du monde, puisque, en ce qui la concerne, une grande majorité était acquise à Obama en Europe (en France nous sommes les champions de la tolérance, Egalité et Fraternité sont garanties à tous; point besoin donc de compter la France parmi ces autres nations devant affronter l’épineuse question de la différence). Cela rassure, que l’on soit Blanc, Noir, Rouge, Jaune et même vert si possible, le rayonnement que confèrent à une personne ses qualités intrinsèques, touche la sensibilité de ceux là qui reconnaissent la stupidité des barrières et préjugés érigés par l’Histoire, l’économie, la culture, etc.

Le racisme sous toutes ses formes est question de différences, nombre d’entre nous avons du mal à les assumer. Au sein même de l’Afrique où la majorité de la population n’a pas le souci de la différence des races, au sein des Etats-nations les populations, parce que bien souvent issues d’ethnies différentes s’acceptent difficilement, l’autre étant un danger pour l’intégrité de l’ethnie. Le cas des hutus et des tutsi est symptomatique de ce phénomène. Comment deux ethnies partageant la même langue et un territoire si exigu en sont arrivées à se massacrer dans un combat qui avait tout d’une lutte ou l’un des protagonistes protégeait son intégrité contre des barbares venus de très loin.

Le racisme est fruit de l’intolérance elle-même née du refus de reconnaître en l’autre un semblable en ce qu’il a autant que moi tous les caractères d’un humain, fut-il pygmée ,dont des congolais de Brazzaville, à l’occasion d’un festival de musique, parquèrent, telles des bêtes puantes, quelques individus dans un zoo afin sans doute de mieux coller à leur condition animale. Pauvres pygmées! C’est un caractère dont même les plus civilisés et les plus fins ont du mal à se départir, pratiquant une fausse tolérance, un racisme élégant et courtois. On ne s’en débarrasse qu’au prix d’efforts sans cesse renouvelés de renoncer à notre condition soi disant supérieure pour la partager avec tous les sauvages et barbares de la terre. Cet effort ne devrait pas, comme au pays de la liberté de ‘égalité et de la fraternité, s’arrêter au niveau des déclarations et des intentions, où l’on se recroqueville sous le paravent de la République, formule magique sensée corriger les effets des préjugés et des discriminations dès qu’elle est prononcée. Un préfet hors cadre, voyez le symbole, s’est fait prendre en flagrant délit à l’aéroport d’Orly où, selon la presse, énervé, il fit le constat qu’ « il n’y a que des noirs ici ».
Philippe Ngalla-Ngoïe.

mercredi 29 juillet 2009

Gotène ou le foisonnement de vie*

L'univers de Gotène n'est pas pas un univers de la quotidiennité. C'est un univers qui tourne le dos au vraiment; c'est un univers fantatisque qui fuit la logique la logique du commun pour laisser libre cours à la fantaisie. La vie s'y développe à foison, pour se fixer en des formes étranges et inattendues. Une telle vision du monde a natuerellement des déterminations sur les procédés et les techniques d'un art où souffle un véritable vent de liberté.


Immense talent logé dans un tempérament de feu, avec cela une imagination, une peuissance et une vivacité extraordinaires de poète surréaliste. Quoi d'étonnant si, méprisant le recettes et réfutant les conventions de l'art de peindre, ayant mûri, Gotène fait éclater les cares des normes d'école. Gotène est un peintre atypique. Au centre de son art, la célébration de la vie sous toutes ses formes. Certes, par l'explosion des couleurs, le refus de la perspective, la simplification extrême des formes, et par le contraste travaillé des couleurs et des valeurs, il fait penser aux techniques et aux procédés de l'impression et de l'expressionnisme. Mais il n'est pas impressionniste, il n'est pas expressionniste. Le rapprochement qu'on pourrait faire entre la peinture de Gotèn et ces courants et ces écoles, relèverait ds convergences fortuites. Aucun rapport de filiation. Même si "Les femmes bleues" font penser aux danseuses bleues de Degas. Gotène a ses racines dans l'art nègre, dont cependant, il se garde d'être prisonnier. Gotène reste imprévisile. Roulé dans cette ironie et cet humour intarissable, il en amplifie la fantaisie, le lyrisme cosmisque et l'élan joyeux vers la vie, dont le spectacle changeant et divers le fascine et l'amuse. Avec insistance il en souligne le côté drôle.


Elle est du meilleur humour, cette grimace de singe coiffé d'un escargot à la tête impossible. Encombré d'objets de pacotille et avançant pesamment, Le vieux Vendeur est tout a fait cocasse avec sa tête de volatile bavard. Avec son étrange bonnet phrygien et sa pipe aux dimensions démesurées, le personnage du grand fumeur est burlesque dans sa gesticulation baroque.

Et justement ce qui caractérise la peinture de Gotène et qui l'arrache au ressessement des mêmes sujets et des mêmes thèmes, ce sont cette fantaisie inimitable et ce foisonnement de vie qui s'alimentent au bouillonnement des forces qui sont en lui. Forces gourmandes, sans cesse elles poussent le peintre à chercher à capter tous les messages de la nature. Ce qui donne des tableaux saisissants: Les feuilles qui nou parlent, Un étang sans poissons, Forêt d'eucalyptus, Feu de brousse, Une forêt verte, pour ne citer que ceux-là. Capter tous les messages de la nature, écouter les voix du monde pour dialoguer avec elles, fonction essentielles des grands poètes, de Lucrèce à Shakespeare, de Victor Hugo à Baudelaire, de Baudelaire à Mallarmé, de Mallarmé à Rimbaud. L'élan qui soulève la peinture de Gotène vient justement de son contact plénier avec les choses drues et concrètes de la vie. A la façon des symbolistes, il veut célébrer la nature et pour y arriver, il s'efforce d'en percer et d'en révéler l'aspect caché, le sens mystérieux.


