mardi 16 août 2011

Afrique: le marxisme et le socialisme, était-ce la solution, était-ce le moment?


Au regard de l’ampleur des ravages, la réponse est bien entendu non. Et les raisons de ce rejet ? Elles sont essentiellement d’ordre anthropologique. Le marxisme et le socialisme avec leur horreur des rapports d’inégalité et de domination de l’Etat capitaliste, faisaient irruption dans des sociétés dont le mode d’organisation fondé sur la soumission consentie des cadets aux ainés, n’était pas celui de l’Etat que combat l’idéologie marxiste. À moins d’appeler Etat, même occupant des territoires de grande étendue, des formes plutôt parentales de gestion du pouvoir, où le lien de sang est déterminant ; où l’autonomisation du politique est loin d’être nette. Ce que, aux XVe-XVIe siècle dans le bassin du Congo, sur des fondements analogiques, les voyageurs Européens s’étaient dépêchés d’appeler royaumes ou empires, n’était en fait que des aires culturelles aux composantes ethnolinguistiques liées par une grande proximité : coutume, codes sociaux, obéissant, hors institutions politiques contraignantes et vraiment formalisées, à un notable dont la légitimité ne reposait que sur le poids d’une longue tradition et des mythes habilement exploités. Ce notable incarne l’unité, longtemps uniquement culturelle, par la suite politique, de l’aire culturelle. Son intention et son désir d’intégration politique de l’ensemble se heurtent à l’absence de moyens logistiques : corps de fonctionnaires spécialisé, police, armée de métier, l’écriture et l’incontournable bureaucratie qui n’a pas que des vices. Cela fait que, hors le petit canton où ce mfumu nsi (le chef) a établi sa capitale, en fonction de la distance géographique qui le sépare de ce chef, chacun en fait à sa tête.

Les groupes lignagers les plus en vue et les plus puissants dont il a fait ses représentants locaux, jouissent d’une grande autonomie, de sorte qu’ils redoutent plus les populations sur lesquelles il sont sensés exercer leur contrôle que ce trop lointain roi. Tels nous apparaissent les royaumes et les empires africains précoloniaux, du moins les royaumes de Kongo, de Loango et de Mukoko du bassin du Kongo, et plus loin l’empire Luba-Lunda. Ils amorcent certes des évolutions entre le XVIe et le XVII è siècle sous l’impulsion des marchands Européens, mais pour l’essentiel ces formations politiques resteront des formations pré-étatiques. L’absence d’écriture fut ici décisive. La durée de la colonisation fut trop courte pour donner aux colonisés le sens de l’Etat. et cela pèsera lourd dans l’évolution politique et sociale de ces colonies une fois devenues indépendantes. Le défaut d’une tradition du sens de l’Etat et de ses exigences constitue un terrible handicape dans l’aspiration de l’Afrique noire à se moderniser.

La mauvaise lecture qu’elles feront des idéologies politiques venues d’Europe, capitalisme ou marxisme, les conduira tout droit à la confusion et au désordre. De ce point de vue, la différence qui sépare l’Asie et l’Afrique noire postcoloniales explique le contraste des évolutions sociologiques entre les deux continents. un demi-siècle à peine après que l’Europe s’en soit retirée comme puissance coloniale de domination et d’exploitation, l’Asie talonne l’Europe et l’occident ; en devient même, au fil des années, un concurrent inquiétant. Pendant ce temps, pourtant libérée du joug colonial presque aux même dates que l’Asie, l’Afrique noire en est toujours aux balbutiements et au tâtonnements brouillons. Et même dans bien des secteurs de la réalité sociale, montre d’inquiétantes régressions. C'est que, pour expliquer les prouesses des Asiatiques, sans en excepter un seul, l’Etat comme organe d’intégration sociale, et coordonnateur de tous les processus sociaux, est réalité ancienne en Asie. Il y apparait des millénaires avant que, au XIXe siècle, l’occident lui impose sa domination. Cela fait que, confrontées à l’urgence de la modernisation de la société, l’Afrique noire et l’Asie ne disposent pas des mêmes atouts pour y accéder. Une différence radicale de mentalités et de visions du monde les séparent. C’est ainsi que le marxisme auquel l’Asie et l’Afrique adhèrent toutes deux comme moyen de transformation sociale a des résultats contrastés dans les deux continents. Si en cinquante ans, grâce au marxisme, non sans violences inutiles regrettables, la Chine par exemple est parvenue à se hisser aux sommets de la civilisation industrielle, en revanche le même marxisme sur lequel s’était appuyé la Chine a précipité l’Afrique dans un cul de basse fosse où elle barbote dans une misère noire, pire souvent à celle où l’avait jetée la colonisation.

