jeudi 6 mai 2010

Grèce: quand le FMI prête aux riches

Entrée dans la zone Euro grâce à une falsification de ses comptes la Grèce déja bien affaiblie du point de vue économique a été assomée par la crise. Elle est au bord de la banqueroute. Pour pouvoir la sauver un important plan de d'aide de 110 milliards d'Euros impliquant le FMI (30 milliards) et les Etats membres de l'Union Européenne (80 milliards) a été arrêté le 2 mai 2010. Inédite dans la zone Euro l'aide du FMI, peu sûre il ya quelques mois, indignait les officiels européens; ils voyaient une aberration en cette intervention probable. Sans doute l'intervention du FMI leur rappelait les pays du Sud, notamment les pays Africains, souvent très pauvres ou incapables de gestion sérieuse des finances publiques, obligés, tels des mendiants, de tendre la main à cette généreuse institution pour leur éviter les conséquences sévères de l'assèchement des finances publiques. Pour nous aussi gens du Sud, habitués à voir le FMI jouer les pompiers et essayer d'éteindre les incendies provoqués par l'état catastrophique des finances de nos pays en voie de développement, dont certains sont depuis devenus "émergents", il était impensable que le FMI intervienne un jour dans l'une des zones les mieux loties du globe. La crise ayant durement frappé certains pays d'Europe hier encore à l'Est, la nécessaire intervention du FMI dans ces pays semblait aller de soi. Il s'agissait de pays nouvellement entrés dans l'Union Européenne ou souhaitant y adhérer: Hongrie, Roumanie, Ukraine. Des pays ayant un retard à rattraper sur leurs voisins européens, donc relativement pauvres. Pour les européens plus à l'ouest, il fallait à tout prix éviter la honte que causerait l'intervention d'une institution depuis des décennies dévolues aux pays les plus mal-en- point de la planète. La pauvreté, on le sait est une maladie honteuse, surtout pour un pays faisant partie d'une zone privilégiée. Gare à qui l'attrape!.

L'intervention prévisible du FMI en Grèce aurait pu être évitée avec une intervention rapide des pays européens et sans les tergiversations de l'Allemagne au sujet d'une aide des capitales européennes. Le traité constitutif de l'Union Européenne ne prévoyant ni de mécanisme d'aide entre Etats membres ni de possibilité d'aide de la Banque Centrale Européenne, il est compréhensible que les discussions aient duré un moment. Entre le respect orthodoxe de la norme européenne et le sauvetage d'un voisin en grande difficulté qu'est ce qui devrait l'emporter? Dur pour la construction européenne, que peut-elle faire sans solidarité. Que des pays européens ne respectent pas le pourcentage de leur PIB devant être consacré à l'aide publique au développement (0,7%), c'est justifiable: non seulement elle a jusqu'ici été peu utile aux populations qu'elles est sensée faire évoluer, mais encore il s'agit de populations éloignées, que peu humaniste on néglige facilement. Cependant, comme s'interroge Marianne, Athènes, ce n'est pas en Afrique. Il est admissible qu'on ait la main hésitante et lourde quant à faire l'aumone à une personne peu ou pas proche de nous, mais la solidarité envers ses proches devrait être un devoir à accomplir dans la limite du possible, surtout quand le mal touchant ce proche est susceptible, si rien n'est fait de nous atteindre aussi.
Aujourd'hui, l'Europe, grâce à la Grèce, va vivre l'expérience des pays du tiers monde recourant aux aide du FMI; eux qui, comme de grands enfants, ont du mal à régler seuls leurs problèmes. Voila qui rajoute à la honte de l'Europe qui, en de multiples occasions porteuse d'aide et de secours souvent intéressés (les prêts accordés sont soumis à des intérêts qui allourdissent davantage le service de la dette), se voit dans la situation embarrassante du demandeur. Lorsqu'on rejette la prudence comme principe de gestion et de direction on se retrouve facilement dans des situations qu'on envie pas aux autres.

