samedi 24 décembre 2011

C'est quoi, au juste, qui retarde l'entrée de l'Afrique noire en modernité?

Les pyramides de l’Egypte sont, affirment des historiens, œuvre de Noirs africains. Il faut alors croire que des dieux jaloux de tant d’audace technologique ne le leur pardonnèrent pas, puisque ces mêmes Noirs africains ne surent plus rien faire par la suite, qui rappelât l’existence, en eux, de cette merveilleuse intelligence qui les avait conduits à de si étonnantes réalisations. Pour toujours, les pyramides d’Egypte porteront la marque d’un génie exceptionnel. A moins de penser qu’une mutation brusque (dans le mauvais sens de l’histoire) du groupe humain auquel appartiennent les Noirs, un matin renvoya les démiurges au néolithique où l’espèce humaine tout entière avait, tout de même, bien qu’ayant progressé, végété encore pendant des millénaires.

Le néolithique! Univers ténébreux, au propre et au figuré. Avec ses peurs et ses terribles angoisses. Une société fermée à l’espérance. Univers de la suspicion et du soupçon, il traque le talent, étouffe et musèle les libertés. Après leurs prouesses égyptiennes trois et quatre fois mémorables, les Noirs africains s’en retournèrent barboter dans les ténèbres du néolithique. Ignorants, sots et grossiers comme à l’origine du monde dont, les premiers pourtant de la race humaine à en croire les savants, ils émergèrent un soir ou un matin.Les y voilà à nouveau, ne sachant plus comment faire pour retrouver l’éclair de génie qu’ils eurent du temps où ils créèrent la gloire de l’Egypte. Mais, on peut douter que ce soient des Noirs de l’Afrique subsaharienne. Des historiens généreux, mais à l’évidence un peu pressés, ont depuis identifié les causes de notre immense infortune. Non sans raison, ils ne la font pas remonter, comme ces mauvais chrétiens blancs, à l’inconscience de notre ancêtre, Cham, coupable, dit-on, d’irrévérence envers son père et, à cause de son imprudence, frappé de malédiction. Ces mêmes chrétiens blancs, soutiennent que la malédiction de l’irrévérencieux ancêtre fut étendue à sa descendance tout entière!

Il s’était passé autre chose bien avantNos historiens, non à tort, classent ces allégations dans les délires de la fiction mythologique, à des fins de justification de conduites des Blancs humainement inacceptables envers les Noirs. Ils préfèrent voir dans l’étrange destin de l’Afrique noire, la conséquence funeste d’une série d’événements dramatiques qui, pendant de longues générations et des siècles, affligèrent le continent noir: l’horrible et effrayante traite des Noirs, et la colonisation qui en fut l’épilogue sanglant.Mais, sans sous-estimer l’ampleur et la profondeur de l’impact psychologique de ces deux faits de l’Histoire de l’Afrique sur les sociétés africaines, l’enquête poussée plus loin révèle qu’il s’était passé autre chose bien avant et dont, pour n’avoir pas fait beaucoup de bruit et traumatisé les consciences des populations affolées comme le firent la traite des Noirs et la colonisation, les conséquences sur le destin de l’Afrique n’allaient pas être moins lourdes.

Plus lourdes même, si on pense que la cause première de l’immobilisme de l’Afrique, la colonisation et la traite des Noirs qui sont sa conséquence lointaine, indirecte n’auraient probablement jamais eu lieu, sans ce funeste enclavement de l’Afrique. C’est de cela, en effet, qu’il s’agit. Une Afrique noire décloisonnée et en contact régulier avec le reste du monde aurait pu, peut-être bien, développer une autre Histoire; une Histoire moins sombre, aux horizons moins problématiques et chargés de plus d’espérance. Et pourtant, dans les mêmes situations d’isolement, quittes à se communiquer entre eux les connaissances de chacun, les Mayas, les Aztèques et les Incas, sans intervention extérieure, réussirent à bâtir une civilisation brillante, quoique assombrie par la pratique joyeuse des sacrifices humains à d’horribles et insatiables divinités. C’est donc qu’ici aussi comme dans d’autres grandes civilisations l’invention et l’usage de l’écriture furent décisifs.

