dimanche 28 juin 2009

Intellectuels vermoulus d'Afrique: la trahison des clercs

« Réservoir d’amour et de révolte » comme dit l’autre, les intellectuels sont de par leurs combats la conscience éclairée de leur temps. A la façon du taon ils viennent importuner par les sujets qu’ils soulèvent ; ils dénoncent ce qui ne va pas, touchent où ça fait le plus mal, porteurs d’un évangile de vérité que personne (surtout les puissants) ne veut entendre.
Les habitudes ont la peau dure dit-on, on ne les chasse pas facilement. Comme l’Evangile du Christ, celui des intellectuels a du mal à passer, mais à force de persévérance, petit à petit, leurs exhortations se font entendre et prennent place.
Ils sont la lanterne des peuples, dont ils sont une sorte de conscience d’avant-garde, et leur mission est de les sortir, comme disait Victor Hugo, de la torpeur ou le maintiennent le mensonge et la propagande, la peur, la lâcheté, la compromission, la facilité. Proches de tous les hommes par vocation, ils comprennent l’universalité de la condition humaine et entendent sans grand besoin de traduction les attentes de ces bonnes âmes populaires remplies d’altruisme et de générosité.

Amoureux du vrai du juste et du beau, passionément, ils ont été conduits, par leurs interrogations sur le monde et les actions des hommes, à lire ceux-là bien nombreux qui se sont illustrés à penser l’homme, fussent-ils philosophes, poètes, figures religieuses. La fréquentation de ces amoureux de la sagesse a fait d’eux des aristocrates de l’esprit. Cette caste de gens à vrai dire un peu dérangés, comme ailleurs à force d’abstraction, a ceci de supérieur qu’ils résistent mieux aux sirènes de l’avoir et du paraître. Ils se contentent de développer leur être. Vanité des vanités tout est vanité disait l'Ecclésiaste, ils le savent bien. Avantages matériels et monétaires, positions administratives et politiques, voluptés de la vie, tous ces petits diables ne sauraient les tenter.

Racontant une anecdote au sujet de Caton que les intellectuels considèrent comme un modèle de vertu et d'abnégation, Sénèque nous dit que ce dernier « ne lutta point contre des bêtes féroces, exercice digne d’un chasseur et d’un rustre ; il ne poursuivit point de monstres avec le fer et le feu, et ne vécut pas où l’on put croire qu’un homme portât le ciel sur ses épaules : déjà on avait secoué le joug de l’antique crédulité et le siècle était parvenu au plus haut degré de lumières. Caton fit la guerre à l’intrigue, ce monstre à mille formes, au désir illimité du pouvoir ; que le monde entier partagé entre trois hommes n’avait pu rassasier, aux vices d’une cité dégénérée et s’affaissant sur sa propre masse. »

Les intellectuels se consoleront des douleurs de l’exil, des emprisonnements arbitraires , et en reviendront encore plus critiques. « Je suis ce voltigeur, ce bretteur, ce mitrailleur des imbécilités d’autrui, cet indomptable qui ne recule, jamais, devant les risques d’aucun combat » disait Voltaire.

De tout temps tourment des dirigeants et autres puissants, sous certaines latitudes ils se battent désormais pour en devenir non seulement les amis, mais aussi les pantins. La volonté de plaire au pouvoir et à la pseudo-bourgeoisie, laquelle fait les renommées et dispense les honneurs, devient la norme. Quand bien même les principes pour lesquels ils se sont engagés et qu’autrefois on les vit défendre avec véhémence, sont menacés, bafoués, ignorés, piétinés, ils n’alertent plus à l’instar de Voltaire, Hugo, Zola et plus tard Sartre et Aron, Césaire, Mongo Beti, etc.
Les intellectuels africains sont devenus complaisants. Des morts au Darfour, des journalistes arrêtés, des actes de Xénophobie ? Il faut attendre la voix des radios internationales pour porter l’alerte et ainsi ameuter l’opinion. Le cas de Moussa Kaka par exemple ne date d’il y’a vingt ans. Il y'a plus de soixante ans Julien Benda auteur de "La trahison des clercs", regrettant lui aussi la dérive de ces gens libres par vocation, constatait que "les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison; que j'appelle les clercs, ont trahi leur fonction au profitau profit d'intérêts pratiques."

Chez nous tous ceux qui de par leur formation avaient vocation à porter le manteau de l’intellectuel, bon nombre d’entre eux du moins, n’ont pas rallié les rangs. Pusillanimes le combat les effraie, ils préfèrent les 4x4 de luxe, les bureaux climatisés et les alcôves des palais. Intégrer un ministère, diriger un cabinet, tel est leur rêve. Eclairer la jeunesse, matière première la plus importante pour tout pays ne paie pas. Pourquoi s’en contenter. Il est n’est pas aisé de résister aux tentations de l’argent et autres facilités. Nous croyions que les belles et grandes choses se conquéraient dans les difficultés. Balivernes !

Une fois de telles personnes dans la poche de princes régnant avec incurie, c’est le peuple qui se retrouve bâillonné, ses portes-parole ont perdu la voix, leur gorge est remplie de douceurs difficiles à cracher.
C’est pourtant dans ces sociétés en pleine décadence, à peine nées, qu’on devrait se faire un devoir de tous les instants de rappeler ou d’indiquer une meilleure façon de conduire les affaires. Avec leur sensibilité exacerbée les intellectuels sont plus violemment attirés par l’expression politique que leurs contemporains. Malheureusement, du prestige tiré de leur condition, ils ignorent la contrepartie : pousser par leur engagement et leur force de proposition leurs pays vers l’avant toujours.

Que font ils de ce feu dont ils sont en principe porteurs qui les pousse quelquefois jusqu’à se séparer d’amitiés au nom de la défense de leurs idéaux (Sartre et Aron, Erasme et ses amis réformistes en sont des exemples). Ici il s’est éteint ce feu, arrosé par la logique défaitiste du « Essala nini, makambo eza bongo », entendez, « qu’est ce que ça peut bien faire, c’est ainsi que vont les choses ». Sacrilège ! penser ainsi lorsque le peuple a faim, n’est pas soigné, les enfants ne sont plus éduqués! « Seigneur, ôte nous ces fléaux, pardonnes nous nos offenses si c’est de punition dont il s’agit » doit se dire le pauvre peuple depuis longtemps tourné vers l’au-delà pour soulager ses souffrances terrestres. Nos intellectuels sont des défroqués.


Philippe Ngalla-Ngoïe.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article!
Mais "vanité des vanités", que je connais bien, n'est pas un moteur : c'est ce qui justifie "la logique défaitiste du « Essala nini, makambo eza bongo »" ... et ramène aux "honneurs terrestres", ce qui est paradoxal
Je dois réfléchir encore...
On n'en finit plus de tuer le Veau d'Or ...
Gabrielle

Anonyme a dit…

Merci gabrielle, en effet, on ne finit pas de tuer le Veau d'or.La posture de ces intellectuels, pas sceux d'Afrique seulement, est bien effrayante.

PNN

Anonyme a dit…

L'imposture des intellectuels...
Gabrielle

Obambé GAKOSSO a dit…

Bonsoir Cunctator,

Si seulement tu pouvais être un peu entendu. J'ai lu récemment un livre de Pascal Boniface, Les intellectuels faussaires. Son propos et ton billet se rejoignent un peu. Lui s'en prend à une catégorie qui ment sciemment pour faire prévaloir leurs idées. Cette Afrique ne peut se relever tant que la majorité de ces instruits continuent à faire la courbette auprès des princes du continent.

@+, O.G.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.