mardi 10 décembre 2013

République et éthique citoyenne, le grand déficit de l'Afrique

L’appréciation de la santé de l’Afrique, au plan politique, économique, social et culturel divise, depuis quelques décennies, l’élite intellectuelle en afro-pessimistes et en afro-optimistes. Les premiers, depuis René Dumond, prédisant, pour l’Afrique, un avenir de catastrophes; les seconds, plus mesurés et même résolument enthousiastes et optimistes, projetant, dans pas trop longtemps, un avenir de l’Afrique brillant.
Pour ma part, je n’appartiens à aucun de ces deux camps. Je m’efforce simplement de rester lucide, face à un horizon d’avenir de l’Afrique chargé, certes de promesses, mais tout autant d’incertitudes. C’est que nous sommes engagés dans l’histoire. Nous sommes en chemin et, aussi longtemps que l’histoire ne sera pas close, personne, à moins d’être le Père Eternel, personne ne peut dire de quoi sera fait demain ou comment les choses se termineront.
Je prends, simplement, le risque, à partir de l’observation d’un certain nombre de données, de projeter un avenir de l’Afrique relativement satisfaisant, moins bancal que son présent où nous nous mouvons; à condition que nos organisations politiques de bricolage le cèdent à une authentique République de libres citoyens. C’est dire que ce dont, aujourd’hui, souffre l’Afrique et qui constitue, pour son développement, un frein terrible, c’est un déficit de République citoyenne. Donc, un déficit d’éducation et de formation au libre débat public sur les affaires communes «respublica», à la confection desquelles, de par son statut, le citoyen a l’obligation de travailler et, de ce fait, de demander des comptes à ceux à qui il a donné mandat de les gérer. C’est lorsque ce bien commun, fruit du labeur de tous les citoyens, est administré, géré de façon responsable que l’harmonie sociale advient et que le développement et le progrès deviennent possibles.
Je suis en train de vous dire que l’avènement de la République, qui est une véritable aventure éthique, ne va pas de soi. L’aventure étant une entreprise dont on attend, au bout, des satisfactions, mais qui comporte des risques à courir. Voilà pourquoi celui qui s’y jette doit s’armer d’un certain nombre de vertus: de courage, mais aussi de prudence, et de patience.
Ulysse sait que le retour à la maison où l’attend le bonheur de son épouse et de sa famille retrouvées est subordonné au franchissement d’une foule de tentations et d’obstacles. Parce que, la citoyenneté qui fait passer l’intérêt général avant l’intérêt personnel ou qui s’efforce de faire que l’intérêt général coïncide avec l’intérêt particulier et qui font le bon citoyen exige le dépassement de soi, sans doute un minimum d’exercice pour y parvenir. De ce point de vue, je crains que l’Afrique ne soit sans doute en train de tisser du mauvais coton. Nous nous amusons beaucoup, nous pensons peu; nous nous laissons vivre au gré du fouet de nos instincts primaires.
La fuite du questionnement de soi en Afrique est révélatrice de la différence de comportement social et culturel observé entre l’Afrique et l’Occident, où la volonté de conscience est ce qui frappe l’observateur. Dans cette région du monde, en Occident donc, le citoyen est citoyen de plein exercice. Il a la jouissance de toutes les libertés auxquelles l’ouvrent son statut; il a la jouissance de l’assurance de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. 
La République, en tant que bien commun, donne, à tous, les mêmes chances et demande à tous de porter une attention vigilante aux affaires de la cité, de la gestion correcte de laquelle dépend le bonheur de tous. La mauvaise gouvernance dont en Afrique, (les politiques les premiers et l’opinion), on se fait des gorges chaudes; la mauvaise gouvernance révèle un déficit sévère de la conscience citoyenne. Il est alimenté par le refus ou la réticence de la puissance publique à se soumettre au droit et à la loi. L’Etat de droit et la conscience citoyenne sont cause l’un de l’autre.
La conscience citoyenne n’est pas simple étiquette, le simulacre de nos devoirs. La citoyenneté doit dépasser le niveau des déclarations de principe, pour devenir un ensemble de convictions et de motivations qui nous animent de l’intérieur et justifient, orientent nos comportements civiques dans la société. Ce constat inquiétant du déficit d’une République de citoyens en Afrique, appelle, d’urgence, pour l’Afrique, la nécessité de l’éducation à la République qui est, dans les pays d’Occident où elle a fini par s’imposer, le produit d’une longue histoire, un long processus de maturation de l’homme vivant en société, grâce à l’éducation.
 On ne peut faire la République avec le bas niveau de conscience des hommes et des femmes restés à l’âge de la pierre taillée (...) compassion que Tocqueville appelle «la raison du cœur», le fondement même de l’asociabilité citoyenne: ne jamais laisser personne au bord de la route, puisque, quelles que soient nos différences sociales, culturelles et mêmes ethniques, nous sommes, tous, convoyés par un même destin. Il y a de l’évangile dedans. Ce souci de l’autre vient-il à nous manquer et nous nous cloisonnons, signant du coup la mort de la démocratie.
Dans les villages du groupe ethnique auquel j’appartiens, le souci de l’autre était tel que chaque matin, tout adulte se devait de faire la ronde de toutes les habitations et de toutes les cases, pour y prendre les nouvelles de la santé de chacun. Beau geste de charité chrétienne à la vérité, dans une société de païens, mais au fond beau geste démocratique! Et cependant, nous nous trouvons encore si loin de ce que l’on peut appeler une démocratie adulte. Parce que, malgré cette merveilleuse percée, la démocratie africaine n’avait pas dépassé les fondamentaux de la démocratie, puisque tout en postulant la liberté comme idéal à réaliser, comme dans l’Athènes de Périclès et d’Ephialtès, elle avait toléré l’existence des esclaves et l’inégalité entre les hommes et les femmes. Inacceptable dans une démocratie adulte. 
Mais, les raisons de l’immobilisme du processus démocratique en Afrique peuvent être identifiées. L’une des premières: la violence de tant de vents qui avaient soufflé sur l’histoire africaine. La deuxième, parmi tant d’autres encore, le non questionnement, le défaut de la remise en question de ce que nous venons d’appeler les fondamentaux de la démocratie: la liberté de parole, le débat public contradictoire. Car, la démocratie affronte une histoire ouverte qui fait d’elle une culture politique de la remise en question des acquis.

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.