Sous son regard les eucalyptus sont soudain doués d'une âme; alors, Gotène les drape dans la dignité altière des notables batékés. Sous son pinceau, les poissons cessent d'être de banals petits animaux juste fait pour satisfaire les besoins alimentaires de l'homme. Le poisson est créature vivante et belle à voir, et c'est l'unique fonction que, respectueux de la vie, le peintre lui assigne.


Dans leur étrange entrelacement, Les lianes grises chantent une complainte et nous ramènent à l'émouvante chanson grise de verlaine. Les êtres inanimésont ainsi une âme. Sous le regard de Gotène, le balai n'est plus ce vulgaire instrument de ménage : il parle aux vivants. Il est présence vivante.


Ce foisonnement de vie, cette vitalité de cosmos, Gotène use, pour l'exprimer, de bien des procédés. Les plus courants étant ces arabesques qui enveloppent et traversent les formes pour leur imprimer cette extraordinaire vivacité de mouvement. L'autre procédé le plus courant est cet entrecroisement dynamique des lignes et des couleurs d'où jaillissent parfois des formes inattendues: Les danseurs aux bracelets, Le couple rouge et beige, Les couleurs du lit, Les cinq rêveurs,... toute une fantasmagorie. Peinture vivante de Gotène qui arrache à l'inexistance, pour leur faire prendre part au chant et à la danse du monde, les objets inanimés mêmes. Et parce qu'il ne conçoit pas autrement la structure de l'univers que sous sous l'image du tournoiement perpétuel et de la valse des éléments qui le constituent, Gotène revient constamment sur le thème de la danse, parce que, par le sortilège de la musique, la danse instaure entre individus qui y entrent un lien d'intimité communielle. la danse est, pour Gotène qui y revient de façon obsessionnelle, l'étincelle qui rallume la joie du monde. Et le monde de Gotène est un monde pris dans un irrésistible élan de joie.

*:Gotène, peintre congolais né en 1939, personnalité légendaire et incontournable à Brazzaville, a plus de 50 ans d'expérience en peinture, et derrière lui, un riche parcours international, de très nombreuses expositions, et de tout aussi nombreux prix (Grande Médaille de Vinci à Paris, …).

dimanche 19 juillet 2009

L'Afrique malade de ses dirigeants




S'interroger sur les problèmes actuels de l'Afrique nous renvoie souvent à ces maux trop bien connus pour l'avoir désorganisée, vidée et enfin soumise à un joug atroce. Ces maux il est vrai ont marqué ce pauvre continent à jamais, mais il est cependant de mauvaise foi de ne laisser peser nos malheurs présents que sur ces pages douloureuses de notre histoire.
Aujourd'hui que les choses ont pris une autre tournure, l'Afrique pilotée par ses propres fils était mal partie, mais les moyens d'arriver à bon port ou même seulement de se remettre sur le rail lui sont connus, rien ne l’empêche d'y accéder. Le Botswana et quelques autres pays dont on ne parle malheureusement pas beaucoup essaient tant bien que mal de les appliquer, et ça semble marcher jusqu'aujourd'hui. C'est preuve que la recette est assez simple, elle s'appelle la bonne gouvernance.

Est-elle simple avons-nous dit? Certains n'arrivent pas à les appliquer pourtant. Ce qui est paradoxal chez ces pays qui n'arrivent pas ou qui ne veulent pas les appliquer (qui sait?), c'est que ce sont des pays richement dotés en matières premières: des populations jeunes et dynamiques, des ressources naturelles abondantes, donc des ressources financières. Voila pourtant des ingrédients qui, sous la férule d'une administration sérieuse et rigoureuse, donnent un plat savoureux appelé développement. Il ne s'agit pas de se hisser aux standards de l'OCDE, mais d'apporter aux populations le minimum de bien être: de l'eau, de l'électricité, des services sociaux et les infrastructures leur permettant de se prendre en charge et attirant des investissements étrangers.

Ces pays, pour la plupart situés en Afrique centrale, ont des dirigeants qui ne sont pas animés de fierté et de piété pour leur pays, ce sont de bien mauvais princes. Ils manquent de noblesse. La pire des rotures ne se comporterait pas comme ils le font avec leurs populations. A les voir avec leur air sage et grave lors de sommets et rencontres entre chefs d'Etats, qui ne les connaitrait pas pourrait penser que cet air reflète leur souci permanent d’améliorer la condition et le sort de leurs populations. Que nenni! Ces princes sont notoires pour leur incurie, autrement comment pourraient-ils dormir paisiblement autour de tant de misère?

Au départ choisis, que dis-je, placés au pouvoir par leurs parrains occidentaux pour leur talents de cancres, car cancre faut être pour livrer son pays plus que ce qu'attendaient de vous vos parrains, (vous en êtes ainsi la risée, vous qui vous prenez pour leurs amis; ils ne pouvaient pas s'attendre à mieux en terme de suppôts, et je ne serais pas étonné que lors de rencontres entre chefs d'Etats occidentaux ou dans leurs cabinets lorsqu'il leur arrive d'aborder les questions africaines qu'ils se disent « ce sont des supers tarés ces potentats nègres ! »), ces mercenaires venus faire souffrir leurs peuples, se comportant tels des flibustiers ou des soldats d’une armée conquérante avide de viols et de razzias, n’ont plus besoin d’un quelconque soutien pour s’agripper au pouvoir, les relations internationales sans cesse changeantes prennent le cap du non interventionnisme. Les Africains usent désormais de l’arme constitutionnelle pour demeurer au pouvoir, et je ne pense qu’ils soient conseillés en cela par l’occident. La souveraineté des Etats africain étant respectée il ne demeure plus que les injonctions et discours de dirigeants étrangers, invoquant l’avènement d’une autre façon de conduire les affaires, de dirigeants plus responsables, capables de donner une vision et un idéal aux jeunesses de leurs pays. Des prêches dans le désert, le chien aboie, la caravane passe !

