mercredi 7 janvier 2009

De l'amour du beau chez les hommes d'Etats

Notre époque, de par ses caractéristiques les plus frappantes, et surtout dans ce qu’elle a de symbolique, laisse apparaître une crise ; il n’est pas seulement question de crise économique et financière ; il s’agit d’une crise encore plus grave et plus pernicieuse. Elle nous ronge de façon subreptice, et chaque jour nous enfonce davantage dans l’abîme. Cette crise, nombreux avant moi l’ont appelée « crise de la culture ». Crise de la culture ! Crise de l’homme donc.

Dans sa tentative soutenue de lâcher le fil qui le liait avec ce que l’histoire des civilisations avait semble-t-il légué de façon définitive à l’humanité pour en faire la marque (religions, communautés, valeurs, autorité, etc.), l’homme de la modernité s'est renié.

L’un des avatars ce cette crise de l’homme se manifeste dans le rejet de la culture. Ça fait ringard que d’apprécier les œuvres qui forment, polissent et façonnent une âme charmante et élégante. On comprendrait que ce rejet ne soit que le fait de ces barbares venus d’ailleurs, cette « racaille » habitant les quartiers déshérités de nos villes, dont le refus d’embrasser la belle et grande culture du pays d’accueil est entendu par certains comme le refus d’un monde condescendant et méprisant à leur égard. Malheureusement cette crise n’a pas eu la décence de s'arrêter dans ces ghettos ; elle touche aussi l’élite et ses bastions, où il n’est plus inouï de rencontrer des crêtes d’iroquois et autres comportements de zoulous et de papous. La logique de la consommation voudrait que les codes de consommation, les codes culturels aussi, bien entendu, soient définis par cette élite, sorte d’aristocratie moderne. Malheureusement encore, nos princes et comtes modernes n’ont de noblesse que l’apparat.

Ne cherchons pas loin, regardons du côté de l’Elysée dont le maître, chef suprême du bling bling, a tiré à boulets rouges sur un classique parmi les classiques de la littérature de ce pays, ça manque cruellement d’élégance, et quelle épaisseur pour le roi de France !
Fait grave pour le pays dont les lettres sont une référence pour l’humanité entière. L’esprit français, nourri d’humanisme, de beauté et de révolte, plus qu’autre chose, a contribué à la promotion de la France et de sa langue.

Autres temps autres mœurs nous dira-t-on ! Cela est bien vrai, mais vu la déliquescence de nos chefs, princes sans noblesse, il est difficile de ne pas raviver le souvenir de ces présidents, rois, stratèges, dictateurs et consuls amis des arts et des belles lettres, ami du beau grâce auquel ils ont permis le rayonnement des pays dont ils avaient la charge.
Deux chefs d’Etat français, non des moindres, se sont illustrés par cette affinité entre la fonction de Président de la République et la vocation d’écrivain. Pour Charles De Gaulle « la véritable école du commandement est la culture générale […], il n’est pas d’illustre capitaine qui n’eut le goût et le sentiment du patrimoine de l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre on retrouve toujours Aristote ».
Un autre grand capitaine contemporain de De Gaulle s’est lui aussi épris de lettres, Winston Leonard Spencer Churchill, écrivain et orateur brillant, se vit attribuer le prix Nobel de littérature en 1953. Au plus loin que mes souvenirs remontent, Périclès stratège d’Athènes aima la compagnie des artistes et intellectuels plus que celle des politiques ; Anaxagore fut son grand ami. Périclès dont une période de l’histoire de son pays porte son nom, le Ve siècle avant Jésus Christ, n’a régné en fait que trente ans, mais a favorisé plus que quiconque l’essor du beau et a fait preuve de génie dans la conduite des affaires. Il « unira cet attrait irrésistible des grâces et de l’aménité que les beaux arts répondent sur leurs protecteurs aux qualités, aux vertus et à l’héroïsme dont il nous offre le modèle » ; le Parthénon, fruit de son tandem avec Phidias peut toujours, quoique très vieux, être admiré à Athènes.
Alexandre et Jules César, ce politique doué, écrivain au style révéré, se sont eux aussi illustrés en tant que bâtisseurs de belles œuvres. Plus près de nous François Ier, roi de la Renaissance française s’attacha aux maîtres italiens, dont le plus illustre des florentins. Plusieurs châteaux, Fontainebleau en est le plus connu, sont l’écrin de leurs belles œuvres.
Parangon de l’absolutisme, Louis XIV voulut assurer à sa patrie l’éternel prestige que confèrent les grandes créations de beauté. Il a su reconnaître le beau en la musique de Lully, dans les vers de Molière, de Racine, et dans l’art de bien d’autres. La création du beau en France fut chez lui une arme de gouvernement.
Ces grands que nous venons de citer ont marqué leurs règnes par la place qu’ils accordaient au beau ; ils ne s’en montrèrent pas moins, bons gestionnaires, cruels ou bons soldats au moment de guerroyer. Qu’en est-il alors de ces rois modernes, dernier bastion de l’absolutisme ? Ces rois tropicaux, n’appréciant le beau que dans les plaisirs éphémères, s’ennuient avec les œuvres de l’esprit. De beaux châteaux, et non ces battisses d’un baroque de mauvais goût, des théâtres des musées ou des auditoriums dans leurs pays nous auraient prouvé le contraire.


