vendredi 23 janvier 2009

Le tragique dans l’œuvre poétique de Tchikaya U Tam’si

La question, la grande question que se pose Tchikaya U Tam’si est celle que, de tout temps, se sont posé les esprits éveillés au vif de la vie : comment vivre ? Kant, Nietzsche, Kierkegaard, Miguel de Unamuno, et tant d’autres. Tchikaya Utam’si avait choisi de vivre tragiquement, en conformité avec son œuvre. Ayant tôt pris conscience de notre condition humaine problématique et terrible. La sagesse, pour lui, fut d’accueillir en toute lucidité le réel comme il vient ; l’accepter tout entier. Avec la joie dehors, avec la souffrance dedans ; tout en faisant un pied de nez au destin coincé de l’homme.

L’œuvre poétique de Tchikaya Utam’si se noue autour d’une vision apocalyptique d’un monde désarticulé et excessif ou le poète étouffe ; car il aime l’ordre. « C’est au feu, écrit-il, que je me suis lié, car j’aime l’ordre ». Or désaccordé, déréglé, le monde dans lequel il naît est frappé d’absurdité essentielle qui appelle en vain un sens. Le poète amoureux de l’ordre est alors voué à l’insatisfaction et au combat. Sans relâche, sans espoir ; cependant n’abdiquant jamais. Il a assez d’orgueil pour cela « je ne sais pas courber la tête » écrit-il dans Epitomé. La révolte permanente donc, élevée au rang d’une esthétique de la création et enveloppée de cet humour noir caractéristique, lui aussi de la poétique Utam’sienne. Cet humour noir sert de bouclier au poète qui affronte le destin. Nicolas Martin Granel a consacré de belles pages à cet humour (Rires noirs).

Cette situation d’inconfort moral a fait de Tchikaya Utam’si, le poète à la gueule désolée à force de tristesse et de déréliction. Le comte de Lautréamont l’eût aimé. Tchikaya Utam’si, c’est le prince d’Aquitaine à la tour abolie.

Il en eut tout le temps pleuré, si pour affronter son terrible destin, il n’avait disposé d’une arme tout aussi terrible : son rire sarcastique qui chasse les mauvais sangs et qui tue, comme il l’affirme lui-même. On comprend que ce poète amer soit aussi, par voie de conséquence, une manière de chevalier servant, redresseur de torts, un peu dans le style de Don Quichotte. Voila pourquoi il a revêtu le destin de l’Afrique et de tous les mal-aimés du monde. Voila qu’il se sent Juif aussi. Il en porte la souffrance, parallèle au christ qui porte la souffrance du monde.

Epine pour Epine, il est le portrait du Christ souffrant. Une différence radicale cependant sépare les deux crucifiés. Face au Christ, doux, humble, patient et qui se tait, Tchikaya Utam’si, sans cesse piaffant d’impatience devant le désordre du monde, et tout le temps éclatant en remontrances, en apostrophes et en imprécations terribles.

Avait-il la foi ainsi que peuvent donner ces deux vers d’Epitomé et d’autres : « Christ, je me convertis puisque tu me tentes, je valserai au son de ta tristesse lente ». L’élan vers le Christ paraît sincère. Avait-il donc la foi, car c’est la une bien belle prière à mettre dans la bouche d’un mystique ? Rien de moins sûr chez cet homme si complexe qui porte en lui tant de contradictions. En tout cas s’il eût jamais la foi, ce ne devait pas être une foi de bigote.

J’ai eu à deux reprises de ma vie, le bonheur de rencontrer l’homme et le poète marqué à l’âme, comme rarement poète fut marqué. Ce fut, pour moi, un bonheur et un honneur. Sans mérite de ma part, la chance me faisait rencontrer un poète salué par la critique comme le meilleur de sa génération, après Senghor et césaire. Je ne me souviens pas de la date exacte, mes deux rencontres avec Tchikaya Utam’si eurent lieu entre 1974 et 1980. ce fut à l’occasion de deux repas donnés en l’honneur du poète par l’ambassade de France à Brazzaville.

Comme il était seul, on me demanda. En l’absence de Tati Loutard, son compatriote, et bientôt son émule, de lui tenir compagnie. J’acceptai, un peu malgré moi, par politesse ; parce que je me demandais, intimidé, comment m’y prendre pour tenir mon rôle d’animateur de la soirée, n’ayant alors lu de Tchikaya Utam’si que très peu de choses. Certes, de mes lectures en diagonale de l’œuvre publiée du poète quelques fragments de vers m’étaient restés qui chantaient dans ma mémoire ; mais c’était insuffisant pour espérer soutenir une conversation avec le poète, qui ne manquerait pas, pensais-je, d’orienter notre conversation sur l’écriture. Après tout je représentait la faculté de Lettres. Je fus soulagé. D’écriture, il ne fut point question ce soir là. Nous parlâmes de tout et de rien, sauf de littérature.

Alors faute de prétexte, le volcan que j’avais en face de moi parut éteint. En tout cas, pas d’éruption ; même pas de fumée. Le temps d’un repas et d’une soirée, Tchikaya Utam’si avait pris congé de son démon intérieur. Il me donna l’impression d’être en parfaite harmonie avec lui-même et le monde à l’absurdité duquel s’alimentaient sa révolte et sa poésie.