Dans un monde globalisé, où les mauvaises conditions de vie imposées à un peuple ont forcément des répercussions bien au-delà des frontières nationales, le phénomène de l’immigration avec son lot de drames, pour ne citer que cela, devrait inciter les pays « puissants » à plus de responsabilité, leur action au Zimbabwe par exemple souffre de son peu de sévérité. C’est d’actions menées dans le cadre des institutions internationales telles que les Nations Unies que devraient être prises des mesures coercitives contre ce que nous nommons le déni de bonne gouvernance. Devrait être sanctionnée cette façon d’infliger souffrance et misère à son peuple quand on sait que le pays a largement les moyens de subvenir à ses besoins primaires.

Pourquoi donc souhaiter diriger un pays si ce n’est pour apporter une pierre à son édification en tant que nation moderne et polissée ? Souhaite-t-on demeurer au pouvoir, car c’est souvent le cas, pour se révéler être des pachydermes à qui le moindre effort de réflexion et d’imagination donne la migraine ? Par paresse on ne gouverne plus, on se contente, tel un malpropre de voler le petit peuple au lieu de s’en prendre aux multinationales. Dépourvus de capacités d’abstraction, ils ont trouvé en l’Etat, dont ils comprennent très mal les principes, le moyen d’assouvir leurs instincts de bêtes sauvages. Quant aux capacités d’imagination, ce serait trop leur demander, on le sait, c’est du rêve de certains dirigeants que sont sortis les plus beaux édifices d’Orient et d’Occident. Nous on se contente de rêver de châteaux et de voitures de luxe payées avec l’or de notre peuple. Ce sont alors des monstres dont les rêves sont porteurs de destruction, de misère et de mort, et dans tous les domaines ! C’est dommage que Pinocchio ne soit qu’un conte de fée, on verrait beaucoup de nez s’allonger au cours de déclarations d’adhésion aux principes rationnels de gestion d’un Etat.

On reconnaît à ces piètres dirigeants une autorité, mais n’oublions pas que l’autorité, la vraie ne se décrète pas, elle vient des qualités de celui qui se veut se veut chef ; de l’ascendant que lui ont conféré sa distinction quant au savoir, aux qualités militaires, la noblesse de son attitude envers tout ce que la vie lui propose ; celui là est le primus inter pares des Romains. Une telle autorité est reconnue même par les adversaires tellement elle s’impose. La nôtre, du moins celle de nos chefs d’Etats est issue de la crainte inspirée par les armes, c’est de la coercition.

La question serait réglée si de tels comportements n’étaient constatés que chez cette classe d’hommes politique de mauvaise facture. On pourrait considérer qu’il s’agit d’un mauvais songe dont on se réveillera, mais la mauvaise pratique a eu le temps de s’infiltrer dans l’imaginaire de nos sociétés, elle devient référence normative, donc coutume. Il n’est pas rare d’entendre de jeunes congolais, centrafricains ou camerounais, lorsqu’ils se prennent à rêver de pouvoir, de se voir agir selon les mêmes codes que les roitelets actuels. Nombreux sont les jeunes gens qui ont intégré comme norme de comportement leur tentation à la facilité. Voyez donc ce que peut avoir comme résultat d’avoir trop longtemps des gens sans foi ni loi à la tête d’un pays. Ils portent le virus de la déliquescence. Si l’on ne prend conscience ce mode de gouvernement deviendra normal. Aux intellectuels donc de descendre dans l’arène et d’éclairer par leur lumières ce pauvre peuple engourdi et ahuri par tant de souffrances. De ceux-là aussi beaucoup de choses sont à déplorer, nous en reparlerons si Dieu nous prête vie(*).



Philippe Ngalla-Ngoie.


* Au sujet des intellectuels, lire l’article « Intellectuels vermoulus d’Afrique : la trahison des clercs » publié sur ce blog.

mardi 14 juillet 2009

Afrique centrale: la jeunesse dans les nasses des idéologies groupales.

Ce n’est pas seulement de ses matières premières que l’Afrique noire est riche. Elle ne l’est pas moins de ses hommes. Et comme le gros de ces hommes est constitué de jeunes, on peut bien dire que ce continent qui aujourd’hui barbote dans la misère, est promis à un bel avenir ; la jeunesse étant promesse de moisson et d’abondance. Un phénomène sociologique inquiétant vient cependant tempérer notre bel optimisme : en dehors du SIDA qui y fait des ravages plus qu’ailleurs dans le monde, et des guerres endémiques qui, si l’on n’y veille, peuvent avant trop longtemps contrarier le dynamisme de cette courbe démographique, on doit tenir compte d’une donnée peu rassurante : la jeunesse africaine, l’objet de tant de fantasmes (légitimes sans doute), est une jeunesse malheureusement que ses trop fortes attaches aux communautés de base (ou ethnies) antagonistes aliènent forcément, en l’amenant à s’y soumettre aveuglément. Cette jeunesse se trouve de ce fait affligée de myopie idéologique qui l’empêche de voir au-delà de l’horizon de l’espace étriqué du groupe d’appartenance qui a pour elle la douceur sécurisante du nid maternel idolâtré.