L’écriture est inséparable des progrès de l’esprit humain. En immobilisant le langage articulé, fugitif par essence, l’écriture immobilise la pensée. Celle-ci devient ainsi, dans le temps et l’espace, disponible pour qui veut l’interroger. Le progrès scientifique repose sur le principe du retour critique, de la pensée sur elle-même. Sur l’éternel questionnement de l’acquis. Mais comment, si cet acquis n’est fixé, immobilisé dans ce support matériel qu’est l’écriture?L’écriture a, de la sorte, un versant subversif et révolutionnaire. Grâce à l’écriture, une trop forte érosion de la pensée désormais fixée, immobilisée, devient impossible. En écrivant, l’homme sauve la société de la stagnation et de la répétition stérile du même.Aujourd’hui, l’Occident en tête, toutes les régions de l’humanité en procès de développement rapide sont celles où l’écriture figure en bonne place dans le patrimoine culturel des populations. Or, sauf en sa corne où le contact avec l’Orient mésopotamien, et l’invention d’une écriture authentique propulse l’Ethiopie dans la modernité des civilisations méditerranéennes d’alors, coupée des grandes civilisations de l’époque et, plus grave, privée d’écriture, l’Afrique noire végéta, plongée dans les ténèbres des civilisations et des cultures éternellement balbutiantes.

L’esclavagisme arabe et la traite des Noirs, plus tard, la surprennent dans cet état et l’enfoncent encore plus dans les abîmes de la sous-humanité. La colonisation, trop cupide, en dépit de ses bonnes intensions, ne la relèvera pas. Mais, dans son acception actuelle, c’est quoi la modernité et à quels signes la reconnaître? A l’usage systématique de la raison critique qui, au fil des générations et des siècles, sculpte une tradition qui balise la marche des sociétés humaines à chaque pas libérées des peurs paralysantes. En Occident, la pratique se systématise avec les présocratiques (VIè - V siècles avant notre ère) Socrate par Platon et Aristote le disciple de Platon donnant naissance à la philosophie, forme de la culture qui fournit à l’esprit qui s’y adonne, les moyens d’une réflexion systématique sur tous les problèmes de son temps et de sa société. La réflexion philosophique devient, à partir des socratiques, et de Socrate lui-même, un levier du progrès de l’esprit et du développement. Parce qu’elle décloisonne la société, libère l’individu qui, de ce fait, devient un acteur actif du développement. Or, la philosophie ainsi définie est fille de l’irrévérence. Poussé par la soif de connaissance vraie, et conscient de sa dignité, l’homme désormais soumet toute chose à un questionnement systématique, n’épargnant pas même le sacré. Le bonheur du philosophe et de l’homme qui sait est dans la quête de la connaissance vraie: «Felix qui poduit rerum cognoscere causas!». Sur le plan de la pensée politique, de telles exigences de l’esprit humain débouchent sur la naissance de la démocratie. Il n’est, donc, pas étonnant que celle-ci soit née à Athènes, la capitale de la philosophie et de la pensée libérée.

