mardi 22 février 2011

Même bien lotis, les libyens réclament un mieux être politique

Les dictateurs ne devraient pas seulement se préoccuper des revendications sociales de leurs peuples ; les bonnes conditions de vie que certains d’entre eux, soucieux du pain de leur peuple, s’attèlent à leur garantir ne sont pas suffisantes pour faire oublier leur confiscation de la scène politique. Des décennies de règne brutal et suspicieux, réprimant le moindre mot de travers à l’encontre du « chef », brisant tout élan contestataire par des moyens dissuasifs, ne parviennent pas à effacer les aspirations à la liberté des populations intimidées par la nature agressive du régime. La révolte du peuple libyen, dont on dit qu’il bénéficie de conditions sociales enviées sur le reste du continent, rappelle qu’une prison, fût-elle dorée, ne cesse d’être un lieu privatif de liberté. Au bout d’un moment, court, long, ça dépend, l’esprit, ne s’épanouissant réellement que dans un environnement dans lequel son déploiement est possible, se sent enfermé et, naturellement, tel un animal ne pouvant supporter trop longtemps d’être hors de son milieu naturel, rêve d’une structure sociale et politique favorable au plein exercice de ses facultés.

Arabes, donc selon certains impropres à la démocratie et à l’autonomie du sujet, les libyens confirment que l’homme n’est pas un animal domestique qu’on se contente de nourrir, de soigner et de traiter comme on souhaite parce qu’on est son maître. Or l’homme n’a pas de maître, sa condition supérieure fait de lui ce démiurge doté d’un pouvoir de création qui ne se manifeste que lorsque sa dignité intrinsèque est prise en compte et respectée. Cette dignité de l’homme ne fait pas bon ménage avec les formes d’organisation politique, comme de Kadhafi, refusant l’autonomie de la personne qui brident ses actions, sa pensée, ses opinions, voire ses émotions. De telles structures répriment sévèrement les comportements qu’elles jugent déviants. La liberté étant une aspiration naturelle de notre condition il est alors normal qu’on étouffe lorsqu’on subit trop longtemps, seuls ceux qui en tirent profit peuvent en dire et en penser du bien. Les libyens ne veulent plus de « guide », ils aspirent eux aussi à définir leurs propres trajectoires. Ils ont en assez des confiscations des libertés publiques, des confiscations des richesses et surtout de ce régime quasi monarchique sans constitution, donc gouverné selon les désirs du « guide ».

Une chose que les autocrates ne semblent pas anticiper c’est que avec l’élévation du niveau de vie s’élèvent les aspirations à moderniser ses conditions d’être. La modernité finit nécessairement par s’allier avec la liberté. Plus on a de savoir plus on s’humanise et on aspire à voir mieux qu’un clown assez fou pour vouloir concilier modernité et féodalité, plus on a de capacités à créer; avec l’argent vient la possibilité d’épargner et d’investir. Se rendant compte que ces corolaires du bien être social ne sont pas possibles sous des régimes de nature de nature despotique, les populations finissent par réclamer ce qui leur manque pour réellement jouir de leur bien être.

Outre l’universalité des aspirations à un régime favorisant l’épanouissement des facultés humaines, la geste libyenne devrait servir d’exemple, à l’homme des pays les plus avancés en termes de démocratie. Bouffi de matérialisme, passionné pour son bien-être et son confort plutôt que pour la défense de ses droits et libertés, piégé par la tyrannie de la majorité, ce dernier perd tout sens politique. Son individualisme dévoyé lui fait perdre toute notion d’engagement collectif capable de vigilance face aux tentations despotiques que favorise le désintérêt pour la gestion de la cité.

