dimanche 18 décembre 2011

Le projet spirituel de l'être humain, un désir d'affirmation de l'esprit sur la chair


A l’âge de la modernité qui réhabilite le corps et tous ses appétits, chrétiens, guides religieux, la continence sexuelle et la chasteté, pourquoi faire? S’il est vrai, comme l’affirment les théologiens, que Dieu souffre des fautes et des écarts de conduite des hommes, surtout sils sont chrétiens, il faut en conclure que, dans la chrétienté du Congo où tant de fidèles se moquent pas mal des commandements de Dieu, tout en ayant en permanence son nom à la bouche, Dieu est vraiment en enfer! Une telle licence des mœurs dans la communauté priante qui, paradoxalement, en même temps, développe une singulière débauche de ferveur religieuse! Avec le vol, crapuleux ou déguisé sous la subtilité de procédés apparemment honnêtes et licites, la licence sexuelle et des mœurs est ce qui s’impose à l’observateur dans le phénomène social de relâchement moral au sein de la chrétienté du Congo. Que la raison ou la cause en soit économique, politique et culturelle, rien de plus vrai.


Une crise sociale profonde a ainsi mis à rude épreuve la conscience chrétienne qui devrait lui servir de môle. A cette conscience chrétienne dénervée et aseptisée, la pratique de la continence sexuelle et de la chasteté par exemple, hier sous vigilance permanente, apparaît aujourd’hui comme une invention ridicule et insensée d’hommes et de femmes d’autrefois. Conséquence, dans leurs homélies, les prêtres et les pasteurs ne tonnent plus contre le pêché de la chair! Et il semble s’être imposée aux chrétiens l’idée qu’il est impossible qu’un Dieu sage ait pu imposer des règles aussi inutilement rigides, dans un acte naturel dont la conséquence heureuse est de révéler à ceux qui l’accomplissent, la signification profonde de l’existence et de la vie octroyées aux humains par un Dieu bon. Et les Cathares sont vraiment plaisants qui réprimaient le sexe! Dans cette atmosphère délétère de retour agressif du paganisme, les guides religieux congolais ne font plus reposer, comme naguère, leur autorité morale et leur respectabilité sur une vaste culture générale, et l’austérité des mœurs nimbée d’innocence candide, mais plutôt (inculquée à la conscience populaire) sur la croyance en des pouvoirs extraordinaires que conféreraient, au prêtre et au pasteur, leur état et leur statut d’oints de Dieu! De telles affirmations grotesques emportent, malheureusement, la conviction joyeuse de bien des âmes simples et crédules. Il faut le répéter, parce qu’elles exigent un rien d’héroïsme, la continence sexuelle et la chasteté élèvent, ennoblissent qui les pratique. Elles sont, pour l’ecclésiastique qui en a prononcé le vœu et y reste fidèle, source de respect et de considération sociale. Et, il faut être vraiment mal informé, pour croire que la continence sexuelle, circonstancielle ou à vie, est une invention des missionnaires européens. Il faut avoir lu Mathieu de travers, pour en faire une invention des modernes. En ce qui concerne la chasteté consacrée des clercs, Paul n’était pas passé par quatre chemins. Que ceux qui n’ont pas de dispositions à exercer les fonctions du sacerdoce chrétien comme s’ils étaient des énuques, crie l’apôtre des gentils, fassent autre chose. Ils ne sont pas faits pour le sacerdoce chrétien. Et pourquoi, si l’on n’est ni chrétien, ni ecclésiastique, ces vertus si difficiles?


La continence sexuelle est une aspiration humaine universelle. L’homme de toute l’humanité pense, au fond de lui, à son insu même et en dehors même de toute intention pieuse et de dévotion, que la chasteté décuple les chances de l’homme qui engage une action. Dans l’Afrique ancienne, pour être efficaces, certaines activités exigeaient de ceux qui les menaient, un temps de préparation spirituelle et de purification de l’âme, qui passait par l’imposition à soi de contraintes sexuelles. La suspension des rapports sexuels, les jours précédant l’exercice de ces activités, était une règle générale. Le forgeron, le pêcheur, le chasseur, le laboureur s’y soumettaient de bonne grâce. Nos ancêtres avaient ainsi établi un lien nécessaire entre l’innocence du cœur et de l’âme (que, même légitime, le rapport sexuel ne laisse jamais intacte) et ce que nous appelons la chance, c est-à-dire le sourire favorable de la divinité. Bien heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (serment des béatitudes). Les femmes beembe du Congo, pour espérer une bonne récolte, faisaient planter l’igname par des enfants innocents. On comprend alors que le prêtre chrétien et le pasteur, grâce à l’intervention desquels Dieu descend parmi les hommes, se doivent de se garder chastes et purs.


Certes, même administré par un pourceau de prêtre, le sacrement reste valable et la messe dite par lui valable aussi. Je suis cependant incliné à croire que quelque chose d’autre s’ajoute lorsque le prêtre est en règle avec Dieu; ou, davantage, est un saint homme. En tout cas, dans notre quête de spiritualité, la chasteté reste un merveilleux support.Que la continence sexuelle, et surtout la chasteté consacrée soient difficiles à vivre, quel adulte l’ignore? Mais, certainement, une vie réglée, la prière et l’étude aident à les vivre avec sérénité, les chrétiens et tous ceux à qui leurs fonctions et leurs statuts social font obligation d’être continents et chastes. Ils attirent, s’ils sont fidèles, les grâces de Dieu sur la communauté. Certes, pour l’observance de la continence sexuelle et de la chasteté, les temps sont difficiles.


En instituant le culte du corps et en légitimant tous ses appétits, en laissant l’initiative à la nature qui refuse les tabous et les contraintes, la société moderne veut désacraliser le sacré, afin de le vivre selon les lois et les désirs de la chair. Or, contrairement à la brute et à l’animal privés de conscience et de projet spirituel, l’homme n’est pas qu’une masse de chair livrée à la tyrannie des sens. Conscient ou non, clairement dessiné ou non, il a un projet spirituel qui est désir d’affirmation de l’esprit sur la chair. Cependant, il ne peut réaliser ce projet sans un minimum d’ascèse, d’exercices contraignants qui, de façon progressive, amènent la chair à faire la volonté de l’esprit. Les Beembe du Congo ont un mot pour désigner cette politesse de l’âme attentive à assurer et à maintenir la supériorité de l’esprit sur la chair: «kinkende». Le kinkende, rapport surveillé de soi à soi, et de soi aux autres, mène à la vertu celui qui se soumet à ses exigences. Celles-ci peuvent se résumer en l’effort constant pour maîtriser ses sens, réguler la force de ses pulsions. Puissant comme l’instinct de conservation, la pulsion sexuelle doit, cependant, être disciplinée, si nous voulons faire quelque chose de notre pauvre existence ballotée par tant de vents contraires. Chez les femmes et les hommes qui ont renoncé aux plaisirs de la table, de la chair et du lit, afin d’être à plein temps au service de Dieu et du monde, la pratique évangélique des vertus cardinales de foi, d’espérance et de charité garantit l’observance de la chasteté et en révèle la profondeur du sens.


Dominique NGOIE-NGALLA

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.