L’immobilisme, la grande caractéristique des sociétés africainesA l’opposé de l’Occident intellectuellement décloisonné à force de raison critique et de pensée philosophique, impossible à imaginer, sans l’écriture, l’Afrique analphabète et cloisonnée ne peut faire une lecture rationnelle du monde et de l’univers. Elle se contente de connaissances approximatives et empiriques où le mythe le dispute à la fable et à la légende. Les conséquences sur l’évolution historique et sociale d’une telle posture de l’esprit sont terribles. On a, là, l’explication à l’immobilisme qui est la grande caractéristique des sociétés africaines paralysées par une sorte d’horreur de l’invention. Les esprits même les plus doués dont pourtant le talent ou le génie s’épanouiraient magnifiquement, placés en milieu favorable, paraissent frappés d’engourdissement. A l’écart des voies où souffle le vent et où brûle le feu purificateur de la raison critique et de la philosophie (qui n’est pas simple affirmation sur les choses, mais interrogation et examen systématiques du réel), en pleine époque de la modernité épanouie, l’Afrique noire est restée le continent des peurs absurdes et de la révérence obséquieuse à l’autorité d’une tradition qui ne véhicule pas toujours des valeurs sûres. Le continent de la révérence obséquieuse à des dirigeants de légitimité souvent douteuse, mal fondée, inaptes à gérer des sociétés modernes, mais qui se donnent cependant pour des traceurs des voies du futur! Opprimant les libertés maintenues dans la servitude par l’affaiblissement du pouvoir d’achat du petit peuple, reconduisant, de générations en générations, un système éducatif inventé par des colonisateurs racistes pour maintenir le Noir dans son statut de sous-homme au service de la race supérieure et blanche, voilà l’Afrique actuelle. Voraces et mesquins, bien des dirigeants africains sont, à la vérité, d’horribles éteignoirs.

Désavantagée par la difficulté de communiquer avec le reste du monde, surtout avec des voisins dont le dynamisme de la civilisation lui eût été d’un grand profit, il était difficile à l’Afrique subsaharienne de bâtir des sociétés et des civilisations inventives, aptes d’instincts, à saisir la moindre occasion pour répondre à l’aspiration à monter toujours plus haut, à aller toujours plus loin, qui est au fond de l’homme, de tout homme. Ce handicap historique continue de peser sur l’Afrique noire d’aujourd’hui retarde son entrée en modernité.

Dominique NGOIE-NGALLA

dimanche 18 décembre 2011

Le projet spirituel de l'être humain, un désir d'affirmation de l'esprit sur la chair


A l’âge de la modernité qui réhabilite le corps et tous ses appétits, chrétiens, guides religieux, la continence sexuelle et la chasteté, pourquoi faire? S’il est vrai, comme l’affirment les théologiens, que Dieu souffre des fautes et des écarts de conduite des hommes, surtout sils sont chrétiens, il faut en conclure que, dans la chrétienté du Congo où tant de fidèles se moquent pas mal des commandements de Dieu, tout en ayant en permanence son nom à la bouche, Dieu est vraiment en enfer! Une telle licence des mœurs dans la communauté priante qui, paradoxalement, en même temps, développe une singulière débauche de ferveur religieuse! Avec le vol, crapuleux ou déguisé sous la subtilité de procédés apparemment honnêtes et licites, la licence sexuelle et des mœurs est ce qui s’impose à l’observateur dans le phénomène social de relâchement moral au sein de la chrétienté du Congo. Que la raison ou la cause en soit économique, politique et culturelle, rien de plus vrai.


Une crise sociale profonde a ainsi mis à rude épreuve la conscience chrétienne qui devrait lui servir de môle. A cette conscience chrétienne dénervée et aseptisée, la pratique de la continence sexuelle et de la chasteté par exemple, hier sous vigilance permanente, apparaît aujourd’hui comme une invention ridicule et insensée d’hommes et de femmes d’autrefois. Conséquence, dans leurs homélies, les prêtres et les pasteurs ne tonnent plus contre le pêché de la chair! Et il semble s’être imposée aux chrétiens l’idée qu’il est impossible qu’un Dieu sage ait pu imposer des règles aussi inutilement rigides, dans un acte naturel dont la conséquence heureuse est de révéler à ceux qui l’accomplissent, la signification profonde de l’existence et de la vie octroyées aux humains par un Dieu bon. Et les Cathares sont vraiment plaisants qui réprimaient le sexe! Dans cette atmosphère délétère de retour agressif du paganisme, les guides religieux congolais ne font plus reposer, comme naguère, leur autorité morale et leur respectabilité sur une vaste culture générale, et l’austérité des mœurs nimbée d’innocence candide, mais plutôt (inculquée à la conscience populaire) sur la croyance en des pouvoirs extraordinaires que conféreraient, au prêtre et au pasteur, leur état et leur statut d’oints de Dieu! De telles affirmations grotesques emportent, malheureusement, la conviction joyeuse de bien des âmes simples et crédules. Il faut le répéter, parce qu’elles exigent un rien d’héroïsme, la continence sexuelle et la chasteté élèvent, ennoblissent qui les pratique. Elles sont, pour l’ecclésiastique qui en a prononcé le vœu et y reste fidèle, source de respect et de considération sociale. Et, il faut être vraiment mal informé, pour croire que la continence sexuelle, circonstancielle ou à vie, est une invention des missionnaires européens. Il faut avoir lu Mathieu de travers, pour en faire une invention des modernes. En ce qui concerne la chasteté consacrée des clercs, Paul n’était pas passé par quatre chemins. Que ceux qui n’ont pas de dispositions à exercer les fonctions du sacerdoce chrétien comme s’ils étaient des énuques, crie l’apôtre des gentils, fassent autre chose. Ils ne sont pas faits pour le sacerdoce chrétien. Et pourquoi, si l’on n’est ni chrétien, ni ecclésiastique, ces vertus si difficiles?


