dimanche 10 janvier 2010

L'Afrique orpheline de la culture

Les causes de l’extrême lenteur de l’Afrique noire à prendre le chemin du développement sont depuis des décennies, l’objet de controverse. Les experts ne s’accordent pas sur leur nature. Encore qu’il s’en trouve, les Afro-optimistes, pour qui tout va bien. Ceux–là, hommes politiques, marchands, qui pensent sur la misère de l’Afrique. Donc, sur les raisons du piétinement de l’Afrique sur la voie du développement, les avis des experts sont partagés. Les uns accusent la colonisation qui aurait, pour longtemps en profondeur brisé les ressorts des sociétés africaines, les précipitant dans une crise inédite de longue durée. D’autres remontant plus l’histoire de l’Afrique, montrent du doigt l’horrible traite des noirs dont les violences sur quatre siècles aurait sapé les bases psychosociales et socioculturelles du système de représentation des sociétés africaines, et de cette façon, fait le lit du colonialisme et de la colonisation, la version moderne de la traite des Noirs. Pas mal pensé, et l’analyse est bonne. Sauf que la traite des Noirs et la colonisation, c’est un peu loin derrière nous. Aujourd’hui avec les indépendances, un peu plus responsable et sérieux, les africains se donneraient les moyens de colmater les brèches pour, progressivement, rendre l’Afrique vivable. Dans cette logique, comment, au moins pour partie, ne pas désigner les Africains eux-mêmes, comme les responsables des misères post-indépendance de leurs pays ? On a tendance, aujourd’hui, à placer à l’origine de la pauvreté et de la misère de l’Afrique indépendante, la dette sous laquelle, c’est vrai, croulent les Etats Africains.

Nous nous effarouchons devant le montant faramineux de cette dette ; mais il nous vient rarement à l’esprit de chercher à savoir à quoi a servi tant d’argent. À construire des routes et des ponts ? À ouvrir et à équiper des hôpitaux et des laboratoires de recherche ? À construire de bonnes écoles et des universités ? À subventionner la recherche ? Non ! Dans un pays dont, par manque d’imagination et de générosité, les dirigeants sont incapables d’une vraie politique sociale, le pire est d’ailleurs à venir.

Si les effets de la traite des Noirs et du colonialisme se prolongent et continuent à déterminer les évolutions des sociétés africaines contemporaines, n’est ce pas, pour une part au moins, par la faute des africains eux-mêmes qui n’osent pas, qui n’ont pas le courage de se servir de leur intelligence pour remonter et penser leur histoire, et ainsi désamorcer la charge maléfique de leur terrible héritage ? Un tel positionnement n’est possible que par l’éducation et la culture.
Cadre d’institutions sociales et d’atmosphère intellectuelle et spirituelle favorable à l’épanouissement de l’homme qui y trouve les moyens de la prise de conscience des exigences de sa vocation, ce qu’il est convenu d’appeler civilisation s’enracine dans l’éducation et la culture. Plutôt que de s’en mettre à la spontanéité de l’instinct, et de se satisfaire de réalisations aux contours vagues, les grandes civilisations d’aujourd’hui, l’Inde, l’Asie et l’Occident , le Moyen orient tout aussi bien, sont des sociétés qui, à travers l’histoire, prirent progressivement une conscience toujours plus vive du rôle décisif de l’éducation et de la culture dans la quête du sens du tragique de la condition humaine tissée de contradiction insurmontables mais que, néanmoins, l’homme peut vivre s’il accède au sens du vrai, du beau et du juste qui oriente le choix d’une éthique et d’une morale . L’effort constant pour domestiquer les conflits, réalité constitutive de l’être de l’homme au monde, la renaissance et le respect des droits de l’homme dont dépend la paix sociale sont impossibles sans l’éducation et la culture comprises comme moyen pour transformer l’homme des cavernes en humain.

Par les savoirs et les connaissances qu’elle donne, c’est cela l’instruction, l’éducation développe nos facultés intellectuelles. Mais comme l’instruction ne suffit pas pour transformer l’homme, on lui adjoint la culture. Opération plus complexe que l’instruction. Elle vise en effet, la transformation de cette part mystérieuse de nous-mêmes et l’éveil au sens du vrai, du juste et du beau. La sensibilité seule y conduit après que la culture l’ait affinée. L’ouverture au monde, le sens et l’accueil de la différence et l’effort pour domestiquer les conflits, voila les fondements et les critères d’appréciations de la civilisation qui est elle-même fille de la culture. C’est en effet, dans les sociétés civilisées où la présence de femmes et d’hommes cultivés est importante que, dans la lutte de tous les jours pour le respect de la dignité de l’homme, un minimum de paix et d’harmonie est possible.

