vendredi 9 octobre 2009

Ecriture et conscience citoyenne.


« L’ethnie est-elle maladie dangereuse dont on peut, comme d’une fièvre maligne, mourir sans même s’en apercevoir ? Ou bien est-elle péché d’origine, ineffaçable, qui, même avec la meilleure bonne volonté, en pervertissant irrévocablement les fondements spirituels et psychologiques de la conduite humaine, rend, même chez les meilleurs, l’action bonne difficile »[1], des paroles que j’ai écrites dans un petit livre sans prétention. Il me faut y revenir, pour analyser et chercher à comprendre l’impact presque nul, spirituel et social, des œuvres des écrivains sur les mentalités de leur pays, eux dont des années 60 à nos jours , l’engagement à la cause des petits et des faibles contre les tyrans, les dictateurs et autres broyeurs des libertés et des droits de l’homme est resté exemplaire. Oui vraiment, le Congo-Brazzaville peut être fier d’avoir Jean Malonga, Antoine Letembet Ambilly, Tchikaya Utam’si, Sylvain Bemba, Henri Lopès, Jean-Baptiste Tati-Loutard, Tchitchelle Tchivela, Maxime Ndebeka, Emmanuel Dongala et cette poétesse de talent, Marie Léontine Tchibinda, notre comtesse de Noailles. Et tant d’autres de la génération montante dont la qualité des œuvres rassure sur la relève de demain. Et comment oublier Alain Mabanckou dont on peut se demander jusqu’où il n’ira pas ?

Tous ces écrivains, chacun en leur genre, ont honoré le Congo de l’éclat de leurs beaux talents. Tous, des écrivains de race, et dont la renommée à l’étranger n’est pas petite. Les raisons ou les causes sociologiques qui expliquent la production d’œuvres de cette qualité reste un mystère. En effet comparé à la taille de la plupart des Etats africains, le Congo est un petit pays que son sous peuplement relève dans une espèce d’insignifiance compliquée de sous développement. Une université qui est loin d’être brillante après avoir été un temps l’espoir de l’ex Afrique Equatoriale Française (AEF). Et taux de scolarité (presque 100%) qui pourrait fournir un élément d’explication à l’émergence de cette littérature de qualité ne s’élève de façon aussi admirable qu’après que la plupart de nos écrivains aient donné le meilleur d’eux-mêmes. Et puis, il s’agit d’un enseignement de masse. Dans ce cas il vaudrait mieux parler d’alphabétisation, dont on ne saurait attendre quoi que ce soit qui vaille vraiment. Mais peut-être, après tout la naissance et l’éclosion de tant de talents et surtout leur regroupement sur ce bout de terre presqu’au même moment (à quelques années de différence, ils sont tous de la même génération). Ne sont-elles qu’un effet du hasard ? Mon problème n’est pas là. Hasard ou aboutissement heureux du cheminement obscur d’une chaine causale, je m’étonne, connaissant la mission de l’écriture et de toute création de l’esprit, que tant de beaux talents rassemblés (ils se connaissent tous, se fréquentent ou se haïssent) n’aient pu concourir au façonnage d’une république de citoyens pour éloigner la violence et ses guerres civiles récurrentes. Résultat ? Un beau désordre politique économique et spirituel qui rejette le Congo dans les profondeurs du classement des pays sous-développés, où le sous développement signifie d’abord la difficulté, presque l’incapacité de la conscience citoyenne à éclore pour s’éveiller aux problèmes sociaux de l’heure et chercher à y trouver solution. L’écrivain n’est-il pas à sa façon le prophète qui mobilise à temps et à contre-temps. Parce que son intelligence dilatée est libérée des erreurs d’un savoir domestique limité (celui du groupe d’appartenance) le projette en permanence sur les laideurs d’un monde à éclairer et à transformer.

De ce fait parce que de toute leur volonté ils se forcent d’accéder à une meilleure connaissance d’eux-mêmes et du monde qui les entoure, afin de mettre de l’ordre dans le chaos, les artistes et les écrivains, dont le savoir a dilaté l’âme et la vision du monde, sont forcément des être épanouis. Cet épanouissement de leur être, ils le doivent à la recherche inlassable de la vérité et de la justice. Dussent-ils comme Socrate payer cette recherche de leur vie. Pour eux, la paix intérieure et autour d’eux est à ce prix. Et volontiers ils font du vers célèbre de Lucrèce leur devise : « felix qui potuit rerum cognoscere causas » , heureux celui-là qui connait les faits par leurs causes (Lucrèce, De natura rerum). C’est cette connaissance rationnelle objective du monde qui, lorsqu’elle s’accompagne d’éthique, délivre l’homme de la brute qui rue en lui et l’élève. Les artistes et les écrivains ne peuvent donc rester indifférents aux désordres de la société où ils vivent. Ils en sont la mauvaise conscience, ou du moins ils devraient en être la mauvaise conscience qui dérange. Qu’ils attirent à eux ou qu’ils repoussent, ils poussent forcément à la réflexion. Jean-Paul Sartre qui fut dur pour lui-même, modèle de probité intellectuelle et morale, demandait à l’écrivain un engagement de l’homme tout entier. A l’écrivain il assignait « de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde, et que nul ne puisse s’en dire innocent » (Jean Paul Sartre, Qu’est ce que la littérature). On ne sort pas de là. On est écrivain ou on ne l’est pas. Et ce serait un bien piètre écrivain aujourd’hui, surtout dans le tiers monde, que celui qui s’arrêterait à la dimension esthétique de la création littéraire. Aujourd’hui celle-ci compte forcément trois dimensions : la dimension esthétique bien sur, la dimension réflexive et du questionnement, et la dimension politique c'est-à-dire la prise en compte des problèmes sociaux.

Dominique Ngoïe-Ngalla.
[1] Dominique Ngoïe-Ngalla, Le retour des Ethnies, BAJAG-MERI, Paris 2003.

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.