lundi 2 juillet 2012

Démocratie adulte et apaisée: la nécessaire mais difficile adéquation de la fidélité au renoncement

L’homme a besoin, pour son équilibre psychologique, d’enracinement. Et vite qu’il retrouve ses repères si, par malheur, il venait à perdre! Seulement, l’enracinement est semblable à la mémoire où l’oubli est, dans un cas, faiblesse morale, vertu dans l’autre, la vertu résidant dans leur adéquation à une nécessité éthique. Dans le cas de la mosaïque d’ethnies que sont la majorité des Etats de l’Afrique noire, l’enracinement aveugle des citoyens dans l’appareil idéologique cloisonné du terroir de leurs aïeux est faiblesse morale, source d’antivaleurs, comme la xénophobie, le repli et la violence identitaires constituent un obstacle redoutable à la construction d’un vivre ensemble harmonieux entre étrangers, à la formation de cette grande âme collective qu’on appelle la nation.


La responsabilité des partis politiques et de l’Etat.

Pour autant qu’ils s’assignent pour tâche la formation des citoyens à la société démocratique et qu’ils ne se définissent pas comme des espaces du dressage des molosses à lancer sur les voisins, l’implantation de partis politiques dans tous les départements du territoire national peut être saluée comme un signe positif de décloisonnement des ethnies, de leur mutuelle acceptation, le signe du surmontement de leurs contradictions que la juxtaposition ou la superposition des pôles d’identification de l’individu où le pôle d’appartenance prime, faisait craindre qu’il ne soit pas possible, avant de longue générations. L’analyse d’un certain nombre de pratiques peu citoyennes répandues dans toute la République sans que s’élève une vive réprobation des partis politiques et de l’Etat coordonateur de tous les processus sociaux, confirme nos craintes et nous conduit à des conclusions désenchantées. Dans une telle République et un tel Etat où, du fait de la forte charge affective des liens, le pôle d’identification groupale prime sur tous les autres (confessionnels, professionnels, scolaires, sportifs), la promotion sociale, professionnelle ou politique du citoyen est d’avance compromise, dès lorsqu’il ne se trouve pas du «bon coté».


C’est le critère de l’appartenance groupale qui décide. Le principe républicain de l’égalité des chances entre citoyens égaux est, sans vergogne, foulé aux pieds. Fondée ailleurs sur le mérite, l’accès aux meilleurs postes à la fonction publique, à la police, à l’armée, à tous les corps de métiers contrôlés par l’Etat, est ici déterminé par de tout autres critères, affectifs ceux-là.


L’Etat, il est clair, est ici un instrument de domination au service d’un groupe ethnique à quoi se réduit, alors, la totalité de la société dont il est censé être le produit et l’émanation. Nous sommes retournés à l’Etat traditionnel, archaïque, contrôlé par une minorité qui a le monopole de la décision politique et administrative, mais toujours en conformité avec ses intérêts particuliers. Naturellement, les citoyens écartés du partage broient du noir et finissent par perdre foi en la promesse de l’avènement d’une République de citoyens égaux et frères, et ruminent des solutions nihilistes.


De telles conduites narcissiques de repli identitaire qui sont des conduites naturelles à l’ethnie, dès qu’elle se trouve placée face à d’autres ethnies, restent un frein redoutable au processus de rationalisation progressive de tous les processus sociaux par quoi se fait le passage de l’Etat archaïque à l’Etat moderne qui s’assigne comme tâche de relever toutes sortes de défis émotionnels auxquels exposent le cloisonnement ethnique et le solipsisme identitaire, tentation permanente de l’homme. Tout change, dès que l’ancrage culturel, bien naturel, devient nécessité éthique d’appropriation spirituelle de soi, impossible, en tout cas difficile si on vient à perdre ses repères.


C’est le nécessaire «noti seautonn» socratique, connais-toi toi-même, d’après le philosophe grec, l’acte fondateur de la connaissance scientifique, chez l’homme, et le principe de l’éveil de l’esprit aux problèmes du monde. Il est l’acte par lequel commence l’aventure spirituelle de l’homme appelé à devenir ce qu’il est: une personne, être de raison s’accomplissant dans l’ouverture au monde des humains. Tout le contraire du cloisonnement ethnique, agressif à force de craindre l’autre et sa différence. Se connaître, afin de savoir sa vocation: sujet responsable de soi et de l’univers. Et c’est tout le devoir de l’Etat républicain et de ses institutions d’éducation: former à la conscience citoyenne de responsabilité de chacun sur tous et de tous sur chacun; progressivement, de génération en génération, avec patience, avec constance, sans se lasser jamais.


Jusqu’à ce que nos origines culturelles, nos racines donc, et leurs valeurs redécouvertes deviennent le support sur lequel peser, pour nous lancer à la découverte d’autres mondes et d’autres humains à aimer. La vertu de l’ancrage dans l’humus fécondant du terroir semblable au sein maternel, réside ainsi dans l’adéquation de cet ancrage à une nécessité morale: se connaître grâce à l’éveil aux valeurs authentiquement humaines du terroir et ainsi accéder à une meilleure connaissance de l’autre avec lequel je me découvre des liens de fraternité et de communauté de destin.


Dans l’Afrique noire des Etats multiculturels et multiethniques en permanence secoués par des crises politiques, le chemin d’une démocratie… adulte et apaisée, et donc économiquement viable et vivable, passe par une subtile articulation de la fidélité et du renoncement à nos racines. Le jeu, il est clair, ne va pas sans courage et une certaine forme de l’intelligence.


Dominique Ngoïe-Ngalla, La semaine Africaine, 26 juin 2012

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.