jeudi 7 avril 2011

Au commencement des misères et du sous-développement de l'Afrique noire, son isolement

Les savoirs scientifiques, les inventions et les technologies qui transforment et développent les sociétés humaines se propagent du point géographique qui les a produits à un autre point géographique, à la façon d’une onde sur la surface d’un lac ou d’une nappe d’eau quelconque, de proche en proche. Pour n’avoir pas été atteinte, à temps, par un tel mouvement de propagation, toutes extérieures à elle, d’inventions porteuses de progrès, l’Afrique était mal partie sur le chemin du développement. Elle accumula du retard. Broyée par la traite des Noirs, chosifiée par la colonisation, groggy, elle n’a pas été capable de ces inventions qui changent le destin des peuples. Mais, dira t-on, l’Égypte pharaonique, avec ses merveilles scientifiques, est quand même nègre, les premières dynasties du moins? Je ne cache pas que, pour moi, c’est là une énigme. Et s’il est vrai qu’elle fut nègre, cette Égypte-là, le constat amer est qu’elle ne marqua pas du tout les cultures et les civilisations de l’Afrique profonde; celle qu’on nomme subsaharienne. On n’évoque, pour expliquer ce fait, à la vérité troublant, la probabilité d’une régression de la civilisation nègre retournée au néolithique. On aimerait en avoir des preuves scientifiques. Pour moi, comme d’autres centres du monde qui se trouvèrent à l’avant-garde des grandes inventions, l’Égypte pharaonique ne put atteindre l’Afrique subsaharienne, pour des raisons d’hostilité extrême du milieu physique: le désert interminable, la forêt répulsive. Et, jusqu’au XVIème siècle de notre ère, la houle rend inaccessibles les côtes atlantiques. Les côtes Ouest de l’océan indien, pour d’autres raisons géographiques, ne sont pas plus praticables.

Au XVIème siècle de notre ère, où, enfin, mieux outillé, après l’échec d’Hannon de Carthage au IVème siècle avant notre ère, il entre en contact avec l’Afrique noire profonde, depuis un demi-millénaire sorti du Moyen-âge, l’occident est, alors, une civilisation en plein épanouissement qui se lance joyeusement à la conquête des mers et du monde. L’Afrique, en face, ne dispose d’aucun de ces instruments qui fondent les grandes civilisations : mathématiques, physique. Elle se contente de données empiriques et bâtit des savoirs et des technologies de civilisations de bricolage. En revanche, grâce à son contact permanent avec l’Égypte justement, et aussi avec les civilisations de Mésopotamie, par Juifs interposés, l’Éthiopie fut, elle, capable de choses grandes et belles, et même, de repousser les Arabes fixés en Égypte, de faire échec à leur tentative de la coloniser.

La suite de l’Histoire de l’Afrique noire n’eut pas été la tragédie qu’elle est, si, grâce â sa maîtrise de nombre de savoirs scientifiques et technologiques, alors maître du monde, l’occident s’était comporté en instituteur généreux qu’il lui était impossible d’être: la pression des besoins économiques lui fit oublier ses beaux principes humanistes. Guidé par le dieu du profit, l’occident n’apporta pas à l’Afrique, comme avant lui, Rome à Carthage, et avant Rome, les Grecs d’Alexandre le Grand à l’Égypte, son savoir, son immense savoir et son expérience. Or, grâce à Alexandre le Grand et aux centurions Romains, cette région de l’Afrique (le Maghreb) atteignit autant que nous pouvons en juger par la place faite à la pensée et à la science, la hardiesse de l’architecture et l’art du bâtiment, des sommets dans son versant intellectuel et spirituel. Dans son versant matériel, on eut dit qu’elle défiait le temps. Tous ces beaux temples, ces thermes, ces théâtres construits il y a plus de deux mille ans d’aujourd’hui, qui témoignent du beau génie de ceux qui les avaient conçus et fait surgir de l’esprit et de la pierre. Or, ni les marchands arabes, ni, plus tard, les négriers d’occident ne pensèrent à l’instruction des Noirs pour leur donner les savoirs par quoi leurs propres sociétés s’étaient élevées aussi haut. Bien loin d’instruire les Noirs des connaissances qu’ils avaient eux-mêmes apprises ailleurs, ils les chosifièrent et les réduisirent au rang de simples instruments de production et de reproduction. Le traumatisme psychologique subséquent au refus de reconnaissance de leur dignité d’humains précipite le déclin de la fragile civilisation africaine.

Après de longues générations de tourmente et de souffrances continuées, les Noirs d’Afrique perdirent toute aptitude à une organisation politique et sociale de haut niveau, et devinrent impropres aux grandes interrogations qui préparent le terrain et le climat où naissent les grandes civilisations. Tant de traitements barbares et inhumains devaient ainsi peser sur la conscience des générations successives. La conscience noire devint progressivement le siège de conflits affectifs profonds que les Noirs, par leur rire énorme et intarissable, tentent d’évacuer. Sans beaucoup de succès, semble-t-il. Le poids d’un passé d’enfer est tel que, bien que le temps ait passé et la société nègre pas mal changé, (un grand nombre de Noirs sont élevés dans un cadre social totalement libéré au plan politique comme au plan économique), l’ombre de ce passé de malheur continue de planer sur eux, et sans cesse perturbe leur action. Cela fait que, même chez les meilleurs, devenu «habitus culturel» dans leur comportement social et individuel, le passé de violence de leur race peut faire irruption à tout moment, n’ayant jamais été exorcisé! De même qu’il poursuit les descendants de ceux qui firent au Nègre ce mauvais sort. Il les poursuit, mais en leur laissant le beau rôle.

A cause de ce matraquage physique et moral sur de longs siècles, l’Afrique noire s’est figée dans une espèce d’éternel néolithique dont Hegel ne voyait pas comment elle en sortirait. Cependant, le jugement du philosophe allemand ne fait pas que des désespérés qu’on nomme Afropessimistes. Et l’adage dit bien qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire! Rien donc ne condamne l’Afrique noire à rester la lanterne rouge du peloton des nations. A s’en tenir à ce que tout le monde peut observer, maintenant qu’elle s’est frottée aux meilleurs, l’Afrique ne manque plus de moyens qui lui permettraient, si elle se décidait à cesser d’être la risée du monde ou le «miserabilis» qui appelle sur lui la pitié du monde, de s’éveiller aux problèmes de son temps, et de faire surface et bonne figure. L’espoir d’un tel réveil repose, au-delà de ses richesses naturelles fabuleuses, sur l’existence de son élite intellectuelle. Celle-ci peut, étant donné son volume et sa qualité, mener l’Afrique à des sommets. Mais pour l’instant, il manque à cette élite, un peu frivole, discipline et volonté de conscience.

Dominique Ngoïe-Ngalla

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher monsieur,
Je suis tombé par hasard sur votre blog et me demandais si vous ne seriez pas intéressé à publier de temps en temps chez nous.
http://www.disons.fr
Cordialement

Léon

Cunctator a dit…

Cher Monsieur,
Je suis allé visiter votre blog, il m'a paru fort intéressant et riche. Ce serait un plaisir de publier de temps en temps chez vous.

Cunctator.

neilhector a dit…

merci professeur pour article.

Cunctator a dit…

Hello Ya Neil, it's been a while. How are things going out there? Can you please send me pictures of you and yours.

PNN

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.