samedi 12 mars 2011

Chantez poètes, c'est le printemps

Depuis des années en France plusieurs manifestations sont dédiées aux arts ; on y célèbre la musique, la bande dessinée, le cinéma, la littérature et tout ce qui veut bien se faire considérer comme un art. En ce moment l’un des genres littéraires les plus difficiles et les plus nobles est en fête. Vous ne l’ignorez pas, c’est le printemps des poètes. Pourtant, pour noble et fière qu’elle soit la poésie est depuis quelques décennies, le parent pauvre de la littérature : elle n’attire pas la foule comme le roman et, quoique lui aussi en retrait par rapport au roman, le théâtre. Pourquoi n’attire donc-t-elle pas les foules ? Ne correspondrait-elle pas aux goûts et à l’esprit de la modernité tardive qui lui préfèrent des lectures plus simplettes ? C’est vrai, j’oubliais, la poésie est difficile à saisir si on est pressé même dans ses lectures. Elle exige qu’on lui accorde beaucoup plus qu’un simple déchiffrage de lettres ; elle veut qu’on y entende rythme et sens et qu’on soit touché, qu’on s’émeuve, qu’on s’interroge devant les images qu’elle suscite. Sa beauté et son rôle, dût-elle en avoir un, elle qui, d’après les partisans de l’art pour l’art (Gautier et le Parnasse, Baudelaire, Mallarmé, etc.), n’a d’autre finalité que le beau, ne veut résider dans l’ivresse que procure la musicalité et la symbolique de mots et de vers sculptés avec soin et méticulosité. Son utilité c’est qu’elle apprend à prendre soin et à aimer les belles langues et les pensées droites. L’étonnant Boileau de l’art poétique n’en disait pas le contraire. Si on choisi de célébrer la fin de la grisaille, des ciels ternes et mornes, des températures glaciales avec la poésie, c’est qu’elle, quelque soit sa forme ou sa tendance, exprime mieux qu’un autre art la beauté du monde et des hommes gorgés de laideur.

La poésie nous peint cet être étonnant qu’est l’humain dans toutes ses dimensions et aventures. En cela elle est inéluctablement un art social, un art engagé et surtout un art politique (Hugo, Lamartine, Aragon, Eluard, Char, Neruda, etc.). Cet engagement presque naturel du poète, ce rêveur enlevé du sol, élevé au dessus de la sensibilité peu féconde et de la vision courte de l’homme accablé de travail et du quotidien vulgaires, vient de sa compréhension élevée de la condition et de la vocation humaines, qui lui fait s’évader dans un monde où ses dons exceptionnels lui permettent de toucher, de tâter cette humanité rêvée. Ainsi, tel Moïse descendant du Sinaï, il revient dans la réalité in-poétique avec des épopées nous montrant des hommes aux capacités surhumaines (Diomède et Ajax dans l’Iliade pour ne pas citer le vaillant démiurge), des hommes à la sagesse et à la force de caractère rares comme celle d’Ulysse, dont les aventures résument à elles seules le tragique de la condition humaine. Le poète nous revient avec la puissance lyrique d’Horace, des romantiques, de Verlaine et de tous les autres poètes dont les beaux chants d’amour résonnent à jamais dans le cœur de ceux qui ont le bonheur de les entendre. Ayant tâté l’humanité telle qu’elle devrait être, il redescend de son monde avec soit de l’indignation, de la colère, de la révolte, soit de la compassion ou de la pitié. Rien dans notre réalité in-poétique ne ressemble à cet ailleurs qu’il a le privilège d’imaginer ou de rêver. Alors il pleure, il crie ou se fait railleur. Son chant est d’autant plus touchant lorsque son engagement est soutenu par le beau. La langue poétique n’a rien à avoir avec le langage courant, elle le sublime, l’anoblit, et lui donne parfois une coloration mystique. La puissance de la poésie c’est cette charge qu’elle met dans les mots, cette pensée condensée qu’elle fait vibrer comme de la musique et qu’elle rend plus éclatante. Rien en effet ne fait plus vibrer que des symboles et des évocations éclatantes d’ombre comme les beautés en clair-obscur des peintres baroques, que la douce mélancolie de ces savants en art poétique qui seuls savent mêler le doux à l’aigre, le triste au beau qui vous fait d’emblée sentir ces « Sanglots longs/des Violents/De l’automne qui Blessent mon cœur/D’une langueur/Monotone » (Verlaine, Poèmes saturniens). Seule l’intuition poétique de Senghor, ce grand poète aujourd’hui pour je ne sais quoi malmené, pouvait lui faire dire « La raison est Hellène, l’émotion est Nègre ». Grand dieux, Senghor ! Le courage et la folie poétiques firent chanter à Césaire l’humanité ouverte des « fils aînés du monde/poreux à tous les souffles su monde/ aire fraternelle de tous les souffles du monde » méprisés, maltraités floués et moqués.

Cette année le printemps des poètes est précédé par un autre printemps, celui des peuples arabes. Comme les autres ils clament leur vocation à la liberté et à la dignité. Face à des princes ubuesques qu’on aimerait voir décrits en vers contemporains, ces peuples mahométans, qui en France seront prochainement l’objet d’un débat nauséabond et in-constructif, réclament la part de dignité qu’ils partagent avec les populations frappées d’asthénie et d’apathie des vieilles démocraties, endormies par la surconsommation et un individualisme béat rendant caduques les droits et devoirs du citoyens âprement gagnés. Il n’y a pas ici de prince grossier et autoritaire dont il faudrait se débarrasser, mais le danger guette l’Occident d’abord, le reste du monde ensuite, de la compromission avec des principes transformant l’homme en une bête vulgaire et méchante jouant un jeu dans le quel les gagnants sont ceux qui gagnent, s’enrichissent sur le dos des perdants jetés dans une misère et une indignité que n’expliquent que la bêtise et la cupidité. Alors poètes, c’est votre printemps, chantez, le monde ne vous pas suffisamment entendu encore.

Cunctator

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.