Le compromis permanent avec des
déviances universellement reconnues comme telles, le compromis avec des
tendances, des attitudes contradictoires avec la dignité de l’humain, s’il est
la marque d’un relativisme béat ou d’un cynisme effrayant, est encore la preuve
d’un inquiétant manque de courage, car, pour son confort, on refuse de choisir,
de trancher, de dénoncer, de s’indigner. Comme les collabos d’hier on refuse l’affrontement,
on refuse la résistance. Malheureux ceux qui optent pour une telle voie par
souci de préserver toujours les bons rôles. Le ni-ni n’est pas une posture, c’est
une mort à petit feu, car il conduit toujours aux égouts de l’histoire.
Aucun
mépris pour ce siècle ne m’anime, aucune haine d’être de ce temps, même si par
moments on en a honte. Etant de ce siècle sans possibilité de m’exiler dans un
autre, quand bien même, si mon tempérament me le permettait, je pourrais
décider de ne pas tendre l’oreille aux cris, aux grognements, aux pleurs et à
toutes les plaintes, les colères, les douleurs et les frustrations qu’ils
charrient, je suis obligé d’en affronter le tragique. Et ma conscience ! A
elle on n’échappe pas. Comme l’œil dans le poème de Victor Hugo, elle nous suit
jusqu’à notre ultime retraite et jamais ne cesse de nous interroger. De son
temps, il ne suffit pas d’avoir honte, il faut oser le regarder avec lucidité,
ce courage de la vérité, et se jeter dans l’arène, se battre, lutter contre
l’infâme et l’écraser comme le demandait Voltaire ; lutter contre l’arbitraire,
la haine de l’autre, l’égoïsme et tous ces maux qui nous minent. Seulement
mener un tel combat exige un courage auquel notre époque ne nous a pas
préparés. Dispensés de réfléchir par tant et tant de sollicitations niaises,
nous sommes plutôt préparés à subir. Or qui subit ne décide de rien, même pas
de son avenir.
La
tâche de conduire les nations et de réfléchir aux fondements de leur cohésion,
aux conditions de leur progrès et de leur aisance, comme nous le montre
l’histoire des sociétés, a de tout temps été confiée à un « petit
bataillon de grandes âmes vouées à une noble cause », l’élite. Il est dès
lors normal que ce soit à elle qu’on s’adresse lorsque les choses sont
difficiles. Elevés dans le culte de la grandeur et de la noblesse les grands
hommes d’Etats, avec éclat ou de façon terne, n’ont jamais manqué à l’appel
quand le destin de leur nation traversait une passe effroyable. Plus forts que
leur temps en inversant, que ce soit avec le sabre ou la pensée, l’ordre des
choses, ils ont ouvert de nouvelles voies et irrigué d’espoir des consciences
tourmentées et accablées de doute. Mais c’était là des hommes d’autrefois, des
hommes du temps où ne pas être vertueux à 18 ans, lorsqu’on était de cette
race, c’était avoir raté sa vie. Ce qui est inquiétant aujourd’hui c’est que
notre temps a remisé de tels idéaux dans les placards de l’histoire. D’autres
rêves, mais plus prosaïques ceux-là ont, depuis remplacé l’idéal de vertu. Ils
se nomment réussite, célébrité, richesse. Des choses communes qui échoient à
tous sans considération de de la valeur, de la grandeur et de l’amour
inconditionnel de son pays. En voulant être une élite qui n’a de grand que le
prestige des positions et des rôles; cette dernière a échangé les idéaux qui la
distinguaient pour les remplacer par celui de star, et de ce fait a perdu le
sens du tragique. Une élite qui troque les attributs de son principat contre
ceux de la piétaille n’est pas capable de hisser cette dernière vers le haut ;
de montrer le cap et surtout de le maintenir contre vents et marrées. A force
de baigner dans la banalité, les choses, importantes comme insignifiantes,
acquièrent toutes la même valeur.