De tout ce que j’entendis de sa bouche, en ces deux rencontres, je retins sa passion de la liberté. Cela devait plus tard me donner le courage d’affronter l’hermétisme redouté du poète. Par un continuel mouvement de balancier, je m’efforçait de remonter du souvenir ému du poète pour aller au cœur de son œuvre où la parole roulée dans l’énigme s’enlève sur un décor d’orage et de tempête dont les sarcasmes d’un rire intempestif découple la violence déchaînée. Violence parfaitement rendue par la torture que le poète inflige aux mots, aux phrases sorties de l’ordre attendu ; désarticulées, séparées du contexte logique auquel ils sont liés d’habitude pour se couler dans le rythme incantatoire de la formule magique par où l’homme entre en contact avec les forces cosmiques.

C’est peut-être cela l’hermétisme de la poésie de la poésie de Tchikaya Utam’si, dont, en ce qui me concerne, il me semble n’avoir cerné qu’une choses : le tragique comme socle de l’œuvre poétique d’Utam’si est né au départ du tempérament du poète avide d’absolu, mais qui doit compter avec les limites que lui impose ka condition humaine, la finitude. De là cette révolte qui traverse toute l’œuvre poétique de Tchikaya Utam’si. De là, chez lui, cette obsession de la mort ; la mort qui est l’échec final de l’histoire de l’homme. Tragique né de l’impossibilité pour l’homme de ne trouver aucune solution satisfaisante à sa condition d’être aspirant à l’infini. Tragique né de la conscience aiguë que Tchikaya Utam’si a de l’absurdité de la condition humaine où les contradictions restent insurmontables, où le réel n’est jamais à notre goût, où l’homme est jeté dans un monde sans raison ni providence. La conscience du tragique est au fondement de la douleur et de la souffrance du poète. Il a ramassé cette situation d’inconfort moral dans les deux vers d’Epitomé : « Mon âme est une écharde dans mon corps. »

Ce monde dans lequel l’homme est voué à l’insatisfaction et au combat, Tchikaya Utam’si eut voulu en trouver consolation dans la religion chrétienne et le Christ avec lequel il se découvre un singulier rapport de similitude, presque d’identité de destin. L’élan de sympathie vers le crucifié se fige et tourne à la dérision et à la récusation violente lorsque le poète découvre que le Christ ne joue pas le jeu, et qu’il est au fond celui par qui tant de malheurs sont arrivés à l’Afrique et aux nègres dont il revêtu le destin tragique.

Si le tragique peut se définir comme le sentiment d’inconfort moral et insoutenable que l’homme éprouve en prenant conscience de sa condition d’homme voué à la finitude, alors qu’une part de lui se rebelle qui aspire à l’éternité, alors le tragique est au cœur de la poésie de Tchikaya Utam’si ; et ni le divertissement pascalien, ni son humour noir ne peuvent le délivrer.

Pas même l’amour. « Aimer, écrit-il, me fut amer. C’est cela l’amour, presque un caillou au coup ». Effrayant ! Pas même l’amitié. On peut se demander quelle conception de l’amitié, celui qui a pu écrire : « l’ami sera le traître, l’aimée, la polissonne », « la fraternité fut un mot, j’en fis un os de plus à joindre à mon squelette » !

Il lui reste d’avoir le courage d’accueillir la vie comme elle vient, comme elle s’offre à lui. Même si c’est une vie sans justification, sans providence. Pas facile ; l’esprit regimbe au point que, dans l’espoir d’un peu de réconciliation, Tchikaya Utam’si dans l’œuvre duquel la religion chrétienne est le thème obsessionnel, est tenté de se convertir au Christ dans le destin est semblable au sien. Mais il se ravise bientôt de la différence radicale qu’il y a entre de l’idéologie de ce Christ qui le séduit et son projet à lui du monde. A partir de ce moment là, tout en se défendant contre la séduction que, malgré tout il continue à exercer sur lui, le poète prend ses distances avec ce Christ sale pour retourner à son cauchemar et à rire protecteur « le seul uniforme, écrit-il, que je n’ai jamais porté en haillons dans les orgies, il gardait mon cœur/ contre mes appétits d’ogre » (Le vent, 1964).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Une chose est desormais claire dans l'apprenhension qui je me fais des hommes d'ecritures; seul la chance compte et rien d'autres.L'intelligence encore moins le tallent n'y sont que pour si peu.Comment comprendre que vous professeur,eminence grise emerite dont la remarquable puissnce de l'intelligence ne souffre d'aucune contestation,vous n'avez guere joui a l'identique si non mieu de l'orat que le grand public devolu a vos paires; Tchikaya U tam'si,son admirateur Sony la bout tan'si, lopez Henry enfin si pres de nous le jeune Mambanckou Alain. Je souhaite tres respectueusement un eclaircissement de vous car a comparer le luggage universitaire, il n'y a aucune mesure! Vous en vallez beaucoup mieux.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.