mardi 14 juillet 2009

Afrique centrale: la jeunesse dans les nasses des idéologies groupales.

Ce n’est pas seulement de ses matières premières que l’Afrique noire est riche. Elle ne l’est pas moins de ses hommes. Et comme le gros de ces hommes est constitué de jeunes, on peut bien dire que ce continent qui aujourd’hui barbote dans la misère, est promis à un bel avenir ; la jeunesse étant promesse de moisson et d’abondance. Un phénomène sociologique inquiétant vient cependant tempérer notre bel optimisme : en dehors du SIDA qui y fait des ravages plus qu’ailleurs dans le monde, et des guerres endémiques qui, si l’on n’y veille, peuvent avant trop longtemps contrarier le dynamisme de cette courbe démographique, on doit tenir compte d’une donnée peu rassurante : la jeunesse africaine, l’objet de tant de fantasmes (légitimes sans doute), est une jeunesse malheureusement que ses trop fortes attaches aux communautés de base (ou ethnies) antagonistes aliènent forcément, en l’amenant à s’y soumettre aveuglément. Cette jeunesse se trouve de ce fait affligée de myopie idéologique qui l’empêche de voir au-delà de l’horizon de l’espace étriqué du groupe d’appartenance qui a pour elle la douceur sécurisante du nid maternel idolâtré.

Jeunesse divisée donc et traversée de conflits ; l’exact reflet des divisions et des rapports heurtés qui affectent les multiples groupes ethniques auxquels elle appartient. Résultat ? Le processus de formation de la nation tarde à se mettre en route, quand nation signifie désir et volonté d’un vouloir vivre ensemble, par l’affaiblissement progressif du lien primaire des populations aux sociétés de base, à la faveur de l’apparition, dans les centres urbains, d’autres pôles d’identification collective des individus : l’école, les églises chrétiennes, les milieux professionnels, le sport de masse, l’armée. Il en avait résulté la formation d’un grand nombre d’organisations de masse : jeunesse socialiste, jeunesse catholique, jeunesse protestante, jeunesse étudiante, union des femmes révolutionnaires, bien d’autres encore qui s’emploient toutes à unifier ce qu’elles appellent « les forces vives de la nation », par le décloisonnement et le rapprochement de toutes les ethnies, à fondre à terme en une même âme collective, au moyen de la socialisation active des normes et des valeurs républicaines ; l’autorité de l’Etat devant être assise sur ces normes et ces valeurs.

Mais il est clair que ce sont là identités collectives secondaires, pas encore suffisamment affermies. Il leur manque la solidité structurelle que seul donne le temps long. En temps de paix, tout va bien ; ou pas trop mal. A l’observateur étranger les rapports entre les différentes composantes culturelles du pays apparaissent harmonieux, mais qu’éclate une crise sociale grave, très vite le souci de sécurité réveille le reflexe identitaire. A l’appel de l’instinct de groupe nos organisations de masse se débandent. Sa pression réajuste dans le sens des logiques de l’idéologie groupale, des positionnements politiques jusque là désirés et approuvés dans l’enthousiasme, maintenant perçus comme de véritables aberrations et reniés sans remords.
Il s’en trouve certes, qui résisteront à l’appel des sirènes du groupe d’appartenance, fidèles aux engagements pris ensemble. Mais combien peu nombreux ! Qui par ailleurs payent leur fidélité à un idéal par des vexations de toutes sortes. Leur entourage les accuse de traitrise.
La grande diversité d’origine culturelle de ses membres fragmente en une multiplicité de clans aux rivalités féroces la classe politique des pays africains. Pour des formations politiques à forte coloration ethnique, la jeunesse plus homogène des groupes d’appartenance est un vivier inépuisable dans lequel elles recrutent, sans difficulté, des troupes de militants convaincus et décidés.

La charge affective du lien culturel qui transforme une foule anonyme en une gigantesque parentèle est, dans la circonstance, un atout de premier ordre. Elle crée une ambiance qui établit entre le leader et sa base (dont le plus gros des adhérents est constitué de jeunes) une relation de type presque fusionnel. Ce qui explique que cette base obéît au doigt et à l’œil aux ordres du leader. A charge pour ce dernier de mettre toute son intelligence au service des intérêts de sa base, dont il renforce ce faisant le dangereux cloisonnement idéologique qui rétrécit le territoire national commun ramené aux limites familières des terres du groupe d’appartenance où la communauté de culture rassure.

Dans un tel contexte sociologique traversé par des peurs, réelles ou imaginaires et les égoïsmes de groupe, il n’est pas question pour des jeunesses cloisonnées, de songer à la nécessité et à l’urgence d’aller les unes au devant des autres pour former bloc ensemble contre des pratiques qui appauvrissent l’Afrique. Le salut de l’Afrique viendra de la prise de conscience par la jeunesse de tout le pays, du péril que sa fragmentation en groupes rivaux fait courir à l’ensemble de la communauté nationale.

