mercredi 20 avril 2011

Afrique : l’Ancien et le Nouveau

Le survol, la nuit, de l’Afrique subsaharienne, en avion, laisse l’impression, agréable, d’une partie de l’humanité enfin arrimée à la modernité, ou du moins, en procès d’en assimiler les logiques de comportement, la vision du monde des sociétés passées à la modernité. Des villes bâties selon les normes architecturales modernes et joliment illuminées. Et si vous y prenez pied, pas grand-chose ne manque de ce que vous trouvez dans les villes d’Europe : commerces, où sont déversés des articles de toute sorte fabriqués en Europe, ou ailleurs, dans d’autres pays industrialisés ; écoles, instituts et universités dont le niveau est relativement satisfaisant ; des enseignants sortis frais émoulus des universités d’occident y forment une jeunesse dont l’engouement pour le savoir est incontestable. En politique, tous les pays sont passés à la démocratie depuis que le marxisme et les partis politiques uniques ont été disqualifiés. Sur le plan technologique, l’internet, l’invention parmi les plus prestigieuses de la science moderne, est confortablement installé partout. Et vraiment, comme le dit une chanson de chez nous, « l’Europe et la civilisation sont arrivées en Afrique » (Poto-Poto Mpoto Moyindo). Les habitudes alimentaires mêmes, et les manières de table ont subi de telles mutations !

L’habillement aussi, et les modes vestimentaires. L’Occident est en passe de réaliser son rêve : civiliser le monde, en lui imposant, par la violence ou la force de la séduction, sa civilisation et l’âme de celle-ci.

Illusion ! Les cultures approchées résistent. Du moins un certain nombre d’aspects de celles-ci. Descendez de l’avion. Arpentez, une à une, les rues de ces villes dont le spectacle vu de l’avion, la nuit, vous a émerveillé. Et prenez le temps d’observer, d’écouter. Vous vous retrouvez assez vite face à une évidence : non pas l’absorption de l’Ancien (la tradition) par le Nouveau (la modernité), mais, tout simplement, leur juxtaposition. Le nouveau, par prudence, tenu à distance par l’Ancien qui voit en lui un porteur de malheur potentiel.

L’écart séparant l’Ancien et le Nouveau, et indiquant leurs stades d’évolution respectifs au sein de la même humanité paraît aller sans cesse se creusant. Face au progrès irréversible du Nouveau (la modernité rationaliste) sur l’Ancien (la tradition), l’Ancien, recule sans cesse vers les formes les plus archaïques de ses stades antérieurs d’évolution ; comme s’il voulait retrouver le socle de ses valeurs fondatrices. Comme s’il refusait de se laisser capturer par le Nouveau !

En fait, la résistance de l’Ancien (la tradition) au Nouveau (la modernité) et le progrès du Nouveau sur l’Ancien prennent des formes et des expressions différentes selon le registre du Nouveau. L’Ancien sélectionne dans ce que le Nouveau lui propose, les éléments qui lui conviennent, ceux qui sont compatibles avec ses valeurs dominantes ; et rejette, ou maintient à distance, à la périphérie de son noyau culturel, les éléments pour lesquels, en quelque sorte, il ne ressent aucun élan de sympathie particulier.

Après s’être accordé un court moment d’observation, et même, parfois, tout de suite, l’Ancien adhère aux valeurs technologiques du Nouveau. Leur apprentissage et leur socialisation est alors rapide : savoirs, savoirs-faire qui peuvent être la concrétisation de connaissances aussi abstraites que la physique, les mathématiques, la chimie, les arts mécaniques, les arts du bâtiment, la médecine moderne, les arts ménagers, etc.

En revanche, les registres du Nouveau qui concernent les logiques et des productions dérivées de visions du monde particulières, qui sont l’âme même de la culture du groupe : croyances religieuses, mythes, coutumes, croyances diverses font l’objet d’une approche prudente. Leurs contenus ne sont intégrés par l’Ancien qu’après un long délai d’attente, qu’après qu’ils aient donné la preuve qu’ils ne sont pas porteurs de malheur.

A suivre.


Dominique Ngoïe-Ngalla.


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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.