Le conflit y est certes permanent, mais permanent aussi, l’effort pour le domestiquer. Le combat y est sans fin qui indique le refus de la société civilisée de s’emmurer dans sa barbarie. Et là où il n’abdique pas, et persévère dans l’effort pour s’humaniser, l’homme, toujours, reçoit la récompense de son combat : le sourire de la civilisation, et l’accès à un niveau supérieur de développement de la société où il œuvre. Les moyens d’accès à la culture ? D’abord les institutions d’éducation et de formation de l’esprit humain : l’école, le théâtre, le musée (l’étymologie en est si belle : rien moins que la maison des musées en grec ancien), les académies d’art, et les conservatoires. A quoi il faut ajouter les voyages où l’homme frotte sa cervelle contre celle d’autrui et relativise ses vérités. L’ayant compris, les civilisations que je venais de citer placèrent au centre de leurs projets de société, le souci de la formation de l’homme et ne regardèrent pas à la dépense. Pour Rome et Athènes un tel souci relève d’un véritable réflexe. Partout où elles prennent pied, elles construisent un théâtre, un musée, une bibliothèque, une école, cela va de soi. Résultat ? La grandeur et le prestige d’une civilisation qui n’a jamais cessé d’émerveiller le monde entier.

Depuis la fin de l’ordre colonial, l’Afrique s’est efforcée d’emboiter le pas à l’occident. Mais en commettant l’erreur, élève peu imaginatif, de confondre instruction et culture et de faire passer l’instruction avant la culture, alors qu’elles doivent, pour être vraiment efficaces, avancer du même pas. L’Afrique s’est couverte d’écoles, au point que, dans certains pays, le nombre de docteurs et d’agrégés en toutes disciplines, est vraiment impressionnant. Malheureusement, sur cent docteurs et agrégés, combien peut-on compter ‘hommes et femmes vraiment cultivés et donc sensibles aux problèmes de leurs « frères humains » ? une dizaine, à peine, en forçant ! et que dire de la masse de ceux-là dont le cursus scolaire est loin de celui de nos prestigieux universitaires qui perdus de vanité puérile et égoïstes, ont, hélas, bien du mal à bien se tenir en société. Pressés d’aller à l’essentiel, ou qui parut l’être, on multiplia donc les collèges, les lycées, les musées, les conservatoires, les académies d’art, les bibliothèques, les théâtres pouvaient attendre. C’était un luxe.

Les conséquences de cet utilitarisme étriqué et à courte vue nous sont depuis revenues à la figure. Dans un mouvement d’évolution de l’histoire du monde qui s’accélère à chaque décennie, l’analphabétisme culturel nous fabrique des dirigeants étriqués et cyniques ; le cloisonnement régional et ethnique, des démocraties qui n’en finissent pas de bégayer, prisonnières de la violence identitaire ; les régimes autoritaires qui secrètent l’obscurantisme, la pauvreté et la misère, non que, de façon mécanique, la culture nous préserve de la barbarie, ou nous empêche d’y replonger. Après tout, il y avait parmi les nazis, les fascistes et les soviets, des individus finement cultivés. Ça n’avait pas empêché des horreurs dont les animaux les plus féroces sont incapables. Mais c’est tout de même de la culture que devait partir la protestation.

L’espoir de l’Afrique repose donc, non sur les projections des experts en économie, qui tiennent rarement compte de la dimension culturelle du développement, mais sur la conservation de l’Afrique à la culture comprise plus humble chaumières de la brousse. Le drame de l’Afrique ? L’inculture et la sottise satisfaite de ses dirigeants qui ont réduit la culture et ses exigences à la spontanéité de l’instinct et l’émotion, au plaisir vulgaire que procurent des danses de culbutes de singe.

2 commentaires:

Obambé a dit…

« Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ! » Phrase souvent attribuée à Goebbels. Il aurait largement sa place dans pas mal de gouvernement africain, ce bonhomme.
Lire Aminata D. Traoré dans le Viol de l’imaginaire. Elle y relate très bien combien son expérience au ministère de la Culture a été enrichissante pour elle car la culture était une coquille vide pour Alpha Oumar Konaré qui avait pour objectifs entre autres de conserver son pouvoir mais aussi et surtout d’appliquer les consignes des IFI. Résultat des courses, rien pour la Culture.

Au plaisir, O.G.

Ngampio a dit…

Chez nous la culture se résume à organiser le FESPAM et autres manifestations musicales

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.