Que
sont les grands hommes devenus ? S’interrogeait Jacques Julliard, et avec
lui beaucoup d’autres. Ces hommes, dont la grandeur éclatait aux moments les
plus sombres, faisant front contre les menaces les plus terribles, ont migré
depuis bien des saisons maintenant, et avec eux le courage, la foi, l’amour, la
justice, la compassion. Aujourd’hui, la mesquinerie et la banalité ne règnent
pas que dans la foule. Mais ce dont on souffre le plus de cette disparition, c’est
la fin du courage. Courage d’autant plus nécessaire que l’incertitude, et les
menaces de tout ordre menacent nos sociétés. C’est en effet, écrivait
Descartes, « dans les affaires les plus dangereuses et les plus désespérées
qu’on emploie le plus de hardiesse et de courage ». Du courage il en faut pour
proposer des solutions viables et originales pour avancer dans ce monde
tumultueux ; du courage il en faut pour affirmer sa singularité et
apporter des solutions qui tiennent compte des particularités locales ; du
courage il en faut pour expliquer clairement l’état du pays et exiger des
efforts justifiés. Or, les
politiques, particulièrement ceux-là tributaires du suffrage universel, ayant
en permanence le souci de s’assurer un autre mandat lorsqu’ils sont chefs de
l’exécutif, ne se préoccupent plus tant de régler les affaires selon les
nécessités de l’heure, que de plaire à l’opinion et de donner vie à ses
fantasmes. Par ailleurs obéissants à des intérêts incompatibles avec l’intérêt
général, ils orientent leur politique selon les exigences de ces derniers qui essuient
leur souillure sur les habits de la République. Ainsi, par la faute de
politiques de petit calibre, des nations entières sont menées non pas par la
vision que partage le chef et ses administrés, mais plutôt par la double
dictature des intérêts des puissants et de celle de l’opinion au sein de
laquelle les plus populistes d’entre eux font leurs emplettes.
On
l’a vu en France, un brillant politique, Président de la République de
surcroit, en principe défenseur des valeurs humanistes françaises, céder au
grand désarroi des bien-pensants et des idéalistes, à une rhétorique de cloaque
et d’égouts. Il s’est plu à manipuler des puanteurs dont même les déchets de
l’histoire ne voudraient pour un sou. Pourquoi ? Les partisans de la haine de
l’autre et la mésentente nationale gagnaient du terrain dans ce pays. Il
fallait les arrêter comme Charles Martel arrêta les Maures. Charles Martel
avait évité à son pays un véritable péril, pas ce Monsieur, car ces autres dont
il faut se méfier, qui menacent-ils en France, sinon les imbéciles et les
racistes ? Peu courageux comme attitude ! Vraiment déplorable ! Si je ne
m’abuse, les Français, qui, je l’espère, ne sont pas tous racistes, lui ont
reproché cette regrettable manœuvre. Mauvais général ! Porteur d’une parole
quasi sacrée, sa démarche a séduit et, au lieu de récolter les résultats
escomptés, a contribué à ériger un parti douteux et effrayant de par son idéologie
à des niveaux plus que satisfaisants, de sorte que le racisme et le rejet de
tous ceux dont l’altérité brille sur le front sont désormais chose commune dans
ce pays à tel point qu’une ministre de la République en a récemment fait les
frais.
Ce
qu’il faut, et c’est valable pour l’opposition également, ce sont des hommes
politiques auxquels déplaire ne fait pas peur, des hommes politiques nourris au
lait de la vertu telle qu’on en la fait plus aujourd’hui. Comme le rappelle si
bien Cynthia Fleury, « il n’y a pas de courage politique sans courage moral, la
fin de la négociation avec l’inacceptable et le désarroi qu’il engendre
s’appuient nécessairement sur la reconquête de fondamentaux personnels et
collectifs. »
Philippe Cunctator
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