Jeunesse divisée donc et traversée de conflits ; l’exact reflet des divisions et des rapports heurtés qui affectent les multiples groupes ethniques auxquels elle appartient. Résultat ? Le processus de formation de la nation tarde à se mettre en route, quand nation signifie désir et volonté d’un vouloir vivre ensemble, par l’affaiblissement progressif du lien primaire des populations aux sociétés de base, à la faveur de l’apparition, dans les centres urbains, d’autres pôles d’identification collective des individus : l’école, les églises chrétiennes, les milieux professionnels, le sport de masse, l’armée. Il en avait résulté la formation d’un grand nombre d’organisations de masse : jeunesse socialiste, jeunesse catholique, jeunesse protestante, jeunesse étudiante, union des femmes révolutionnaires, bien d’autres encore qui s’emploient toutes à unifier ce qu’elles appellent « les forces vives de la nation », par le décloisonnement et le rapprochement de toutes les ethnies, à fondre à terme en une même âme collective, au moyen de la socialisation active des normes et des valeurs républicaines ; l’autorité de l’Etat devant être assise sur ces normes et ces valeurs.

Mais il est clair que ce sont là identités collectives secondaires, pas encore suffisamment affermies. Il leur manque la solidité structurelle que seul donne le temps long. En temps de paix, tout va bien ; ou pas trop mal. A l’observateur étranger les rapports entre les différentes composantes culturelles du pays apparaissent harmonieux, mais qu’éclate une crise sociale grave, très vite le souci de sécurité réveille le reflexe identitaire. A l’appel de l’instinct de groupe nos organisations de masse se débandent. Sa pression réajuste dans le sens des logiques de l’idéologie groupale, des positionnements politiques jusque là désirés et approuvés dans l’enthousiasme, maintenant perçus comme de véritables aberrations et reniés sans remords.
Il s’en trouve certes, qui résisteront à l’appel des sirènes du groupe d’appartenance, fidèles aux engagements pris ensemble. Mais combien peu nombreux ! Qui par ailleurs payent leur fidélité à un idéal par des vexations de toutes sortes. Leur entourage les accuse de traitrise.
La grande diversité d’origine culturelle de ses membres fragmente en une multiplicité de clans aux rivalités féroces la classe politique des pays africains. Pour des formations politiques à forte coloration ethnique, la jeunesse plus homogène des groupes d’appartenance est un vivier inépuisable dans lequel elles recrutent, sans difficulté, des troupes de militants convaincus et décidés.

La charge affective du lien culturel qui transforme une foule anonyme en une gigantesque parentèle est, dans la circonstance, un atout de premier ordre. Elle crée une ambiance qui établit entre le leader et sa base (dont le plus gros des adhérents est constitué de jeunes) une relation de type presque fusionnel. Ce qui explique que cette base obéît au doigt et à l’œil aux ordres du leader. A charge pour ce dernier de mettre toute son intelligence au service des intérêts de sa base, dont il renforce ce faisant le dangereux cloisonnement idéologique qui rétrécit le territoire national commun ramené aux limites familières des terres du groupe d’appartenance où la communauté de culture rassure.

Dans un tel contexte sociologique traversé par des peurs, réelles ou imaginaires et les égoïsmes de groupe, il n’est pas question pour des jeunesses cloisonnées, de songer à la nécessité et à l’urgence d’aller les unes au devant des autres pour former bloc ensemble contre des pratiques qui appauvrissent l’Afrique. Le salut de l’Afrique viendra de la prise de conscience par la jeunesse de tout le pays, du péril que sa fragmentation en groupes rivaux fait courir à l’ensemble de la communauté nationale.

Qu’on ne s’y trompe donc pas, ces jeunesses africaines qui grandissent sous le regard d’adultes, contre les apparences, façonnés à l’ancienne, conformément aux idéologies de leurs groupes d’appartenance, ces jeunesses donc adopteront peu ou prou les comportements sociaux des adultes. L’éducation reçue à l’école ou à l’église est trop sommaire et sur le plan pédagogique trop mal organisée pour ouvrir à la modernité qui est synonyme de triomphe de la raison critique, les jeunes qui la reçoivent, en gommant de leur esprit la part mauvaise du patrimoine spirituel légué par la vieille Afrique. Le martèlement du discours républicain est encore loin d’entamer la solidité du lien à la communauté de base. L’allégeance politique et citoyenne à l’Etat a de ce fait beaucoup de mal à se construire. Faute de culture démocratique qui serait le levier de ses choix politiques, étranger aux valeurs de la République trop abstraites pour lui, le leader politique africain reste l’homme d’un clan. Il en incarne les intérêts.

Vues ainsi fût-on de tempérament optimiste les perspectives de la jeunesse africaine sont bien sombres. Surtout que s’y ajoute la médiocrité de la classe politique qui produit des dirigeants irresponsables, sans imagination, ne pensant qu’à s’amuser, ne se donnant jamais le temps de réfléchir pour proposer un modèle d’ambition politique fondé sur la justice et l’équité plus le sens de l’esthétique et du beau dans lequel toutes les jeunesses se reconnaitraient. Dans la Grèce et la Rome Antiques quelle jeune ne rêvait d’être plus tard un Caton ou un Thémistocle, lui aussi ? Pour la jeunesse africaine Nelson Mandela devrait être au centre de ses rêves.

