mardi 18 mai 2010

Les formes de notre liturgie sont le reflet de la qualité de notre foi

Je suis tenté de juger le niveau et la qualité de la foi des fidèles d’une communauté, par la qualité formelle de ses rites de célébration, tout autant par l’ambiance et le climat qu’ils créent. A perception fruste, utilitaire et fétichiste du sacré, liturgie impressionniste et bruyante, peu soucieuse de cette retenue que, d’instinct, à condition d’y avoir été préparé, nous impose le contact authentique avec l’éclair du divin. A vision noble et adulte du sacré, liturgie travaillée, destinée, non à nous rendre propices des forces cachées menaçantes, mais à orienter vers le mystère d’un Dieu aimant, l’humble créature dont Thomas d’Aquin ne trouvait pas de mots pour dire l’insignifiance. J’étais allé au catéchisme, encore enfant, aux temps heureux où l’enseignement des choses de Dieu insistait sur le tragique de la condition humaine, mesuré sur l’incompréhensible décision d’un Dieu de s’incarner, afin de sauver l’homme. Je grandis ainsi avec le sentiment tragique de l’existence et que Dieu, c’est sérieux. Ce Dieu dont, en classe de 5ème déjà, des vers de Victor Hugo s’étaient chargés de me rappeler l’infinie majesté: «Ô Père qu’adore mon père/ Toi dont le nom terrible et doux / Fait courber le front de ma mère». Plus tard, en Europe, la hardiesse de l’architecture des cathédrales romanes et gothiques, symbole de la robustesse d’une foi prise dans son plus pur élan, vint structurer ce qu’au catéchisme, j’avais saisi d’intuition. C’est alors que je compris sur quoi repose la beauté austère de la liturgie de l’Eglise romaine. Celui qui a visité la cathédrale de Chartres, en France, et d’autres de la même stupéfiante beauté, en revient toujours avec la bouleversante émotion qui traverse la poésie de Charles Péguy, le pèlerin infatigable de Notre-Dame de Chartres. On se dit alors que seule la haute conception qu’ils se faisaient de Dieu et de son mystère avait inspiré aux architectes et au clergé la majesté de ces lieux de culte, et une telle pureté de leur rite liturgique.

Par comparaison, je suis conduit à m’expliquer,aujourd’hui, la mièvrerie, lapauvreté de la liturgie de l’Eglise africaine, où l’exubérance un peu niaise,l’indisciplinable pétulance est prise pour une composante essentielle de l’art, par le caractère puéril de la foi des chrétiens africains. Le Dieu de l’Evangile est, ce faisant, et inconsciemment ramené au rang d’une vulgaire divinité terrienne, le «mukisi», pour la célébration intéressée duquel nos ancêtres conçurent des rituels où l’émotion prend le pas sur la méditation; le corps sur l’esprit,sans retenue, conformes au profil de nos petites divinités locales, frustes, rustiques et grimaçantes. A de telles divinités anthropomorphes et étriquées, nos ancêtres, on peut le comprendre, n’étaient pas liés par ce qu’on peut appeler de la piété qui implique une relation fondée sur l’affection. Ces esprits de la terre, «mikissi», n’étant, après tout, que juste des forces mystérieuses, au fond dépourvues d’une véritable conscience, pas une providence donc qui se soucie du bonheur des humains.

Pour s’attirer leurs bienfaits, on ne leur adressait pas des prières. On mettait leurs forces mécaniques aveugles en mouvement, au moyen d’incantations magiques dont l’efficacité dépendait du respect scrupuleux, par les fidèles, des paroles rituelles. On ne peut parler, ici,de spiritualité; ou alors, elle est bien élémentaire. Bien des pasteurs et des fidèles de la chrétienté africaine en sont malheureusement restés là, prisonniers de traditions obscurantistes dont, par fidélité à l’Afrique de leurs ancêtres, ils se gardent bien de sortir. A se demander si ces prêtes, ces pasteurs et ces fidèles ont bien lu Mathieu dans l’évangile duquel le Christ bouscule les traditions, à ses yeux, redoutable obstacle à l’intelligence et à la mise en pratique de sa parole.
Article paru dans "La semaine africaine" du 19 mars 2010.

11 commentaires:

B-K a dit…

Ce texte tranche avec un autre de Ngoïe-Ngalla qui parlait de la foi vu d'une église en France. Cette vision comparative est très intéressante. Au fond que cherche-t-on du fond du tombeau de Jésus dont on demande bruyamment de rouler la pierre ?