Cunctator

9 commentaires:

LE TCHINGUIDIEN a dit…

"l’homme n’est pas un animal domestique qu’on se contente de nourrir, de soigner et de soigner et de traiter comme on souhaite parce qu’on est son maître. Or l’homme n’a pas de maître, sa condition supérieure fait de lui ce démiurge doté d’un pouvoir de création qui ne se manifeste que lorsque sa dignité intrinsèque est prise en compte et respectée" dixit D NGOIE NGALLA..
En reprenant votre propos,du moins cette partie,je souhaite juste dire que l'Homme même de rang social inférieur,l'indigent ou pauvre n'est pas à considérer comme un chien qu'on tiendrait par la laisse ou à qui on mettrait une muselière pour l’empêcher d'exprimer ses opinions.L'homme naît libre et c'est dans la liberté qu'il s’épanouit.L'homme est par essence libre,il n'acquiert pas sa liberté par des efforts dialectiques mais la liberté est enfoui en lui et même endormie,il ne fait que l’éveiller et le réveiller.L'homme est donc de part en part libre.
je ne puis m’empêcher de citer Max stirner
"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté"(L'unique et sa propriété)

Cunctator a dit…

@Le Tchiguidien: une petite correction, ce texte est signé Cunctator et non Dominique Ngoïe-Ngalla. En effet, on est pas plus ou moins humain selon que l'on est de telle ou telle condition, l'humanité est le lot de tous les hommes.

St-Ralph a dit…

Ce point de vue sur la révolte libyenne est tout à fait juste. "L'homme ne se nourrit pas seulement de pain", c'est connu. Malheureusement, les dirigeants des pays arabes riches en pétrole négligent l'aspiration de l'âme à s'intéresser aux choses de l'esprit ainsi qu'à celles qui concourent à l'organisation même de la société. Je suis heureux que ces événements viennent bousculer leurs certitudes.

A écouter les radios, je retiens aussi qu'aucune grande puissance n'a de pouvoir particulier sur Kadhafi "parce qu'il n'a pas mis tous ses oeufs dans le même panier". J'ai entendu l'expression deux fois aujourd'hui. En d'autres termes, en diversifiant ses relations commerciales avec les puissances étrangères, il garde le pouvoir de faire jouer la concurrence en tenant compte de leurs comportements. Ni les Etats-Unis, ni les Européens ne peuvent se permettre d'intervenir directement dans les affaires libyennes. Tous ont peur de perdre leurs intérêts dans le cas où Kadhafi parviendrait à rétablir la situation. Tous se contentent de lui demander de satisfaire les aspirations de son peuple. Mais sans doute que pour Kadhafi le peuple ne devrait aspirer à autre chose qu'avoir le ventre bien plein.

Cunctator a dit…

C'est dommage de voir la "communauté internationale" tergiverser à ce point. ce Monsieur est prêt à massacrer davantage de libyens, mais il est si important avec son pétrole qu'une crise sévère du côté de Tripoli entrainerait une hausse des cours.Maintenant que Kadhafi n'est plus exclu du cercle des nations civilisées et qu'il a de gros contrats en cours d'exécution, attendons de voir quelles sont les mesures coercitives qui seront prises à son encontre.

Cunctator a dit…

@St Ralph, j'ai commencé à lire "The help", merci pour ta chronique.

Obambé a dit…

Les amis,

Je vais sans doute vous faire rigoler avec cette anecdote. Je me souviens d’un très beau dessin vu dans un journal il y a plus de 10 ans où l’on voyait un flic tabasser un manifestant arabe en lui disant : « Comment peux-tu réclamer la liberté alors que tes frères palestiniens ne le sont toujours pas ? »
La nature a horreur du vide. On aura beau donner ce que l’on veut à un homme, il demandera plus. C’est humain. Le pain et certains jeux ne suffisent pas. Je me souviens du temps où je vivais au Maroc, je voyais des hommes venus du Golfe arabo-persique (Koweïtis, Saoudiens etc.) très fortunés qui passaient des séjours paradisiaques au Maroc où ils pouvaient librement s’adonner à certains plaisirs que la loi interdit dans leurs pays d’origine. C’était des rentrées d’argent assurées pour les péripatéticiennes locales. Les mêmes dirigeants qui disent « C’est interdit par l’islam ! » vont le faire ailleurs.
Pour finir, Kadhafi est en fait un très grand illusionniste. Il a vendu du vent aux autres damnés de la Terre (Nègres et Arabes confondus) en leur faisant croire qu’il avait fait de son pays une sorte de paradis sur terre, en attendant celui d’Allah. Or, il n’en est rien et pas besoin pour cela d’attendre les Occidentaux pour nous le dire. Les quelques diplomates africains qui en reviennent, les autres Africains qui y séjournent ou qui y ont séjournent décrivent par exemple un système de santé terriblement déficient (même si au Sud du Sahara nous ne sommes pas forcément mieux lotis). D’ailleurs, les Libyens qui en ont les moyens vont se faire soigner en Tunisie : il leur suffit de traverser la frontière en voiture…

