lundi 6 avril 2009

"Y a bon banania", quand la France s'invite dans la bananeraie

« Y a bon banania ! ». Ces quelques mots prêtés à un nègre portant une chéchia rouge et arborant un large sourire, probablement un tirailleur sénégalais, étaient cause d’indignation pour nombre de Noirs pour lesquels cette image et ces mots dénotant d’une mauvaise maîtrise de la syntaxe française est de sinistre symbolique ; ils renvoient en effet à l’image qu’on se fait du nègre des colonies, truffée de préjugés dégradants bien sûr.

La mauvaise syntaxe du nègre, autrefois appelée « petit-nègre » dans les colonies françaises, peut, tel un enchainement d'incorrections (langue française parlée avec la syntaxe des langues maternelles, autres pratiques héritées de la colonisation assimilées aux façons de faire locales), être articulée à cette autre chose mal assimilée que toute observation de la politique des pays noirs depuis les indépendances laisse apparaître : une gestion chaotique, approximative et désordonnée de la chose publique. Les régimes caractérisés par de telles façons de gérer la chose publique sont des républiques bananières. Au Canada, l'expression courante est celle de « république de bananes », elle vient de l'entreprise United Fruit Company. Dans la première moitié du XXe e siècle, ce grand producteur de bananes finança et manipula pendant environ 50 ans la majorité des États d'Amérique centrale pour mieux conduire ses activités. Cette expression a d'abord et principalement été appliquée aux pays d'Amérique centrale et de la mer des Caraïbes. Elle s'est par la suite étendue aux pays qui, sous les apparences de républiques constitutionnelles, tendent vers l'économie palatiale ou la dictature.

L’histoire heureusement a de ces retournements que parfois même les analystes les plus lucides de son cours n’arrivent pas à prévoir. La mauvaise pratique, la mauvaise grammaire en ce qui concerne les choses de l'Etat, autrefois associée à des pays aux dirigeants mal polis ou peu civilisés, non éduqués à l’éthique démocratique, a désormais cours dans des pays pouvant se targuer de plusieurs siècles de brillante civilisation jamais démentie, et porteurs des valeurs les plus nobles au sujet du genre humain.

Elu de la façon que l’on sait, avec 53% des voix, l’actuel Président de la République a été placé au trône de façon confortable sur la base d’une campagne axée sur une réforme en profondeur des institutions et de la société françaises. C’est l’homme de la « rupture ».
Il a bien raison de se voir en porteur de rupture, bien que, pour diverses raisons, son programme de changement ait du mal à démarrer comme il faut. La vraie rupture viendrait surtout du fait que avant lui, malgré les actes et manœuvres répréhensibles de ses prédécesseurs, ces derniers s’attelaient à maintenir un semblant d’ordre et de tenue « républicains » dans leurs façons. C’était des gredins de haut vol eux ! même en fait de filouterie ils se prenaient avec classe et subtilité.
Il est en effet facile de constater à quel point les manières de notre nouveau roi sont peu recommandables pour une République. Point besoin de les citer, la presse et tous les livres traitant du sujet le font déjà très bien.

Peut être faut-il entendre la rupture tant annoncée comme cette volonté de notre monarque de tropicaliser la République. A la manière de ses pairs et amis peu éduqués du Sud, plusieurs faits se traduisent en une tentative de concentrer le maximum de pouvoir ou à en déléguer quelques pans à ses proches, de telle sorte qu’à plusieurs reprises on a eu peur pour notre chère « séparation des pouvoirs » sans laquelle « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » (Montesquieu). C’est un phénomène universel, le pouvoir a propension à en demander toujours davantage, si bien que des mécanismes garantissant une définition, une limitation donc de ce pouvoir sont nécessaires pour ne pas tomber dans les vices naturellement humains qu’on ne reconnaît cependant qu’aux sociétés les « moins évoluées ». Que faire lorsque dans une régime où cette séparation est bien organisée, mais dans lequel le détenteur du pouvoir à tendance à éviter les limites ?