Qu’on ne s’y trompe donc pas, ces jeunesses africaines qui grandissent sous le regard d’adultes, contre les apparences, façonnés à l’ancienne, conformément aux idéologies de leurs groupes d’appartenance, ces jeunesses donc adopteront peu ou prou les comportements sociaux des adultes. L’éducation reçue à l’école ou à l’église est trop sommaire et sur le plan pédagogique trop mal organisée pour ouvrir à la modernité qui est synonyme de triomphe de la raison critique, les jeunes qui la reçoivent, en gommant de leur esprit la part mauvaise du patrimoine spirituel légué par la vieille Afrique. Le martèlement du discours républicain est encore loin d’entamer la solidité du lien à la communauté de base. L’allégeance politique et citoyenne à l’Etat a de ce fait beaucoup de mal à se construire. Faute de culture démocratique qui serait le levier de ses choix politiques, étranger aux valeurs de la République trop abstraites pour lui, le leader politique africain reste l’homme d’un clan. Il en incarne les intérêts.

Vues ainsi fût-on de tempérament optimiste les perspectives de la jeunesse africaine sont bien sombres. Surtout que s’y ajoute la médiocrité de la classe politique qui produit des dirigeants irresponsables, sans imagination, ne pensant qu’à s’amuser, ne se donnant jamais le temps de réfléchir pour proposer un modèle d’ambition politique fondé sur la justice et l’équité plus le sens de l’esthétique et du beau dans lequel toutes les jeunesses se reconnaitraient. Dans la Grèce et la Rome Antiques quelle jeune ne rêvait d’être plus tard un Caton ou un Thémistocle, lui aussi ? Pour la jeunesse africaine Nelson Mandela devrait être au centre de ses rêves.

On le voit il s’agit pour la jeunesse africaine encore travaillée et divisée par la diversité de son ancrage culturel, de réveiller les trésors de générosité qui dorment en elle, de créer les conditions d’une prise de conscience des périls que court l’Afrique, faute d’une jeunesse vivante. S’efforcer de fondre toutes les jeunesses en une, autour d’un idéal commun. L’allégeance aveugle à la communauté de base devant être reconnue pour ce qu’elle est dans le contexte d’un Etat moderne : une abominable aliénation.

6 commentaires:

Obambé a dit…

Bonjour Pr,

Dans l’ensemble, ce texte est un véritable cours. C’est une excellente pédagogie et quand je lis la fin, j’ai l’impression que c’est un vibrant appel à une sorte de panafricanisme qui ne dit pas son nom.
Quand on se reconnaît Africain, d’abord et avant tout, difficile de faire allégeance au clan ou encore à la tribu. Parce que, entre nous, si je crie partout que je suis Ndjèm. Ok ! Mais combien y a-t-il de Ndjèm ? Combien pèsent-ils par rapport à près de 900 millions d’Africains ? Si je vais crier partout que je ne jure que par les Vili car je suis Vili, quel peut-être la force de frappe de la communauté vili face aux enjeux actuels de la jeunesse africaine ? Quel poids lors des négociations à l’OMC ?

« Le processus de formation de la nation tarde à se mettre en route (…) »
Totalement d’accord avec cette lecture des choses. C’est pourquoi des expressions vides de sens comme « Unité nationale », « Nation congolaise » m’horripilent au plus haut point.

« Surtout que s’y ajoute la médiocrité de la classe politique qui produit des dirigeants irresponsables, sans imagination, ne pensant qu’à s’amuser, ne se donnant jamais le temps de réfléchir pour proposer un modèle d’ambition politique fondé sur la justice et l’équité plus le sens de l’esthétique et du beau dans lequel toutes les jeunesses se reconnaitraient. Dans la Grèce et la Rome Antiques quelle jeune ne rêvait d’être plus tard un Caton ou un Thémistocle, lui aussi ? Pour la jeunesse africaine Nelson Mandela devrait être au centre de ses rêves. » Je n’ajoute rien, et ne retranche rien non plus ! Plus vrai que ça, difficile !

Obambé GAKOSSO

Philippe Ngalla-Ngoïe a dit…

Que dire de plus Bambi? Ton commentaire décrit ton engagement pour les causes et défis importants des Africains. La dénonciation de la médiocrité est ton combat.

Philippe Ngalla-Ngoïe.