@+, O.G.

St-Ralph a dit…

@ Bonne lecture Cunctator ! Je suis sûr que tu apprécieras, avec le plaisir supplémentaire de le lire dans la langue d'origine.

@ Mon cher obambé, sachant que tu connais les pays au nord du Sahel, c'est toujours avec plaisir que je lis tes anecdotes venant de là-bas. Kadhafi qui voulait aller chasser Laurent Gbagbo doit se mordre les doigts aujourd'hui. Les pasy africains devraient-ils oui ou non aller délivrer les Libyens des griffes de cet homme ?

Cunctator a dit…

@Obambé: j'ai vraiment rigolé en lisant ton anecdote, just no comment, vraiment marrant. Kadhafi me fait vraiment peur il est capable du pire en ce concerne la repression de cette "révolution". Par ailleurs, je salue le courage des libyens; il n'est pas facile de s'insurger contre un régime dirigé par une sorte de psycho...

Obambé a dit…

Les amis,
L’attitude ambiguë de la soi disant Communauté internationale est dans la logique même de son illogisme. Selon les pays, selon les dirigeants, selon les peuples, elle a l’art de diversifier sa parole (si je puis dire) comme les USA diversifient leurs sources d’approvisionnement en hydrocarbures.
Concernant mes amis maghrébins, j’aurais des tonnes à vous raconter, à vous fendre la poire. Un de mes collègues à l’école fut étonné de voir sortir de ma poche un ticket de bus. Et après que je lui ai simplement expliqué que payer son titre de transport faisait partie du bon sens, et rappelé aussi ma consternation de l’entendre, lui, musulman, qui voulait absolument faire de moi un mahométan (il ne cessait comme d’autres par tous les moyens, de m’amener à embrasser leur foi, à leur grand désespoir, ça n’a jamais marché) et qui encourageait ce genre de pratiques, il me répondait : « En islam, fais ce que tu veux, mais qu’on ne te voit pas ! » Le problème est que Kadhafi, le grand imam du Sahel {il faut voir ses prêches devant ses frères en islam ATT (du Mali), Tandja (du Niger), c’est quelque chose dèh !}, ce qu’il fait à son peuple aujourd’hui, tout le monde le voit. Aussi, mon cher St-Ralph, j’inviterai les dirigeants africains à trois attitudes :
- Les pays du Nord : qu’ils se taisent car ils sont, à l’exception du Maroc, dans le même bateau ;
- Les pays du Sud : qu’ils rapatrient tous les Nègres qui vivent en Libye, peu importent leurs nationalités car ils y sont victimes d’un racisme, à mon avis encore pire que ce que certains Nègres subissent en France (je ne prends que ce cas car j’y vis). Les Nègres libyens un peu moins, mais franchement, il y a à revoir. Si on n’est pas foutus de les rapatrier, nos dirigeants n’auront qu’à la fermer. Kadhafi a financé et continue de financer nombre de ses coreligionnaires. Comme on dit, la main qui paie est au-dessus de celle qui reçoit. Je ne vois aucun d’entre eux oser lui dire quoi que ce soit. Même un jeune comme FRaude Eyadéma (45 ans) a déjà ses galons de tueur car à peine installé dans le fauteuil de papa il prit ses compatriotes togolais pour des pigeons en leur tirant dessus…

@+, O .G.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.