Cette tentative de concentration des pouvoirs à laquelle se mêle un affairisme inquiétant et rarement vu dans ce pays ; cette façon de diriger caractérisée par l’improvisation, le provisoire et la spontanéité rappellent certaines capitales des régions les moins tempérées de notre globe. Dans les régimes démocratiques les chefs d’Etats sont en principe élus sur la base d’un programme et non sur leurs capacités de prestidigitateurs de génie, doués pour épater leur public par la force de leurs tours.

A l’instar de ses amis du Sud, notre Président aime à être populaire, c’est me semble-t-il l’homme le plus médiatisé de France, heureusement garde-t-il encore un peu de pudeur pour ne pas faire placarder son portrait sur les panneaux géants réservés à la publicité dans nos villes. Vous verriez comment les rois tropicaux s’adonnent à l’ostentation, ce sont des spectacles à eux même, ils semblent oublier que « dans la société spectaculaire, il suffit d’être connu pour se croire reconnu, comme si l’apparence venait dédommager l’irréalité d’un sujet sans sol. Les personnages admirés ne sont plus des héros, porteurs d’un message ou d’une mission, ni des justes porteurs d’un référence éthique ; mais des vedettes, modèles de l’homme sans intériorité, champions de l’ostensible et du visible triomphant » (Chantal Delsol, Eloge de la singularité).
Toujours comme les potentats tropicaux, les bisbilles des journalistes à son égard sont crimes de lèse majesté ; les forces de l’ordre sous de tels règnes sont inciviques, se croyant dotées de super prérogatives. L’ordre doit régner, mais jamais au bon endroit. Certains anti-républicains peuvent, avec la bénédiction du pouvoir, dormir sur leurs deux oreilles. L’incantation, la surenchère verbale et la désignation de boucs émissaires masquent bien d’incapacités ou des réticences à agir.
Tels des démiurges, les dirigeants de républiques bananières veulent recréer leurs pays à leur image. Ici on a voulu inculquer au pays des conceptions sorties tout droit de l’esprit du chef. Nous avons eu droit entre autres à l’ « identité nationale » et à une lecture de l’histoire teintée d’affect et d’idéologie.

La rupture, encore elle, tant attendue par les français et d’autres observateurs de la politique de ce pays n’était pas au rendez vous en ce qui concerne le pouvoir d’achat : c’est la faute à la crise, tout le monde le sait. Elle ne s’est pas plus avérée du côté de la françafrique, ce néologisme qualifiant les sordides relations que maintient la France avec ses ex-colonies d’Afrique. On peut en effet constater que des relations clientélistes avec l’Afrique, le soutien à des dictateurs, la défense de l’affairisme français sur ce continent sont toujours de mise. Un ministre a même perdu son poste pour avoir prôné un changement dans ces relations.

Tous ceux qui se posaient la question de savoir si la France était en train de devenir une république bananière peuvent être rassurés, nous croyons trop en la force de l’esprit et du peuple français pour craindre de tomber dans ce que plus d’un siècle de conscience républicaine nous a jusque là évité. Il demeure quand même risible et pathétique à la fois pour un chef d’Etat, en temps de crise, dans un climat social morose, de déclarer « j’ai la banane ». Se tenir ainsi à distance du sort des populations confrontées à une situation difficile a de troublantes ressemblances avec ces Présidents insensible aux souffrances de ceux dont ils ont la charge. Nous savons déjà dans quel type de républiques se trouvent de tels dirigeants. Le pouvoir les fat vivre dans un enchantement dont ils se réveillent rarement. Peut-être a-t-il des vertus psychédéliques chez certaines personnes, pourquoi sinon certains de ces chefs arboreraient-ils souvent ces sourires niais ?

Philippe Ngalla-Ngoïe.

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.