Les facteurs et les raisons de la misère politique africaine :

Au moment de leur accession à l’indépendance si, en Asie outre le bénéfice d’une tradition de l’Etat, ceux qui engagent le combat de la modernisation et du développement sont pour la plupart gens d’une solide formation intellectuelle et morale, à quoi s’ajoute le sens de la responsabilité et de l’engagement et une longue tradition nationaliste, en Afrique en revanche, se proposent au combat du développement des blanc becs souvent mal-élevés, qui ignorent tout d’une nation et de l’Etat confondus à leur village, parce que l’Etat et la nation n’avaient jamais existé dans leur société. Ils sont parfois, certes, bardés de diplômes universitaires, mais cela suffisait-il pour produire les hommes politiques qu’exigeait l’Afrique post-indépendante? Il leur manqua une lecture lucide de la situation Ils ne pouvaient l’avoir c’étaient tous des hommes nouveaux que ne portait aucune tradition de la gestion de l’Etat moderne. Ce furent de petites intelligences politiques qui se rabougrirent progressivement sous la pression des groupes d’appartenance, dont l’agitation fébrile permanente produisit du désordre plus que l’ordre postulé.

Ce grave handicap allait limiter les capacités de nos révolutionnaires à la copie servile et inefficace d’un modèle social d’importation. Il leur aura manqué, il faut le souligner, l’intelligence de se demander si la superposition à leur culture du schéma marxiste et socialiste, inventé pour d’autres sociétés dans des contextes historiques précis, serait productrice de sens et aiderait les Africains à se réinventer. Il nous fallait d'abord régler le problème de notre rapport au néolithique dont les imedimenta nous empêchent d'avancer.


2 commentaires:

St-Ralph a dit…

Ton texte appelle une question qui mérite une sérieuse réflexion : franchement, est-ce que les sociétés qui ont intégré la notion d'état ne la doivent pas aux dictatures ou aux monarchies absolues ? Quant au socialisme (et même le communisme), dans son fondement, il doit beaucoup à la structure familiale. Et de ce point de vue, je ne crois pas qu'il soit juste d'en faire un épouvantail même s'il a échoué là où l'on a tenté de l'instituer. Et vu que l'époque où ces expériences ont été tentées était une époque où toutes les autres formes de gouvernement s'étaient liguées pour le faire capoter, il est difficile de le juger dans la pratique. N'oublions pas que le rêve de la société communautaire est commun à tous les peuples de la terre. Alors que jamais aucune société humaine n'a rêvé d'une communauté capitaliste. Le capitalisme semble être dans son essence un rêve individualiste.

Quant au capitalisme d'état des régimes socialistes que l'on se plaît à montrer du doigt, il n'est pas si mauvais qu'on le croit. Ce sont les restes de ce type de société qui font aujourd'hui la fierté des Français et auxquels ils se cramponnent comme à une bouée de sauvetage.

Les longues traditions dont tu parles et qui semblent avoir forgé les nations d'Europe et d'Asie semblent ne devoir leurs lettres de noblesse quaux dictatures et aux monarchies absolues que ces peuples ont connu durant des siècles. En définitive, peut-être que les pays Africains devraient accepter ces formes de gouvernements avant d'entreprependre l'aventure démocratique.

Cunctator a dit…

Bien vu quand tu dis "Et vu que l'époque où ces expériences ont été tentées était une époque où toutes les autres formes de gouvernement s'étaient liguées pour le faire capoter, il est difficile de le juger dans la pratique. N'oublions pas que le rêve de la société communautaire est commun à tous les peuples de la terre. Alors que jamais aucune société humaine n'a rêvé d'une communauté capitaliste. Le capitalisme semble être dans son essence un rêve individualiste.", mais n'oublie qu'il ne s'agit pas d'une critique de l'idéologie communiste, mais plutôt de l'échec de son application dans les républiques populaires africaines. Il me semble aussi que les régimes communistes ont voulu écraser certains besoins fondamentalement humains, les croyances en des réalités tutélaires creatrices.
supra terrestres, les échanges fondés sur le consentement mutuel sur la chose et le prix.
Les dictatures auxquelles tu penses ne se sont pas montrées aussi grossières que celles que nous avons connues, ces dictateurs là se montrés éclairés. On constate un essor intellectuel et ratistique sous certains rois, d'autres encouragent les sciences et réalisent de très grands travaux d'infrastructures pour moderniser leurs Etats et ainsi de suite. Qui chez nous a contribué au rayonnement de son Etat?

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.