samedi 14 décembre 2013

Mal-gouvernance: la faiblesse et la menace des Etats africains.


Aucune organisation sociale ne prospère si son mode de fonctionnement ne lui permet d’être viable, d’exister sur le temps long ou de s’adapter. Pour ce faire elle choisit un mode d’organisation lui permettant d’atteindre ses objectifs primordiaux. Dans ce cas elle est dite efficace .Valable pour la famille, la plus petite des structures sociales, ça l’est aussi pour l’entreprise et pour l’Etat, la plus grande. Si les objectifs de l’entreprise sont de gagner des parts de marché et de s’assurer des profits, ceux de l’Etat, à travers les fonctions régaliennes classiques consistent en la sauvegarde de la souveraineté nationale, la sécurité des citoyens et le maintien de l’ordre public, la protection des droits et libertés fondamentaux (la justice) et d’assurer et de garantir l’accès équitable aux services indispensables à la vie sociale.

Or l’Etat n’existe qu’à travers ses institutions et son administration. Ce sont elles qui le font vivre et exécutent ses missions. Ainsi des institutions et une administration en bon ordre de marche, seront la marque d’Etats solides, performants. Les autres, dont l’action est rendue inefficace par la coalition de facteurs que l’Afrique conjugue brillamment, n’assureront pas ou n’assureront qu’avec difficulté la mission de l’Etat. Ce type d’Etats constituent les Etats faibles. Lorsque cette incapacité atteint un degré élevé il n’est pas exagéré de parler d’absence d’Etat.

Lorsqu’il s’agit de l’Afrique, quelques entités politiques sont d’emblée identifiées comme des Etats fragiles de par la précarité des institutions et la quasi inexistence des administrations. Mais, une considération rigoureuse du concept d’Etat et la mise de côté de la complaisance théorique et pratique qui accorde ce statut à des institutions et des administrations brouillonnes, révèle que bien d’entités politiques ne se qualifient que formellement au titre d’Etat ; matériellement loin du compte. Semblant tenir, appuyés sur des structures clairement identifiables, quoique branlantes, la catastrophe est moins évidente. En effet, qui ne les observerait que superficiellement pourrait facilement dire « ça va !». Des institutions, des administrations, des hommes à la manœuvre. Jusque-là tout va bien. Mais là encore, Prenez garde ! Ce beau paysage n’est qu’attirail de prince revêtu par un gueux. Un cache misère ! Malgré qu’ils disposent en leur faveur des conditions pour faire fonctionner correctement un Etat, les pays frappés par ce désordre souffrent du retrait de l’Etat, et partant, de l’abandon de ses missions traditionnelles, qu’essaient de remplir tant bien que mal les ONG ou les acteurs privés qui se substituent à lui. La Défense Nationale; la santé, l’éducation, le transport sont en ruines ; les politiques orientant les grandes actions de l’Etat quand elles existent vont rarement au-delà du lancement des projets concernés, de sorte que faute de telles politiques l’énergie, l’agriculture, les télécommunications, les moyens de communications quand ils existent sont médiocres.

Datant des après-indépendances, quand elles ne sont pas le fait d’une indigence en terme de ressources financières, ces difficultés résultent soit de l’incompétence des élites Africaines à entrer en modernité, incapables d’orienter l’action de l’Etat selon les nécessités de l’époque, soit d’une conception bien étrange de celui-ci, en s’en arrogeant les moyens au mépris de l’intérêt général, que ce dernier a vocation à promouvoir et à garantir. La première option semble difficilement justifiable, car, bien que non-encore entièrement alphabétisée, l’Afrique dispose d’un vivier de personnel formé apte à piloter correctement un Etat. Pour cela, elle n’a pas à rougir d’une comparaison avec d’autres sociétés. Pourtant cette forte concentration de personnes sorties des meilleures universités de la planète, dont nombreux occupent les fonctions les plus élevées de l’Etat, ne suffit pas à hisser l’Afrique sur la voie du progrès. Bien au contraire, elle régresse, incapable de produire du développement malgré des taux de croissance parmi les plus élevés au monde. La seconde option, le mépris de la République, reste donc la seule explication.