Cette aide financière, dont le but est en principe d'aider un pays à retrouver des finances publiques plus saines, contribue souvent à l'enfoncer davantage car elle est assortie de conditions difficiles. Par le biais de programmes d'ajustement structurel drastiques (PAS), le PARESO congolais lancé en 1994 en est un exemple, des réformes sévères sont imposées aux pays afin de rendre les finances publiques rentables. Il s'agit de compresser les dépenses et d'augmenter les recettes de l'Etat. Cela implique, au niveau de la réduction des dépenses, des réductions de la masse salariale de la fonction publique, des réductions des dépenses de fonctionnement (éducation, santé, culture...), des réductions des investissements, des subventions; et au niveau de l'augmentation des recettes, un alourdissement de la fiscalité, l'orientation de la production à l'exportation, la privatisation des secteurs rentables de l'économie (énergie, transports, télécommunications). La Grèce va ainsi subir conséquences sociales de ces programmes d'ajustement d'inspiration néolibérale: paupérisation, déclassement des catégories intermédiaires, recession ou stagnation du fait de la baisse des investissments et du chômage qu'elle provoque nécessairement. Même pauvres et endettés, certains pays d'Afrique fuient désormais cette aide comme la peste, lui préférant les aides bilatérales moins contraignantes comme celle de la Chine ou du Brésil.
Cunctator.

7 commentaires:

Obambé a dit…

Excellent sujet et non moins excellent billet.

J'y reviens dès que le temps le permet. J'adore voir des Africains traiter aussi des sujets qui nous paraissent lointains mais qui en réalité sont nôtres.
Dommage que ces Africains soient aussi rares. A suivre.

Obambé G.

PNN a dit…

@Obambe: Nous vivons tous dans le même monde, de surcroit, notre présence en Europe fait que ses problèmes nous préoccupent.

Cunctator(PNN).

Obambé a dit…

Bonjour,

Il y a un autre fait qui me tient à cœur : si nous voulons construire ce Congo, si nous faire de cette Afrique, un continent performant sur les plans politique, économique et social, il est impératif de savoir ce qui se passe, ce qui se fait en dehors de notre continent. D’où l’utilité d’avoir des experts en économies européennes, américaine, asiatique et océanienne. Idem pour leurs politiques. Un jeune Africain aujourd’hui qui veut s’armer doit trouver de la matière, venant de la part d’Africains comme lui qui s’expriment sur ces questions. Le décideur africain doit trouver les mêmes infos. Ça nous évitera, en arrivant en Occident, de signer n’importe quoi comme accords qui, la plupart du temps nous sont préjudiciables.
Revenons donc à cette fameuse crise et à ton analyse.

Ce qui m’intéresse, en tant qu’Africain, dans la tragédie grecque, ce sont les leçons à retenir par nous et pour nous, en espérant que cela nous serve dans le futur. Un futur même immédiat. J’aimerais lire les avis de nombre de politologues, économistes et autres géopoliticiens africains sur ce sujet. Encore une fois, je te félicite d’aborder ce sujet.

La chose la plus réjouissante pour les pays africains serait de voir que des Etats européens, accompagnés du FMI (à hauteur de 27,27% pour ce dernier) se sont penchés sur le lit de ce très grand malade qu’est la Grèce moderne. Question simple et très bête : combien de fois l’UA ainsi que les organisations sous-régionales que nous avons à foison sur notre continent se penchent sur les lits des pays africains pour débloquer avec une telle vitesse (que les Européens trouvent lente, mais que nombre d’Africains avec qui j’ai discutés trouvent rapide) quand l’heure est grave ?


O.G.