On le voit il s’agit pour la jeunesse africaine encore travaillée et divisée par la diversité de son ancrage culturel, de réveiller les trésors de générosité qui dorment en elle, de créer les conditions d’une prise de conscience des périls que court l’Afrique, faute d’une jeunesse vivante. S’efforcer de fondre toutes les jeunesses en une, autour d’un idéal commun. L’allégeance aveugle à la communauté de base devant être reconnue pour ce qu’elle est dans le contexte d’un Etat moderne : une abominable aliénation.

dimanche 28 juin 2009

Intellectuels vermoulus d'Afrique: la trahison des clercs

« Réservoir d’amour et de révolte » comme dit l’autre, les intellectuels sont de par leurs combats la conscience éclairée de leur temps. A la façon du taon ils viennent importuner par les sujets qu’ils soulèvent ; ils dénoncent ce qui ne va pas, touchent où ça fait le plus mal, porteurs d’un évangile de vérité que personne (surtout les puissants) ne veut entendre.
Les habitudes ont la peau dure dit-on, on ne les chasse pas facilement. Comme l’Evangile du Christ, celui des intellectuels a du mal à passer, mais à force de persévérance, petit à petit, leurs exhortations se font entendre et prennent place.
Ils sont la lanterne des peuples, dont ils sont une sorte de conscience d’avant-garde, et leur mission est de les sortir, comme disait Victor Hugo, de la torpeur ou le maintiennent le mensonge et la propagande, la peur, la lâcheté, la compromission, la facilité. Proches de tous les hommes par vocation, ils comprennent l’universalité de la condition humaine et entendent sans grand besoin de traduction les attentes de ces bonnes âmes populaires remplies d’altruisme et de générosité.

Amoureux du vrai du juste et du beau, passionément, ils ont été conduits, par leurs interrogations sur le monde et les actions des hommes, à lire ceux-là bien nombreux qui se sont illustrés à penser l’homme, fussent-ils philosophes, poètes, figures religieuses. La fréquentation de ces amoureux de la sagesse a fait d’eux des aristocrates de l’esprit. Cette caste de gens à vrai dire un peu dérangés, comme ailleurs à force d’abstraction, a ceci de supérieur qu’ils résistent mieux aux sirènes de l’avoir et du paraître. Ils se contentent de développer leur être. Vanité des vanités tout est vanité disait l'Ecclésiaste, ils le savent bien. Avantages matériels et monétaires, positions administratives et politiques, voluptés de la vie, tous ces petits diables ne sauraient les tenter.

Racontant une anecdote au sujet de Caton que les intellectuels considèrent comme un modèle de vertu et d'abnégation, Sénèque nous dit que ce dernier « ne lutta point contre des bêtes féroces, exercice digne d’un chasseur et d’un rustre ; il ne poursuivit point de monstres avec le fer et le feu, et ne vécut pas où l’on put croire qu’un homme portât le ciel sur ses épaules : déjà on avait secoué le joug de l’antique crédulité et le siècle était parvenu au plus haut degré de lumières. Caton fit la guerre à l’intrigue, ce monstre à mille formes, au désir illimité du pouvoir ; que le monde entier partagé entre trois hommes n’avait pu rassasier, aux vices d’une cité dégénérée et s’affaissant sur sa propre masse. »

Les intellectuels se consoleront des douleurs de l’exil, des emprisonnements arbitraires , et en reviendront encore plus critiques. « Je suis ce voltigeur, ce bretteur, ce mitrailleur des imbécilités d’autrui, cet indomptable qui ne recule, jamais, devant les risques d’aucun combat » disait Voltaire.

De tout temps tourment des dirigeants et autres puissants, sous certaines latitudes ils se battent désormais pour en devenir non seulement les amis, mais aussi les pantins. La volonté de plaire au pouvoir et à la pseudo-bourgeoisie, laquelle fait les renommées et dispense les honneurs, devient la norme. Quand bien même les principes pour lesquels ils se sont engagés et qu’autrefois on les vit défendre avec véhémence, sont menacés, bafoués, ignorés, piétinés, ils n’alertent plus à l’instar de Voltaire, Hugo, Zola et plus tard Sartre et Aron, Césaire, Mongo Beti, etc.
Les intellectuels africains sont devenus complaisants. Des morts au Darfour, des journalistes arrêtés, des actes de Xénophobie ? Il faut attendre la voix des radios internationales pour porter l’alerte et ainsi ameuter l’opinion. Le cas de Moussa Kaka par exemple ne date d’il y’a vingt ans. Il y'a plus de soixante ans Julien Benda auteur de "La trahison des clercs", regrettant lui aussi la dérive de ces gens libres par vocation, constatait que "les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison; que j'appelle les clercs, ont trahi leur fonction au profitau profit d'intérêts pratiques."

Chez nous tous ceux qui de par leur formation avaient vocation à porter le manteau de l’intellectuel, bon nombre d’entre eux du moins, n’ont pas rallié les rangs. Pusillanimes le combat les effraie, ils préfèrent les 4x4 de luxe, les bureaux climatisés et les alcôves des palais. Intégrer un ministère, diriger un cabinet, tel est leur rêve. Eclairer la jeunesse, matière première la plus importante pour tout pays ne paie pas. Pourquoi s’en contenter. Il est n’est pas aisé de résister aux tentations de l’argent et autres facilités. Nous croyions que les belles et grandes choses se conquéraient dans les difficultés. Balivernes !

Une fois de telles personnes dans la poche de princes régnant avec incurie, c’est le peuple qui se retrouve bâillonné, ses portes-parole ont perdu la voix, leur gorge est remplie de douceurs difficiles à cracher.
C’est pourtant dans ces sociétés en pleine décadence, à peine nées, qu’on devrait se faire un devoir de tous les instants de rappeler ou d’indiquer une meilleure façon de conduire les affaires. Avec leur sensibilité exacerbée les intellectuels sont plus violemment attirés par l’expression politique que leurs contemporains. Malheureusement, du prestige tiré de leur condition, ils ignorent la contrepartie : pousser par leur engagement et leur force de proposition leurs pays vers l’avant toujours.

