dimanche 12 août 2012

La liberté pour quoi faire quand les congolais ont la passion de l'esclavage

Mal aimés, mal gouvernés, et par-dessus le marché volés par des dirigeants dont en principe, on ne le répétera jamais assez, le devoir est de concourir, grâce au souci qu’ils devraient avoir de l’intérêt général, au bien être et à la dignité des populations, les congolais en principe souverains, sont des véritables sujets, soumis aux caprices de leur prince. Ce dernier est en effet le seul souverain, ni comptable ni responsable de rien, il est la loi sinon Dieu lui-même. Sans ergoter donc et sans convoquer ici tous ceux qui ont analysé et qualifié les différents régimes politiques,, il est difficile d’affirmer que le Congo est une république, malgré l’habillage républicain dont on pare ses institutions, dont l’existence n’a de concret que les murs qui les abritent. En effet ces dernières ne sont pas incarnées tant les personnes qu’on y voit tenir des sièges sont elles mêmes creuses et inanimées, sans âme. Ces institutions ne sont pas un membre de la souveraineté telle que conçue par Rousseau, mais des leurres qui servent à donner une image plus douce d’un méchant pouvoir absolu.


Ce souverain seul maître à bord affiche un tel mépris pour le peuple dont il devrait avoir la charge que, malgré des conditions qui qualifient d’office leur pays au progrès économique, social, et culturel, ce dernier recule de plusieurs décennies pour s’enfoncer dans un paradoxe peu compréhensible : un pays riche en ressources financières mais où la pauvreté ne fait que s’accroitre à mesure que le règne de Sa Fainéante Majesté se prolonge. Malgré la forte croissance de leur économie, la majorité des congolais n’a rien a envier aux habitants des pays les mieux classés en termes de pauvreté selon les critères de l’Indice du développement humain. Il faut, pour échouer ainsi, soit être épouvantablement détourné des problèmes de la cité – dans quel cas on n’a pas vocation à gouverner – soit être complètement incompétent et incapable, même en faisant preuve du rudimentaire bon sens, de suivre l’avis des brillants conseillers qui ont pour la plupart pas moins qu’un diplôme de troisième cycle universitaire, soit être un inquiétant mélange des deux. Alors on est un monstre. Et un peuple bien constitué ne peut se coltiner longtemps un tel spécimen, sans courir le risque de foncer assurément à sa ruine.


Les congolais sont aussi bien constitués que les autres, il n’a y a pas de doute. Mais les congolais sont politiquement hors jeu et ont depuis longtemps perdu tout sens de la lutte. Ce sont des esclaves qui ruminent leur ressentiment face aux mauvais traitements qu’ils subissent d’une classe politique égoïste et impropre à administrer correctement un état. C’en serait autrement, que leur ardeur échauffée par tant de volonté à les rendre misérables les aurait conduit, selon l’opportunité, soit à manifester avec fracas, soit à constituer une véritable force de contestation sur laquelle l’exécutif ne pourrait faire impasse. En effet, il faut reconnaître avec Stéphan Zweig, écrivant au sujet de Calvin, que « le nombre des adversaires d’une dictature importe peu, aussi longtemps qu’ils ne se réunissent pas pour agir selon un plan commun et au sein d’une organisation commune. C’est pourquoi il s’écoule toujours toujours un temps très long entre le moment où l’autorité d’un dictateur subit son premier ébranlement et celuide sa chute définitive».


L’histoire politique de ce pays, explique sans doute l’engourdissement des congolais dont les préoccupations politiques ne restent que théoriques. On remarque assez vite que les congolais portent un vif intérêt pour la politique, mais à la vérité chez eux, la connaissance des acteurs politiques et les commérages sur les moindres détails de leur vie privée tiennent lieu d’analyse politique. Très peu de place donc pour la stratégie et par conséquent pour la tactique. Très vite après les indépendances, surgit une classe politique peu compatible avec les exigences de la gestion de la cité propre à des états neufs ou tout était à bâtir : les hommes, les infrastructures, les institutions politiques, culturelles, et le bien-être social par lesquels on mesure plus ou moins le degré d’avancement d’un pays. Ces hommes dépourvus du sens de l’état, soit par l’insuffisance de leur éducation, soit par leur épaisseur, ont très vite confondu gestion de l’état avec intérêt groupal, puis personnel, ne se sont pas comportés comme on aurait pu l’attendre d’une élite. De l’élite ils n’avaient que les fonctions mais pas l’attitude. Des pirates, des voleurs, des comploteurs, des noceurs ! Attirés par le clinquant et les facilités que procure l’argent aux personnalités faibles et facilement impressionnables, ces petits hommes sont devenus les esclaves des vices auxquels il expose quand on en fait un maître. Dans cette société peu cloisonnée où se côtoient facilement les personnes de conditions opposées, la mollesse, l’attrait pour les facilités de toutes sortes, l’intrigue, la trahison et tous leurs compères, comme la vertu trouvant refuge en tout homme, mais ayant particulièrement proliféré chez ces hommes de peu, ont irrigué le reste de la société. La masse on le sait, par une sorte de mimétisme social, s’identifie beaucoup à l’élite, elle constitue pour cette dernière une sorte de phare. Ses manières, ses pratiques, ses goûts en général sont copiés, quoique avec un certain décalage, par le peuple. Imaginez donc les dégâts qu’ont pu provoquer plus de quarante ans d’imitation d’une élite qui incarne des valeurs sociales négatives.