Obambé a dit…

Suite :
La honte d’en appeler au FMI, tu l’as dit, a gagné pas mal d’Européens. Comment peut-on s’imaginer, lorsqu’on est persuadé d’être grand, beau et fort, riche et très bien portant, qu’on ferait appel à un tel médecin ? Il en va ainsi des hommes comme des systèmes qu’ils créent tous les jours : leur existence est jalonnée de montées et de descentes. On ne peut être tous les jours au sommet, et il faudrait avoir l’humilité de reconnaître qu’on a besoin de l’aide d’un plus petit que soi. Combien d’Anglais vont chaque année se faire soigner dans de très bonnes conditions (y compris financières) en Tunisie, délaissant les conditions sanitaires, dit-on, en décrépitude dans la Perfide Albion ? Je crains par contre que, de notre côté, des gens se lèvent en nous disant : « Voyez-vous, chers panafricains, vous nous demandez de ne plus avoir recours au FMI, alors que la Grèce, le berceau de la civilisation européenne reçoit son aide ! » Là, il faudra recommencer à expliquer les fondamentaux et ça, c’est un vrai sport, toute une vie…
L’une des raisons de la banqueroute grecque est le fait que ses gouvernants successifs, toutes tendances politiques confondues se sont amusés à maquiller, à saupoudrer, à mettre du vernis reluisant sur les comptes publics. 9 jours pour le voleur, le 10e est réservée au propriétaire. La vérité a fini par éclater. A nous de comprendre encore une fois, en revenant vers nos vertus cardinales ancestrales (le kimuntu, le bomoto, la Charte du Mandé etc.) qu’en politique, le mensonge ne mène pas bien loin. La vérité blesse, mais elle ne tue pas toujours, quand les choses sont dites. Si on peut dire à son enfant : « Non, je ne peux t’acheter des Nike à 100.000 cfa », il n’en mourra pas.
Au sujet de l’intervention lente de l’Allemagne que tu relèves, en effet, d’après les experts européens qui ont défilé pour nous expliquer la chose, a été assez préjudiciable aux Grecs et c’est une autre forme d’humiliation que ces derniers ont subi, en entendant entre autre les Allemands leur dire : « Qu’ils vendent quelques unes de leurs îles… » Je comprends les Grecs (le peuple, pas les gouvernants), mais ils doivent se souvenir que la réunification allemande a coûté 500.000.000 $ à l’ex-RFA et que, pour nombre d’Allemands, malgré la prospérité actuelle de leur pays, ce serait une nouvelle pilule à avaler, assez amère. C’est là où je pense que Merkel a pêché car, je ne sais pas quelles sont exactement ses convictions, elle a mis en avant les élections à venir (qu’elle a perdues d’ailleurs) en lieu et place de vies humaines en danger, à la place d’un Etat qui risquait de s’effondrer. C’est aussi à cela qu’on reconnaît un Homme d’Etat, qui se distingue d’un homme politique. Le « court-termisme », ça tue. Là aussi, les Africains qui passent leur temps à tendre la main, en quête de pseudos aides venues du Nord devrait y réfléchir encore une fois : si entre eux, ils ont du mal à accorder leurs violons pour s’entraider, c’est gracieusement qu’ils viennent faire des dons dans nos pauvres pays ?

Il y a tellement de leçons à tirer de cette tragicomédie. O.G.

PNN a dit…

@Obambe
En tout cas, vieux il serait vraiment judicieux, comme tu le préconises que nous africains, notamment les décisdeurs tirent des leçons de la crise qui frappe le vieux monde développé-l'Afrique et les autres pays émergents sont moins touchés que les pays désindutrialisés". L'économie m'a toujours intéressé, mais faute d'engouement pour les maths, j'ai évité très tôt cette option...
Le règlement de le crise grècque nous montre également à quel point dans un monde aux enjeux complexes, un monde ou de très puissantes institutions privés, donc peu soumises aux principes du droit public international,peuvent sceller le sort d'un Etat, l'importance des rapprochements au sein d'institutions régionales ou sous régionales.

toucri a dit…

merci,et j'apprécie beaucoup votre billet et sans me mettre du côté faible je peux simplement répéter : on ne prête qu'aux riches!!!
alors nous.... c'est pas encore le moment, mais bientôt si nous le voulons ils viendrons aussi emprunter chez nous.

Anonyme a dit…

Merci Toucri, ne penses tu pas que c'est déja le cas, mais sous d'autres formes?

Merci et à bientôt sur cet espace.

Cunctator

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.