Nés dans un contexte de guerre froide, de nombreux Etats Africains, la majorité du moins, bascula, dans des régimes monopartistes à tendance socialiste, aiguillés sans doute - outre la volonté de tourner le dos à l’idéologie de l’ancien colonisateur -, par le souci du consensualisme, valeur primordiale des différentes sociétés Africaines, mais surtout par souci de stabilité politique, contre laquelle, vu la fragilité des institutions, la conjugaison du multipartisme et de la pluralité des ethnies qu’opposaient force différences, représentait une menace. Dans la conception des premiers dirigeants, un parti unique dans lequel se fondraient toutes les composantes de la population était non seulement gage de stabilité institutionnelle et de paix, mais encore un moyen efficace pour parvenir au développement grâce à la fusion en son sein des énergies de tous bords.

Pour le malheur des Africains, ces fins furent très vite perdues de vue. L’autoritarisme, la corruption, la gabegie, la concussion le clientélisme à tendance ethnique ou régionale s’emparèrent des Etats et, tels des pirates, le détournèrent de sa mission pour l’orienter vers des fins autres que l’intérêt général. Trois décennies plus tard, lorsque le vent du multipartisme et du libéralisme politique souffla par-là, on crut l’Afrique tirée d’affaire, mais, malheureusement, il ne souffla pas assez fort pour imposer la république. La république a en effet ceci de bénéfique que « le bien commun, fruit du labeur de tous les citoyens, est administré, géré de façon responsable que l’harmonie sociale advient et que le développement et le progrès deviennent possibles » (Ngoïe-Ngalla). A différentes échelles, les moyens de l’Etat au lieu d’être affectés à la réalisation des missions de service public, continuèrent d’être allègrement détournés pour servir des ambitions ou les fantaisies des élites politico-administratives pour qui la ponction systématique des ressources nationales tient lieu d’idéologie. L’appareil étatique n’est pas considéré comme un moyen de réalisation d’objectifs guidés par le souci de l’intérêt général, mais plutôt comme une vache grasse dont il convient de profiter jusqu’à n’en plus pouvoir. Il n’est par conséquent pas étonnant qu’avec des ressources dédiées au développement et à l’exercice du service public continuellement ponctionnées, que de telles sociétés s’enfoncent chaque jour un peu plus.

Il est évident que lorsque les reines de l’Etat sont aux mains de groupes ou de personnes dont la conception de l’Etat se limite à la détention d’un appareil administratif qu’on manipule au gré d’intérêts et d’ambitions personnels ou groupaux bien souvent antagonistes avec ceux de la communauté nationale, on détourne toute une administration de sa mission et on l’affaiblit dans son principe. L’abandon et la ruine qu’on y constate, font d’emblée penser à l’inexistence concrète d’un gouvernement et témoignent de la nocivité de ces politiques.

Les récentes crises militaires africaines, Mali et Centrafrique, sont la conséquence, du point de vue de la défense de la souveraineté nationale et du maintien de l’ordre et de la sécurité publics, du détournement de l’Etat. D’une part les forces armées et de police d’un état affaibli souffrent de faibles dotations, du manque d’équipement et d’armement et sont de ce fait, même avec la meilleure volonté, incapables de défendre leurs pays contre les agressions extérieures et toutes sortes de menaces intérieures (trafic de stupéfiants, trafics humains, bases terroristes, etc.). D’autre part, pour les pays qui peuvent encore doter leurs forces publiques, la vocation de ces dernières étant la protection du pouvoir de princes impopulaires ou illégitimes, dont l’autorité résulte de la brutalité des forces qui leurs sont acquises, ces dernières adoptent une stratégie conforme à leur drôle de mission, se dotent des compétences nécessaires à ce type de missions et oublient le principal, de sorte que, face à un ennemi équipé, entrainé et déterminé, ces armées qui comptent dans leurs rang des officiers formés à Westpoint, l’Ecole de guerre, Saint-Cyr et dans les meilleures académies chinoises ou russes, se font tailler des croupières, incapables d’opposer le minimum de force dont une armée d’exercice, fut-elle la dernière, est capable.



Or le danger de quarante ou cinquante de dysfonctionnements, c’est que les attitudes décriées se structurent solidement dans les esprits des Africains. Il faut craindre qu’ils ne s’habituent au désordre et que la bonne gouvernance, comme la lumière pour des yeux habitués à la pénombre, ne soit devenue une gêne. Et, comme le montrent les différentes crises dont la mal gouvernance est la cause (crises budgétaires, blocages politiques, guerres civiles, recul de la souveraineté, etc.) c’est que la dangereuse irresponsabilité des politiques, incapables d’animer la vie d’un Etat ne soient remplacés par des dirigeants de substitution - aux intérêts éloignés de ceux des Africains -, que la faiblesse de ces Etats, qui sentent fortement le sépulcre attire déjà.

Philippe Cunctator.

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.