B-K a dit…

C'est étonnant de voir que tout de la foi au Congo et e la politique est ressemblant. prenez une chanson à l'honneur de papa la mesure est la même que celle d'une chanson en l'honneur de nzambia mpungu.
En voici un exemple :
papa pa ééééé
tu es parti pour toi ééé
tu nous a laissé tous triste
et pour accompagner le tout vous penchez votre cou du côté gauche, en battant des mains. Deux mesures, en faisant 1, 2, en laissant un blanc entre les 1, 2.
Vous reprenez le tout vous mixez en langue nationale. Ce qui vous donne :
Tata nzambié ééééé et tata
muké sosa ngué wapisikanguékéléééé.
a aussi faite le même exercice avec les main vous aurez la même sauce !
C'est prfois drôle de savoir que l'ivresse est la même qu'importe le flacon !

PNN a dit…

Et que dire du sacré mfumu eeeh yoyo, symbole musicale de la grande proximité du religieux et du politique...

B-K a dit…

PNN,
ce qui est ici en cause c'est le poids du mensonge et des fioritures qui forment l'épais voile qui nous empêche de voir dans l'infinement petit la grandeur de Dieu. Saint François d'Assise a montré la voie, ainsi que Theilard. J'ai en mémoire l'épisode de la Sainte cène célébrée avec des patates douces dans Saint Monsieur Bally de William Sassine. Plus que la douceur des patates, c'était le côté Foucaultien de l'acte communuant avec la nature, en plein désert, qui me touche. Mais là, dans le cas qu'évoque Ngoïe-Ngalla, c'est plutôt de la convertion estomanale - entendez par là l'estomac et l'anus- dont il s'agit. Le procédé est le même que celui de la politique où papa nachional, grand coumandeur des gargottes et des zizis donne à manger dans sa main à qui croit en lui dans son infiniment petit humain.

B-K a dit…

C'est à la fois rablaisien et pathétique. Ces grosses ripailles qu'affectionnait joseph désiré où l'on voyait des montagnes de riz et mangounza, de mwambe pleine de gras, de plat trois pièces, que l'armée de mouches à merde attaquait au pas, en se servant six fois s'il le fallait pour honorer tous les plats. Le spectacle était digne du dernier repas du Christ. Les mangeurs, en costume cravate, en plein soleil caniculaire d'Afrique, léchant l'assiette de mwambe, avec le doigt qui sert à porter les chaussures de chez Weston.
C'est unique !

PNN a dit…

Kie kie kie, comme tune changes pas, sacré BK!C'est dommage que chez nous il y ait au sein de l'eglise très peu de pratique spirituelle, il ne demeure que le cultuel décharné. Le Dieu d'Isaac et de jacob n'est plus simplement loué pour son immense amour et son infinie grandeur, mais pleuré, appelé par ses enfants du Congo et de bien ailleurs dans le monde tropical (comptes-y les afro-américains) pour des raisons utilitaristes. La pratique de la fopi chrétienne est peu suivi pour ses vertus libératrices et révélatrices de la dignité de l'homme.

B-K a dit…
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B-K a dit…

PNN,
vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libèrera. Cet évangile de la libération est restée inopérante en Afrique. Combien d'hommes libres et de bonne moeurs ? Combien de porteurs de lumière qui tiennent lieu de locomotive pour permettre à leurs semblables de s'élever et d'être à l'image de Dieu, c'est-à-dire des hommes dignes et libres en conscience ?
J'ai bien peur que pour le cas du Congo, il y ait trop de doigts dans une main pour compter les élus.
Nous avons assassiné Dieu en nous. Nous l'avons néantisé, le repoussant jusqu'à l'estomac. Notre estomac a eu raison de Dieu. La seule odeur de saintenté qui s'y dégage ce sont nos flatulences. D'ailleurs, il y a une belle scène de notre état d'esprit dans une pièce de théâtre de Jean Genet intitulée la scène des pets. Nous vénérons le dieu des pets.
C'est le triomphe du plat de lentille sur l'Amour du Frère !
La fraternité est morte au Congo.

B-K a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
B-K a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
B-K a dit…

PNN,
la foi sans les actes est morte.
Qu'avons-nous fait de notre vocation humaine ?
Tiens ! Nous sommes dit-on indépendant depuis cinquante ans. Qu'avons nous fait de notre liberté, hein ?

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.