Philippe Ngalla-Ngoïe

4 commentaires:

Anonyme a dit…

le monde contemporain est fait d'actions et de reactions en lieu et place de contemplations et d'immaginaires. Pragmatisme et realisme oqpent une place de choix. Nos Princes en sont en premier interpelles. Si Sarcko ou Obama se plaisent a fouiner dans de belles lettres alors que la situation globale semble alarmante, ce serait leur faire courir le risque d'une vindique populaire. Il faut savoir rendre a cesar ce que lui revient de droit.

Anonyme a dit…

Justement c'est là le problème, le réalisme politique, le pragmatisme et la barbouzerie, n'empêchent que le premier citoyen d'une grande nation soit une personne, dont la culture, la tenue et surtout la langue fassent honneur à son rang...
Charles de gaulle et François Mitterand, ont politiquement causé du tort aux africains; l'un pour la mise en place de réseaux empêchant une réelle indépendance de l'Afrique, l'autre pour la perpétuation de ces réseaux et pour sa gestion de la crise rwandaise. Je reconnais pourtant en eux un charisme, dû, je pense à la gravité qu'apporte la fréquentation des grands caractères que nous offre l'Histoire et les belles lettres et à la beauté de leur langue (qui ne se faconne pas dans les dinêrs avec les stars); sans le vouloir elles nous emmènent à imiter ceux que nous y croisons. Ainsi Jules César voulu immiter Alexandre; Napoléon se voulut un nouveau Jules César.
je ne connais pas l'itinéraire intellectuel de Nelson Mandela, mais l'humanisme dont il su faire preuve, le pardon qu'il su accorder aux anciens bourreaux de son peuple, s'acquièrent sans doute dans une grande connaissance des hommes et une volonté de réaliser leur véritable vocation.

mieri a dit…

Cher Hector!
Votre défense du pragmatisme et de l'enracinement du gouvernant dans le réel et sa trivialité ,ne doit pas vous empêcher de voir qu'au delà de la gestion intelligente du réel et de sa compléxité, la valeur d'un grand homme se mesure aussi à l'aune de sa capacité à transformer durablement le devenir de son peuple;En permettant à celui ci de tendre vers un mieux être et un mieux vivre!Quoi donc de plus naturel à l'esprit qu'humain que la quête de l'absolu Beau, qui ne doit pas se comprendre à la lettre, mais ce concept englobe en lui tout ce que l'homme peut produire de bien et de constructif pour l'amélioration globale de sa vie.
Quand Napoléon fit ériger l'arc de triomphe, ou lorsqu'il entreprit la rédaction ô combien nécessaire et révolutionnaire du Code Civil, il en allait d'une volonté de prestige national et de rétablissement d'un certain ordre social.Cela n'a pas empêché ces réalisations d'être des symboles de la beauté, de la magnificience d'esprits élévés , bien que cela a apporté énormément de bien être quantifiable ou non au peuple français.

Tout cela m'amène à dire, que l'esprit d'un chef d'Etat digne de ce nom doit toujours être tourné vers ce qu'il y a de beau dans la création humaine, car il ne peut en tirer que d'appréciables bénéfices qui viendront nourrir sa quête légitime d'absolu et de mieux être pour sa population.

La modernité ne doit pas être un alibi qui cautionnerait tout manquement à un minimum d'élévation, au contraire je pense que le moderne , en tant que concept doit être l'amélioration actuelle de procédé ancien , qui permette de s'adapter au temps que nous connaissons sans dénaturer l'existant, mais plutôt tout en essayant de le sublimer.

Anonyme a dit…

Brillant, brillant commentaire Massimo, pour l'occasion Massimissimo. Voila une belle analyse et une belle promesse pour cette équilibre de la modernité et de l'esprit. Retenons que pragmatisme, modernité et efficacité ne peuvent se défaire de ce qui, jusqu'ici embellit l'homme.
je vous invite donc à aller sur bibliobs, le site littéraire du nouvel observateur, un article y a été posté sur sarko et la culture.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.