La continence sexuelle est une aspiration humaine universelle. L’homme de toute l’humanité pense, au fond de lui, à son insu même et en dehors même de toute intention pieuse et de dévotion, que la chasteté décuple les chances de l’homme qui engage une action. Dans l’Afrique ancienne, pour être efficaces, certaines activités exigeaient de ceux qui les menaient, un temps de préparation spirituelle et de purification de l’âme, qui passait par l’imposition à soi de contraintes sexuelles. La suspension des rapports sexuels, les jours précédant l’exercice de ces activités, était une règle générale. Le forgeron, le pêcheur, le chasseur, le laboureur s’y soumettaient de bonne grâce. Nos ancêtres avaient ainsi établi un lien nécessaire entre l’innocence du cœur et de l’âme (que, même légitime, le rapport sexuel ne laisse jamais intacte) et ce que nous appelons la chance, c est-à-dire le sourire favorable de la divinité. Bien heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (serment des béatitudes). Les femmes beembe du Congo, pour espérer une bonne récolte, faisaient planter l’igname par des enfants innocents. On comprend alors que le prêtre chrétien et le pasteur, grâce à l’intervention desquels Dieu descend parmi les hommes, se doivent de se garder chastes et purs.


Certes, même administré par un pourceau de prêtre, le sacrement reste valable et la messe dite par lui valable aussi. Je suis cependant incliné à croire que quelque chose d’autre s’ajoute lorsque le prêtre est en règle avec Dieu; ou, davantage, est un saint homme. En tout cas, dans notre quête de spiritualité, la chasteté reste un merveilleux support.Que la continence sexuelle, et surtout la chasteté consacrée soient difficiles à vivre, quel adulte l’ignore? Mais, certainement, une vie réglée, la prière et l’étude aident à les vivre avec sérénité, les chrétiens et tous ceux à qui leurs fonctions et leurs statuts social font obligation d’être continents et chastes. Ils attirent, s’ils sont fidèles, les grâces de Dieu sur la communauté. Certes, pour l’observance de la continence sexuelle et de la chasteté, les temps sont difficiles.


En instituant le culte du corps et en légitimant tous ses appétits, en laissant l’initiative à la nature qui refuse les tabous et les contraintes, la société moderne veut désacraliser le sacré, afin de le vivre selon les lois et les désirs de la chair. Or, contrairement à la brute et à l’animal privés de conscience et de projet spirituel, l’homme n’est pas qu’une masse de chair livrée à la tyrannie des sens. Conscient ou non, clairement dessiné ou non, il a un projet spirituel qui est désir d’affirmation de l’esprit sur la chair. Cependant, il ne peut réaliser ce projet sans un minimum d’ascèse, d’exercices contraignants qui, de façon progressive, amènent la chair à faire la volonté de l’esprit. Les Beembe du Congo ont un mot pour désigner cette politesse de l’âme attentive à assurer et à maintenir la supériorité de l’esprit sur la chair: «kinkende». Le kinkende, rapport surveillé de soi à soi, et de soi aux autres, mène à la vertu celui qui se soumet à ses exigences. Celles-ci peuvent se résumer en l’effort constant pour maîtriser ses sens, réguler la force de ses pulsions. Puissant comme l’instinct de conservation, la pulsion sexuelle doit, cependant, être disciplinée, si nous voulons faire quelque chose de notre pauvre existence ballotée par tant de vents contraires. Chez les femmes et les hommes qui ont renoncé aux plaisirs de la table, de la chair et du lit, afin d’être à plein temps au service de Dieu et du monde, la pratique évangélique des vertus cardinales de foi, d’espérance et de charité garantit l’observance de la chasteté et en révèle la profondeur du sens.


