jeudi 10 juin 2010

Cinquante après les indépendances, aux sources profondes du désordre et de la claudication de l'Afrique

Malmenée, rançonnée par une colonisation de brigands et d'hypocrites, l'Afrique noire rêva tout le temps du jour où elle serait enfin débarassée de cette peste. Tout le temps que durèrent la colonisation et l'occupation injuste de son territoire, elle rêva de liberté, de bonheur et de jours heureux. L'indépendance désirée la précipite de Charybde en Scylla. C'est que, pour entreprendre, affronter le sphinx et sonner aux portes du futur, la liberté ne suffit pas; encore faut-il savoir s'en servir . Or pour savoir s'en servir, il y'a nécessité à se définir, à cerner son identité, à savoir d'où on vient. Démarche première, démarche indispensable. Or l'Afrique qui accédait à l'indépendance, dont elle attendait qu'elle lui trace des chemins de bonheur, oubliait qu'elle était une civilisation atteinte de plein fouet et menaçant ruines. Laissée en l'état, il était puéril d'en espérer rien qui vaille. Il avait fallu les horreurs de la dernière guerre et sa férocité inhumaine pour ramener l'occident à une vision plus modeste de sa civilisation donnée pour indépassable. Il s'apperçut qu'elle était mortelle comme toutes les autres.
Méditant sur le destin si singulier de l'Afrique noire, qu'on croirait depuis les origines affligée de claudication, je suis conduit à penser que, étant l'âme de la civilisation entendue comme cadre social d'équipement technique grâce à quoi l'homme s'élève au dessus de la nature, immanquablement, la civilisation périclite et meurt, dès lors que la culture qui en est l'âme et le ressort vivant vient à être malmenée.
Aujourd'hui par ignorance, ou par hypocrisie nous accusons, scandalisées, l'Afrique noire de traîner les pieds sur le chemein du progrès, d'en rester à l'âge du néolithique et de la pierre polie, quand autour d'elle, même l'Asie hier, avec la même brutalité, colonisée comme elle, a basculé dans la modernité, synonyme, à force d'exigence de rationalité dans les dits et dans les faits, d'efficacité de l'action; synonyme de bien être pour un nombre toujours croissant de femmes et d'hommes. Synonyme, enfin de l'avènement d'un âge où les hommes et les femmes qui gèrent la société entrent dans leurs hautes fonctions avec le libre consentement de leurs concitoyens, pour leur sens aigu de la responsabilité.
Que les apparences ne nous trompent pas: institutions et régimes politiques copiés sur le modèle occidental, énergie électrique, eau courante dans les robinets et dans les maisons, moyens de transports roulant au sol et dans les airs et tous ces gadgets qui sont le symbole de l'âge industriel. l'Afrique a continué à vivre au néolitique où grimacent les sorciers et triomphe l'irrationnel. Non qu'elle s'y complaise ou s'en accommode. Elle n'avait jamais au contraire cessé de rêver mieux. Elle avait d'ailleurs depuis pas mal de temps, commencé à organiser son environnement social (dans certaines régions, la structuration de l'espace social et la définition du pouvoir politique sont vraiment admirables, et admirables de dignité et de discernement un grand nombre de dirigeants) lorsque la lourde matraque de la traite des noirs, à coups répétés, s'abattit sur son crâne. Elle en perdit connaissance pendant longtemps. et lorsque quatre cents ans plaus tard, le terrible frappeur enfin ne frappa plus, l'Afrique, certes reprit connaissance, mais, groggy, ce n'était plus la même Afrique. Le trauma étéit était trop profond. La violence des coups et la répétition de l'horreur avaient atteint les ressorts profonds de son âme blessée. Son âme, c'est-à-dire son patrimoine culturel et spirituel. certes, elle n'était pas tout à fait morte cette âme africaine, mais il n'en restait plus que des fragments dont, le temps passant, il devenait de plus en plus difficile de savoir de quoi ils étaitent les fragments. Dès lors, il devenait impossible ou du moins difficile, même au individus les mieux-nés, de s'appuyer sur un tel brouillamini, de peser sur des supports si improbables pour bâtir un présent ordonné à partir duquel projetter un avenir identifiable et maîtrisable.
Le mal que, par la trite des noirs, compliquée à la fin d'une colonisation qui fut sa répétition modernisée, le mal donc que l'occident fit à l'Afrique noire, ce n'est pas tant cette énorme ponction démographique (30, 150 millions selon les auteurs, mais une population peut se reconstituer; et il est remarquable que les régions qui avaient payé le tribut le plus lourd à la traite, se placent aujourd'hui parmi les plus peuplées d'Afrique) que le traumatisme psycologique paralysant qui en étéit résulté et qui fit du nègre un infirme. Avec la traite des noirs l'Afrique perdit son âme. C'est alors que se mit en route le long et terrible processus de mutations socio-économiques, socio-politiques et socio-culturelles désordonnées dont nous attendons des historiens, des soiciologues et des anthropologues qu'ils nous rendent compte avec le maximum de clarté et de précision.
Progressivement la culture de l'Afrique fut mutilée et broyée. Résultat, après 500 ans de flagellation ininterrompue? Un désordre social profond, l'émiettement d'une civilisation dévaluée, et cette sourde angoisse existentielle que s'efforce de dissiper l'intarissable humour qui explose dans le gros rire nègre devenu chez les africains une manière d'anti destin. La crise sociale que traverse l'Afrique depuis sa rencontre inopportune avec l'occident et le monde arabe est une grave crise structurelle qui se présente sous la forme d'une dévaluation généralisée affectant tous les secteurs de la réalité sociale: dévaluation des catégories de pensée, dévaluation des catégories psyco-affectives, dévaluation du système de représentation, dévaluation des mots et des signes du langage par quoi se forgent et se transmettent les savoirs et les moyens d'action, bref, le patrimoine culturel avec ses normes et ses valeurs, le confort et la sécurité affective de l'individu. Leur érosion par la violence continuée eut pour conséquences terribles, la désagrégation du système social tout entier, et le désarroi de l'individu désormais livré à ses doutes et à sa conscience malheureuse. Frantz Fanon parle de névrose. La perte du sens de ses valeurs par une société inéluctablement livre celle-ci au désordre et à l'anarchie.
C'est le drame de l'Afrique actuelle qui fonctionne vaille que vaille avec l'insouciance dedans comme dominante psycologique. L'espoir est donc mince qu'avant longtemps, et peut-être jamais, les territoires bancals que lui avait fabriqués la colonisation deviennent jamais de vrais Etats, si n'y surgissent des manières de despostes éclairés. En imposant des principes de gouvernement qui se moquent des origines culturelles des individus et s'en s'y soumettant coûte que coûte, de tels responsables politiques dessouchent forcément le tribalisme, né des peurs et des soupçons que, inévitablement, suscitent la cohabitation grinçante de communautés opposées par leurs visions du monde et leurs pratiques. Aucune surprise par conséquent, si un "nous" comme fusion morale de toute les composantes ethniques de l'Etat multiculturel tarde à se former dans la majorité des pays africains.
Dominique Ngoïe-Ngalla.

Aucun commentaire:

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.