Que font ils de ce feu dont ils sont en principe porteurs qui les pousse quelquefois jusqu’à se séparer d’amitiés au nom de la défense de leurs idéaux (Sartre et Aron, Erasme et ses amis réformistes en sont des exemples). Ici il s’est éteint ce feu, arrosé par la logique défaitiste du « Essala nini, makambo eza bongo », entendez, « qu’est ce que ça peut bien faire, c’est ainsi que vont les choses ». Sacrilège ! penser ainsi lorsque le peuple a faim, n’est pas soigné, les enfants ne sont plus éduqués! « Seigneur, ôte nous ces fléaux, pardonnes nous nos offenses si c’est de punition dont il s’agit » doit se dire le pauvre peuple depuis longtemps tourné vers l’au-delà pour soulager ses souffrances terrestres. Nos intellectuels sont des défroqués.


Philippe Ngalla-Ngoïe.

lundi 15 juin 2009

L'avenir démocratique de l'Afrique problématique à court et à moyen terme

L’espoir démocratique suscité au soir du retrait des forces coloniales s’était vite mué en frustrations amères. On peut évaluer celles-ci au regret du petit peuple des villages et des bidonvilles de feue la colonisation, pourtant encore bien présente à leur mémoire. « Quand, disent les pauvres gens, l’indépendance finira-t-elle? » C’est que, champions de l’arnaque et prédateurs sans vergogne, les régimes politiques qui prirent la relève de la colonisation, moins le désordre, héritèrent de celle-ci ses pratiques funestes de gestion économique.


Instaurés par de jeunes gens sans expérience politique et peu vertueux pour la plupart d’entre eux, le socialisme et le marxisme ajoutèrent au désordre de l’ethnocentrisme libéré par le départ du colonisateur. Refusant de faire le jeu d’une seule ethnie de celles qui composaient le territoire de la colonie, celui-ci en avait, en effet, neutralisé le venin en les muselant toutes. Incapables d’élaborer un projet de société sensé pour leur Etat pluriethnique et de s’y tenir, les hommes politiques africains venus des ethnies ont le génie funeste de l’organisation du désordre comme moyen de gestion des affaires. La démocratie c’est quand même l’espace social de la réflexion permanente pour trouver le meilleur moyen pour un vivre ensemble le moins heurté possible, sans pour autant museler les libertés.


Au lendemain du discours fameux de La Baule, un vent de démocratisation parcourut l’Afrique entière, soutenu par la promesse du Président de la république française d’accompagner financièrement les efforts des pays qui accepteraient d’instaurer des régimes démocratiques. Les élans des commencements retombèrent bien vite. Les politiciens africains firent en effet vite l’expérience que, pratiquée à la lettre la démocratie n’était pas rentable pour eux. Ils avaient envie de durer au pouvoir, pour la vie si besoin ; ce que n’autorise pas le jeu démocratique sauf si des qualités exceptionnelles du détenteur légitime du pouvoir l’imposent au choix de ses concitoyens. Comme Périclès dans l’Athènes du Ve siècle. Or de tels hommes aux qualités et aux mérites exceptionnels ne sont pas apparus. Mandela est passé comme un météore. Seulement des hommes dotés d’un appétit exceptionnel du pouvoir et doués pour la manipulation. C’est un bien piètre génie, et malfaisant.


Le retour au parti unique faisant ringard et appelant bientôt la réprobation de l’Occident qui a gardé un œil sur l’Afrique, il fallait jouer le jeu tout en se moquant pas mal de la démocratie. C’est ainsi que sous le label démocratique, sont apparus des régimes à la vérité dictatoriaux où la peur et l’intimidation sont les grands moyens de la gestion des affaires. Intimidation d’une opposition qui n’existe que pour le principe, et dont, de toute façon, les consciences sont achetées. Mais existe-t-il une saine démocratie vénale ? Rétrécissement croissant de l’espace public d’expression où en démocratie en principe le citoyen se façonne et se libère, bref, revendique et conquiert ses droits.Peut-on parler de démocratie là où sans mandat du peuple souverain, des groupes s’octroient des droits qui les placent au dessus du peuple souverain moqué et floué ?


Dans les démocraties africaines le groupe culturel d’appartenance du détenteur du pouvoir, et bien entendu sa famille biologique apparaissent comme les dépositaires légitimes du pouvoir du peuple dont ils se réclament sans vergogne. Ils se croient habilités à parler en son nom, et bien entendu, en réclament tous les privilèges. Les démocraties africaines sont des démocraties ethniques. La différence les effarouche. Elles rêvent d’une homogénéité de l’espace politique qui se ferait sous la forme de l’identité ethnique. C’est pourquoi le détenteur du pouvoir a pour assise de ce pouvoir le groupe culturel auquel il appartient. Il l’instrumentalise pour son maintien au pouvoir. Et comme il a peur du vote du peuple, il dresse son groupe d’appartenance contre ce peuple constitué par les autres groupes, qui du coup deviennent ses adversaires politiques, presque ses ennemis. Voila pourquoi il convainc son groupe d’appartenance de l’hostilité de ces autres groupes, qu’il lui montre en permanence complotant contre lui. Le chef d’état africain est un partisan ethnocentriste qui gouverne et se maintient au pouvoir par le spectre de la guerre civile qu’il agite en permanence. L’horreur de la guerre dans les pays où elle a pu avoir lieu, rend alors les populations dociles et les dispose peu à revendiquer leurs droits bafoués.