Dominique NGOIE-NGALLA

vendredi 9 décembre 2011

Les grandes écoles ou le certificat d’intelligence d’une élite homogène

Mes flâneries dans les rues de Paris sont un moment favorable non seulement à la rêverie, mais aussi à la pensée. Différents sujets sur lesquels je n’ai pas le loisir de penser en d’autres circonstances se présentent et se proposent en cette occasion de causerie grave avec moi-même qu’on nomme aussi réflexion. Or depuis un moment déjà me taraudait une étrangeté bien française, son système de fabrication des élites. Ayant assez marché récemment, je suis parvenu à bâtir une réflexion sur ce sujet qui se montrait fugace.

A la différence d’autres pays où l’accès à l’élite, est la combinaison de différents facteurs, l’élite française se produit en série, selon des procédés identiques comme s’il s’agissait d’objets fabriqués en usine ; des produits dénués d’esprit donc. Il existe en effet une recette bien établie en France pour accéder aux niveaux supérieurs : les Grandes Ecoles. Réservées aux lauréats de concours très sélectifs eux-mêmes issus de classes préparatoires d’accès peu aisé, ces écoles, dont l’excellent enseignement qu’elles dispensent leur a gagné ce prestigieux label, sont en France le creuset unique et attitré des élites dirigeantes. La plupart des grands fonctionnaires et la majorité des dirigeants des grandes entreprises françaises sont issus de leurs rangs ; les universités, peu sélectives et ouvertes à tout le monde ont été mises hors jeu et offrent de faibles débouchés tant elles sont méprisées par les professionnels. Cette éducation supérieure à double vitesses exclue d’emblée une catégorie de la population – les classes ouvrières et les pauvres - d’un ascenseur social qui se veut républicain. En effet les grandes écoles coûtent cher et leur accès exige une culture générale qu’on acquiert difficilement dans les milieux défavorisés. Sur ce dernier point, si l’école veut réussir dans sa vocation d’ascenseur social, il faudrait dans ce cas qu’elle commence à jouer son rôle dès le début de la scolarité. C’est en effet dès le départ que la différenciation se fait. Elle ne fait que s’accentuer avec les années. Les épreuves d’entrée en hypocagne par exemple comportent une épreuve de latin ou de grec qu’on ne pratique guère sérieusement dans les ZEP[i].

Ne remettant pas en cause la qualité des savoirs dispensés dans les Grandes Ecoles, je ne comprends simplement pas cette obstination à confier les reines d’une nation à un groupuscule qui d’abord n’en représente pas l’essentiel, mais surtout qui donne l’impression d’un pays où l’intelligence est devenue une denrée si rare qu’elle s’est réfugiée dans quelques institutions diffusant un savoir d’excellence. Pourquoi laisser la conduite d’un pays à un groupe qui donne l’impression d’en faire l’otage de l’esprit de corps, des réseaux et surtout des schémas de pensée et d’action uniques qui font que la réflexion sur les grandes orientations de la société tournent sur elles-mêmes telles les habitudes de cette Afrique moquée par M. Sarkozy dans son discours fameux de Dakar. Une élite ayant tété à la même mamelle ne connait pas les clivages idéologiques accentués qui favorisent le dynamisme politique et social. C’est donc une élite monochrome qui partage les mêmes ambitions et méconnait les aspirations de la masse qu’elle n’a jamais côtoyée. C’est pourquoi elle est aujourd’hui si complaisante avec les puissants auprès desquels elle prend ses ordres et auxquels, pusillanime, elle ne sait pas s’opposer.