Anonyme a dit…

j'accuse (comme dirait un contemporain je ne m'abuse pas )ceux qui se disent qu'en afrique la sagesse se reconnait par les cheuveux blancs et pourtant ce sont ces mêmes cheuveux blancs qui ont poussés les jeunes dans ce type de division de discrimination alors que eux même ne l'on pas vecu de la sorte ;pour moi si la racine est celle d'un manguier ,le tronc les feuilles et les fruits seront celui d'un manguier il faut reconstruire des bases et sensibiliser les gens pour leur faire savoir l'importance d'un brassage de culture parce que un tissu reste un tissu mais si ya pas d'aiguille et du fil il sera jamais un costume et encore il faut une main pour le confectionner ce que je veux dire par la que il est dit qu'il faut tout pour faire un monde un vrai monde pas ce qu'on voit en ce moment .Les jeunes de maintenant sont même plus préoccuper a savoir qui vient d'ou que de connaitre sa capacité a changer les choses ou a les ameliorer comme a faire un travail quelconque .Pour moi je me dis que ça dois cesser la discrimabtion raciale bas déja son pleinsur le plan international comment prendront ils l'exemple si déja sur un point continental ou national on ne peut gerer ce genre de situation !
Brusnel Godelive MOUCKO
PS: merci pour cette article !

Phlippe Ngalla-Ngoïe. a dit…

Godé, comme tu le dis ce n'est pas les cheveuxblancs qui font la sagesse. Ces mêmes personnes agées sont les mêmes, je les comprends quelque peu, à exarcerber le sentiment groupal, et ce, au-del même du fait politique.Cesentiment est très fot e me déole beaucoup car il touche la sphère sociale. Des parents poseront des questions à leurs enfants sur les origines de sa petite amie ou de son petit ami. Ils ne sont jamais satisafits. Lorsque c'est une étrangère, on t'invite à regader au niveaudu pays; lorsqu'elle est du pays on te dit d regarder dans ta région; lorsqu'elle est de ta région, on t'invite à chercher dans ton ethnie; lorsque c'est le cas on te demande encore de rechercher plus près...
On ne peut évidemment rien bâtir de cette façon là: rejeter continuellemznt sur les autres un ensemble de défauts comme si on en était soit même exempt.

mieri a dit…

Comme l'a dit Mr Obambé, je n'ajouterai rien ni ne retrancherai rien à ce qui a été dit et dans les commentaire qui ont été faits par vous tous.
J'ai une seule question:y a-t-il une jeunesse africaine??ou existent-ils séparemment, individuellement ce qui ne justifierait une telle appellation synonyme, dunion des jeunesses??

Je pose la question car il me semble que le mal dont souffre un bon nombre de pays africains est qu'ils sont tous composés de population majoritairement jeune,que l'on cite ici et là dans les discours, mais dont l'existence réelle, le poids dans la société est inexistant.
Après, cinquante ans quasiment d'indépendance en Afrique Noire,combien de chefs d'Etat ou de gouvernement, de ministres a-t-on au dessus de la barre des 40 ans??
A-t-on assisté à un renouvellement de génération au pouvoir ou est-ce toujours la vieille cohorte des jeunes ayant connus cette "indépendance"qui tiennent encore le haut du pavé??
Quel est leur bilan alors???

Il est pourtant dit "aux âmes bien nées la valeur n'attend point le nombre d'années", est-ce seulement en Afrique que ce n'est pas le cas??Doit-on avoir plus de cinquante ans pour un être un "jeune" dans l'exercice du pouvoir ou des responsabilités dans la société africaine???


Je pense que ces questionnements ne sont que le résultat de mon observation de nos pratiques et coutumes , dans nos familles, groupes, ou cercles professionnels ou d'amitié ou la parole de l'aîné par exemple doit primer , même lorsqu'elle est vide de sens!!!

N'a-t-on jamais entendu cette ritournelle, si savamment dégainée, pour calmer les ardeurs d'un jeune:"tu n'as pas encore assez vécu, attends de souffrir un peu"!Normal me direz-vous??

C'est je pense un modeste complément au message d'origine, qui je l'espère peut nous aider chacun à penser ce problème de la défaillance, ou carrémment de l'existence ou non de la jeunesse africaine, car pour qu'il y aait constatation de défaillance il faut bien qu'à un moment donné , il y ait eu un semblant d'existence et de fonctionnement, n'est- ce pas???

Philippe Ngalla-Ngoïe a dit…

Mieri,si je me permets de commenter ton propos, je peux alors dire que cette jeunesse africaine écartée de la gestion de la chose publique, gestion par laquelle elle est concernée au plus haut point, puisque cette gestion concerne pour nombre de ses points, les perspectives d'avenir de cette jeunesse.Elle devrait donc se montrer plus responsable, et démontrer qu'elle est sur le chemin de la maturité citoyenne. Cette jeunesse doit s'affirmer en tant qu'entité positive de la société et non demeurer passive et ne briller que dans le haut des statistiques démographiques.

A suivre.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.