Des progrès de la démocratie en Afrique sont impossibles ou du moins difficiles, si on ne tient compte d’un paramètre : la complexité culturelle des Etats africains. Impossible ou du moins difficile de parvenir à leur harmonisation si on ne trouve des mécanismes de régulation de leur différences, source permanente de conflits. Impossible si des valeurs et idéaux communs ne sont trouvés et des institutions librement mises en place. Impossible si aucune autorité politique ou morale, morale et politique ne veille à leur respect. Impossible tant qu’il existera des gens ou des groupes de gens qui ne se sentent pas concernés par la loi que le peuple souverain s’est donnée. Impossible enfin aussi longtemps que les politiques africains n’auront pas, un minimum le sens de l’Etat souverain qu’ils confondent avec leur patrimoine personnel. Mais la démocratie est un processus, une éthique de la liberté et du comment vivre ensemble. Seule une saine éducation la promet et la promeut.


Dominique Ngoïe-Ngalla, Philippe Ngalla-Ngoïe.

samedi 6 juin 2009

Mes amis les livres

Personne pour partager mon monde, personne pour partager ma passion pour la vérité, l’authenticité et l'essentiel. Mes amis sont les livres ; ils me présentent à des personnes qui aspirent aux valeurs cardinales que sont l'amitié (selon la conception des classiques) et la fraternité. Les livres sont des amis précieux, ils m'ont fait connaitre les belles lettres qui, selon le docte Jérôme Coignard, lui même l'ayant emprunté au poète Théocrite, sont « l'honneur de l’homme, la consolation de la vie et le remède à tous les maux, même à ceux de l'amour » (Anatole France, La rôtisserie de la reine Pédauque).

Loué soit le ciel pour l'inspiration qu'il donna à Gutenberg, lorsque que ce dernier inventa les procédés d'imprimerie. Ami des livres d'après le témoignage qu'il fait de son commerce eux, pour Eric Poindron "les livres ont encore ceci d'utile et de rare: ils nous lient d'emblée avec les plus honnêtes gens; ils sont la conversation des esprits les plus distingués, l'ambition ds âmes candides, le rêve ingénu des philosophes dans toutes les parties du monde; parfois même ils donnent la renommée, une renommée impérissable, à des hommes qui seraient parfaitement inconnus sans leur livres."
Grace aux livres en effet, j'échappais partiellement à ce monde moderne absurde, pusillanime et voué à l'ennui, pour rencontrer des esprits universels et des résistants éternels: Erasme de Rotterdam, Montaigne, Rabelais, Aimé Césaire, Mongo Beti et le démiurge Platon entre autres.


Résultat de processus historiques intellectuels et sociaux, notre survie dépend donc de la connaissance de notre antériorité. Mieux que l'oralité des plus brillants griots, que le savoir des professeurs les plus érudits, les livres -surtout les plus fins qui, contrairement aux "in folio" épais en volume, regorgent d'un condensé de science insoupçonné-, nous aident à saisir, quand bien même de façon approximative, ce qui n'est devenu que fumée ou vague souvenir pour certains. Les sociétés du savoir livresque, c'est à dire diffusé, non pas occulte et secret, ne sont elles pas celles dont l'esprit a le plus perduré malgré la corruption des siècles?

Tant peu nombreux autour de moi sont ceux qui partagent mon appétit (de lecture), ma sensibilité aux petites choses et mon idéal intellectuel du vrai et du beau, je vais chercher cette amitié si bien décrite par Cicéron dans les livres. Ils ne partagent ni n'échangent à la manière des hommes, mais leur compagnie est bénéfique en ce qu'elle nourrit forcément qui les fréquente et leur ouvre des horizons insoupçonnés. Enfant je voyageais autour du monde avec Phileas Fogg, partageais les malheurs de Sophie et me retrouvais dans la bonté de la douce Camille des "Bons enfants" de la Comtesse de Ségur. Je découvris également dans "La Diaspora noire" Pouchkine, Toussaint Louverture, Martin Luther king, Marcus Garvey et bien d'autres. Adolescent je visitais Paris avec Anatole France, Hugo et Zola; Dickens, quant à lui, me fit imaginer les brumes et la pègre de Londres; la misère des Noirs en Afrique du Sud me fut contée par Alex Laguma dans "Nuit d'errance". Je ne compris presque pas l'ironie et la critique voltairiennes. Il fallut maintes péripéties à mon esprit alors en gestation pour naitre à cette philosophie, à bien d'autres aussi sans doute.

Il faudrait bien reconnaître qu'on ne devient pas ami de tout le monde, l'amitié naît de cette sorte d'affinité élective, cette sorte de communauté de vues qui nous lie d'emblée avec ceux qui deviennent nos compagnons. Reconnaissons donc à la différence des Anciens, pour qui l'amitié ne peut exister que chez "les hommes de bien", que l'amitié n'est pas seulement attirance par la vertu. Le quotidien, l'histoire et la littérature nous offrent de nombreux exemples d'amitié dans le vice et le crime; le genre de dévouement qu'on y trouve exalte également qui postule à la fidélité et au respect de ses engagements.
C'est ainsi que, revenant à nos amis les livres, il se trouvera des personnes qui, en fonction de leur être, apprécieront des livres jugés détestables par d'autres.

Pour ma part, la plus grande leçon apprise auprès de ces bons petits amis à deux sous, fussent-ils littérature, philosophie, biographies, sciences humaines, c'est que "le rapport liant tous les hommes est celui que dicte l'égalité de la nature, que n'entament pas les contingences de l'histoire et de la vie: comme être réduit en esclavage, être riche ou pauvre, beau ou laid ou infirme, etc. La part divine qui brille en chaque homme est la même chez tous" (Dominique Ngoie-Ngalla).