Depuis peu cependant, grâce à la poigne des politiques, un certain pourcentage d’étudiants boursiers (30%), entendez défavorisés, peuvent désormais intégrer ces écoles. Ils sont bien braves ces messieurs du gouvernement, mais la mesure est encore insuffisante ; elle ne règle pas le problème de l’homogénéité des élites. Ce qui serait souhaitable ce serait la diversification de ces dernières. Il ne faut pourtant pas être énarque pour se douter que mettre ensemble des élèves, qui en dépit de leur différences d’origines finiront par former un bloc homogène, pour leur inculquer les mêmes principes et les mêmes valeurs est une fausse bonne idée. La diversité ce n’est pas au niveau du recrutement qu’il faut l’introduire, il s’agit au contraire de diversifier les parcours qui mènent aux sommets. Qui a l’ambition de servir son pays et de le transformer durablement doit certes s’armer de savoir, mais d’un savoir non pas inculqué mais d’un savoir recherché et orienté par la foi en un idéal de société. Peu importe alors l’endroit où ce savoir a été acquis.

Il serait temps aujourd’hui d’arrêter cette connerie. Il y aurait si peu de personnes intelligentes dont le cœur bat pour la en France au point d’en jeter quelques uns dans des écoles où on l’apprentissage du devoir et du service est conditionné par la maitrise de certains savoirs ? Le royaume Franc de Charlemagne n’est pas, on le sait, la France moderne, mais l’exemple du fils de Berthe aux grands pieds, un Franc, un barbare qui à ce qu’on dit ne savait pas écrire montre que le talent et le sens politique sont les fruits d’une vision et d’un talent propres à une personne. Quoique peu lettré, Charlemagne initia une profonde réforme culturelle et intellectuelle dans son empire, la renaissance carolingienne. Preuve que la direction des affaires, si l’on considère les capitaines qui se sont distingués, ne relève pas des techniques apprises auprès des doctes en sciences politiques, historiques ou en encore en sciences pures, mais elle est question de sensibilité, de flair, de courage, d’audace et de talent, des choses qui sont plutôt du côté de l’être que de l’avoir.

Confond –ton intelligence et savoir ?la première est sans conteste une condition d’accès au second, mais il l’inverse reste à prouver. Pourtant, dès qu’une personne est issue d’une de ces écoles elle est directement drapée du manteau noble de l’intelligence. C’est cette intelligence décrétée avec tant de facilité, quoique à des personnes ayant du donner le meilleur d’elles-mêmes, qui me laisse perplexe. L’intelligence ne se décrète pas, mais se vit. Il s’agit d’une qualité qui se démontre, surtout quand il s’agit d’une intelligence qu’on mettra au service d’un pays d’une entreprise. L’intelligence, la vraie ne s’accommode pas de la pensée réchauffée, ni du conformisme intellectuel. Elle observe, se confronte au réel, innove et ne craint pas de ne pas être suivie. L’intelligence n’est pas un produit de consommation. Or peu de dirigeants en affaire et en politique se sont montrés créatif en France ces dernières années. Leur immobilisme n’a t-il pas permis de douter de l’originalité des grands de ce ce pays pourtant gorgé de talents. Quand on ne se gargarise pas de réussites éculées, on se jette dans l’imitation vulgaire. Aujourd’hui c’est l’Allemagne autrefois c’était les Etats Unis ; on y imitait même les erreurs. En quoi est-il intelligent que des personnes supposées sages ne parviennent pas à sortir de l’ornière dans laquelle tant de générations avant elles se sont coulées? en suivre les inclinations et les sinuosités sans chercher à en sortir, plus que la marque d’un esprit avisé est signe d’imbécilité.




Cunctator.



[i] Zone d’Education Prioritaire

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.