Ainsi ont fini par disparaitre le respect sans lequel aucune norme ne résiste, le courage sans lequel la dignité, la fermeté de la volonté et la capacité à affirmer désaccord et mécontentement ne sont possibles. Un peuple qui ne connait pas le courage - politique bien entendu -, si ce n’est celui de s’entretuer mutuellement par la faute des intrigues de politiques incapables de supporter l’alternance nécessaire à toute société qui se veut dynamique, peut-il contester clairement les mauvais traitements, les brimades et les privations qu’il subit? Non, trop pusillanimes, les congolais, abonnés aux vils plaisirs de la bière et du sexe et manquant de leader capable de leur expliquer les enjeux politiques et la nécessité de la contestation de l’ordre actuel, se complaisent dans leur situation et laissent au sort le soin de les sortir de la mauvaise passe dans laquelle ils se trouvent. Pas une grève n’a secoué les institutions, pas une marche n’a entrainé une mesure positive ou la démission d’un ministre, pas un acte de désobéissance civile n’a servi de moyen de revendication pour un ordre social et politique meilleur.


Ce qui est encore plus triste, c’est que atteint de la maladie de leurs dirigeants, la pire des choses qui puisse arriver dans une société qu’on a réussi à déstructurer, dans laquelle les valeurs sont inversées, les idéaux bas et triviaux, les congolais, un bon nombre d’entre eux, parmi lesquels des intellectuels et des hommes d’Eglise, rêvent de faire comme les hommes du pouvoir, donc de veiller à leur intérêt personnel. N’ayant rien dans le cœur de sorte que toute empathie et toute capacité au rêve collectif sont éteintes, ratatinés par le poids de tant de bêtise, le peuple congolais, comme étourdi, ne sait plus faire entendre la voix dissonante qui dise « assez » au mauvais ordre qui règne. Amollis par la bière, jetés en pâture aux petits plaisirs et à une musique impropre à réveiller l’ardeur populaire, n’ayant aucune noblesse, ces mollassons supportent l’injure et le mépris, même quand ils sont exagérés. Tandis qu’ils crèvent la faim et sont mal soignés, les nantis, tous ou presque tous issus de la médiocre classe politique congolaise, vivent dans un grossier excès et se font soigner en Occident, où ils dépensent la fortune des pauvres congolais en objets de luxe. Les sénégalais n’ont pas tous lu La Boëtie, mais leur activisme contre les frasques de Wade, contre les coupures d’électricité est la preuve qu’ils n’acceptent pas la servitude que les congolais subissent volontairement. Ils ne sont pas du 16e siècle ces Sénégalais-là, ce sont nos contemporains. La lutte exemplaire des Sud-africains contre un régime mille fois plus féroce que celui du Congo et l’organisation politique qu’ils avaient mise en place ne peut-elle inspirer ces pauvres diables ?


Or qu’est-ce qu’une telle passivité sinon, lâchement renoncer à sa liberté. La liberté parce elle seule permet de se doter des dirigeants qui nous conviennent à qui, à travers ce choix, est confiée la direction du pays. Subir un dirigeant, plus que de la dictature est un honteux renoncement à son humanité quand les moyens ne manquent pas pour améliorer le cours des choses. Ne pas affronter une dictature, même par des moyens pacifiques, c’est ne point aimer la liberté « Renoncer à sa liberté, disait Rousseau, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatibleà la nature de l’homme et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté ».


Seulement, la liberté elle-même ne se gagne pas sans certaines conditions, elle n’est pas des choses qui se donnent, elle est le fruit d’un quête, d’une quête qui commence au niveau de l’individu. C’est à la masse des hommes libres que la liberté,lorsqu’elle n’est plus, manque le plus. C’est eux qui commencent à s’indigner. La liberté est d’essence spirituelle et morale. Elle tient à une capacité au détachement qu’on ne supporte que grâce à un entrainement spirituel et à des spéculations intellectuelles sur la condition humaine. Elle suppose d’avoir tâté, ne fut-ce que par la pensée les notions de courage, d’honnêteté, de devoir, d’engagement, de sacrifice et de renoncement. Car la liberté simplement conçue comme le fait de n’être point dans des fers et la possibilité d’aller et de venir rend bien supportables des servitudes plus pernicieuses, dont tout le monde se débarrasserait volontiers pour peu qu’on en ait conscience. Etre encagé, n’enferme que le corps et laisse toute liberté à l’esprit, si fin lorsqu’il est bien entrainé que des barreaux et des portes cadenacées ne peuvent l’empêcher de filer ou bon lui semble et de jouir de tous les bonheurs que savent lui apporter les voluptés qui lui sont propres. Or est véritablement enfermé celui qui n’arrive pas à se libérer de ses passions et des ses mauvais penchants; n’en est il pas l’esclave ? Un tel homme pourrait-il se dire libre ? Une personne qui ne se donne pas la peine de raisonner et qui s’adonne telle une bête à ses instincts est-elle maitre de sa libre volonté ? Une telle personne n’est maître de rien, elle se laisse guider par sa nature d’animal et non par la digne raison qui caractérise les humains. C’est par la raison que les sociétés ont été érigées et par elle qu’elles sont régies.




CUNCTATOR.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.