Philippe Ngalla-Ngoie

mercredi 3 juin 2009

«S’évangéliser soi-même avant d’évangéliser autrui» ou la leçon des Eglises de maison en Chine

Ils font penser aux témoinsde Jéhovah, à la différence que ces chrétiens chinois sont restés dans la tradition romaine. Les Chinois, nous le savons, avaient, depuis leur révolution, fait de l’athéisme une manière de religion d’Etat. Toutes pratiques religieuses sont interdites. Le christianisme surtout qui, aux yeux de l’État chinois, véhicule un bien sulfureux, germe subversif. Par la voix diplomatique, l’Eglise tente, mais en vain, de trouver, avec l’État chinois, une solution de compromis à une situation insoutenable pour des milliers de chrétiens qui n’avaient jamais abjuré leur foi.
Situation terrible, dramatique: persécution, emprisonnement, torture. Mais, rien n’y fait. Plus on les maltraite, plus la foi de ces Chinois grandit. Ils ne se terrent même pas dans des catacombes. Sourds à la peur, ils se rassemblent en petits groupes et, arrive que pourra, ils annoncent le royaume de Dieu. Jetés en prison, puis libérés au bout de plusieurs années, parfois, ils recommencent à la sortie, ivres, plus que jamais, du Dieu de Jésus-Christ; ivres de l’évangile, parce qu’ils s’en nourrissent, ayant compris que l’Evangile est vie.
Où irons-nous, Seigneur, car vous avez la parole de la vie éternelle. Sur ce point, sur ce point de la nourriture spirituelle qui est l’Évangile, nos frères musulmans nous dament le pion. Leur piété, qui peut nous paraître mécanique, a, en fait, pour support, une solide connaissance du Coran, que tout petits déjà, on leur apprend à aimer et à respecter, verset par verset. Tout le monde se souvient des fureurs de maître Thierno, lorsque, récitant sa leçon, Sambala Dialo, son jeune élève, se trompait d’un seul petit verset. La connaissance méditée des textes sacrés est une force. Celle qui fait les martyrs; parce qu’elle nous fait mépriser les périls, parce qu’elle nous fait triompher de la peur. L’Evangile méditée est joie. Je me souviens de l’intense jubilation qu’éprouvait ce directeur du séminaire Libermann, lorsqu’il lisait l’Evangile. La joie est partagée dans l’amour. Pensez au comportement peu sage, à nos yeux, de cette femme de l’Evangile. Elle est pauvre, pour tout avoir, un petit sou. Et voilà que ce petit sou, elle le perd, elle ne sait comment. Affolée par cette perte inestimable, elle s’emploie à le retrouver. Elle fouille, fouille, encore et encore, tous les recoins de sa maison. Et lorsqu’en fin, elle retrouve la petite pièce, elle ne cherche nullement à la mettre en lieu sûr. Une joie débordante l’envahit qui lui fait oublier la plus petite règle de prudence économique. Le réflexe de l’épargne. Elle ne peut se contenir. Il faut qu’elle partage. Alors, elle se précipite dehors, appelle les voisines, achète ce qu’il faut, autant que le lui permet la précieuse petite pièce. Elle donne une fête. Elle ne recule pas devant la dépense.
Les Babeembe du Congo-Brazzaville disent: «kiminu ti munzo kukuk’pe». L’évangile, à l’image du sou de cette femme, est un trésor inestimable. Il donne tant de joie à celui qui l’a trouvé qu’il ne peut le garder pour lui. Le problème, pour nous, c’est, comment dans ce siècle agité et où les progrès vertigineux de la science viennent corser l’énigme de la destinée humaine et affectent la qualité de notre foi.
Le problème donc, c’est: comment faire pour s’évangéliser, trouver le temps pour s’évangéliser soi-même, afin de rester ou devenir cette source pure de joie spirituelle qui rayonne alentour et entretient le feu de l’espérance? Comment faire pour rester ou devenir ces enfants droits et sans malice du dimanche de quasi modo: «Quasimo geniti enfantes rationabiles sine dolo lac concupiscite». Pour sûr, les temps sont difficiles, la crise sociale et spirituelle permanente. Nous pouvons, alors, nous féliciter, anciennes et anciens, d’avoir passé de longues années dans ces maisons de formation, au temps maintenant lointain où ces établissements étaient encore capables de donner aux adolescents, aux jeunes filles et jeunes gens que nous étions, cette formation de l’intelligence et de la sensibilité qui prépare à l’accueil de l’Evangile. De sorte que l’association que nous formons est, aujourd’hui, la concrétisation de notre besoin de partage de l’Evangile dont nous avons été nourris au séminaire et au juvénat et pas seulement le lieu où, ensemble, on est heureux d’évoquer des souvenirs partagés du bon vieux temps.
Certes, il s’en faut de beaucoup que nous soyons des Saints, du moins pas tous. Mais, assurément, (je me plais à y croire); mais assurément, nous sommes loin d’être de mauvais bougres et de méchants garnements dans notre vie sociale et notre relation à Dieu. L’offensant sans cesse, nous lui faisons toujours promesse de mieux l’aimer, de mieux le servir. Et cela, grâce aux provisions de l’Evangile que nous avions faites au juvénat et au séminaire. Nous ne sommes pas des Saints, c’est-à-dire des gens dont la conduite est constamment conforme aux préceptes évangéliques. Et cependant, grâce à l’Evangile auquel ils reviennent toujours, malgré leurs faiblesses terribles et leurs poids de pierre, il existe, parmi nous, des frères et des soeurs, par leur vie pieuse, bien au dessus de bien des pasteurs de nos paroisses affligés d’anémie spirituelle sévère. Et qui doivent être, de ce fait, une préoccupation, un souci permanent de notre association qui ne doit pas se limiter, j’y reviens, à n’être qu’un espace de convivialité heureuse.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.