jeudi 14 mars 2013

Juifs et Nègres: destins parallèles, similitudes et différences

Scientifiques et technologiques, culturelles et artistiques, les conquêtes de l’homme dans l’odyssée de l’Histoire ne sauraient, cependant, consoler l’esprit qui pense, du sort effroyable fait, dans le même temps, aux Juifs et aux Nègres discriminés pour non-conformité au modèle universel de l’humanité défini de façon arbitraire par une partie de l’humanité, les Européens.

Cupide et comploteur, le Juif est tout simplement «invivable». Sa place est aux marges de la société blanche bon teint où il est tenu à l’œil, sous surveillance permanente. A quoi le reconnaît-on? A son nez crochu de rapace.

Au ban de l’humanité aussi le Nègre; mais pour des raisons différentes, tout autres: son physique répugnant, le reflet de vices monstrueux. La droite humanité en vient alors à douter de son statut d’humain. Voilà pourquoi l’Occident chrétien, tout au long de l’histoire, peut lui infliger, la conscience tranquille, ce traitement dont on épargne les bêtes elles-mêmes les plus féroces.

Juifs et Nègres seront, en effet, à travers l’histoire, dans les formules les plus diverses, sujets de maltraitance de la part du reste de l’humanité. Des commencements de leur histoire à la création de l’Etat moderne d’Israël, les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob connurent les pires choses qui puissent arriver à un humain: l’esclavage, la déportation, les pogroms et la shoah, le projet sinistre de leur extermination. Les tuer tous, jusqu’au dernier, de façon à effacer leur mémoire même de la terre des vivants! On reste effrayé par tant de barbarie.

Le destin des Nègres est à peine différent de celui des Juifs. Esclavage, déportation, même dans leur propre pays, en sécurité nulle part, toujours errant, comme les Juifs. En paix avec le Blanc juste le temps de dissiper le chagrin de celui-ci; car le Blanc est sujet à la tristesse et au chagrin que le Nègre chasse ou dompte par la trompète de son rire et par ses facéties. Le Nègre est, pour le Blanc qui le méprise, juste un instrument à sa disposition; il ne peut l’aimer. Et lorsque cela arrive, il faut le ranger au registre du mystère. Cette identité existentielle des Juifs et des Nègres exilés loin des autres «humanités» n’inspira, cependant, pas aux deux damnés, des logiques identiques pour s’en sortir.

Cette différence des logiques et des stratégies allait donner des résultats contrastés que du reste, les différences de départ du contexte sociologique de production de ces logiques laissaient pressentir. L’historien peut alors, après coup, dire pourquoi, alors que tout au long, elles furent toutes deux un drame continué, l’aventure des Juifs se termine plutôt bien, en tout cas pas plus mal que cela, alors que celle des Nègres se termine par un naufrage. C’est que, dès le départ, les Juifs formèrent un groupe que le lien biologique et de sang entre ses membres soude autour des mêmes normes et des mêmes valeurs en quelque chose de si fort que le temps qui passe l’entame à peine. La communauté juive se forge au contraire au fil du temps et de l’affrontement avec soi et l’extérieur ce caractère trempé et bien affirmé qu’on sait du Juif. Et cela fait que, mal aimés, haïs, mais sourds à l’invective, les Juifs se dressent face au destin et avec une male obstination, frappent aux portes du futur. Pour le juif, les horizons du futur ne sont jamais bouchés que pour un temps; le temps de l’épreuve inspiratrice de stratégies et de ruses nouvelles pour la contourner ou la surmonter.

C’est presque la marche des Juifs à travers l’Histoire qui s’inscrit dans la dialectique mouvementée entre le passé, le présent et les incertitudes et les possibles du futur. Jamais au repos, toujours en route, le Juif inquiète. Une victoire sur lui n’est jamais que provisoire.

Le Juif refuse la défaite. Il se sait mal aimé. Mais, il ne baisse jamais les bras et, volontiers, ferait sienne cette maxime latine: «Oderintdum me metuant» (Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent!».

En face du Juif marchant toujours la tête haute, le Nègre résigné. Prométhée et Sisyphe ne sont pas de sa race. Fataliste, il s’avance vers des horizons bouchés pour de bon. Voilà pourquoi il cultive des sagesses terre-à-terre, juste pour la résolution des problèmes de la quotidienneté.

Qu’est-ce donc qui fit des descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, au commencement, banale, bande (au sens sociologique et ethnologique), de chevriers, les fondateurs surprenant de cet étonnant Etat d’Israël? Pour les croyants, Dieu écrivit de bout en bout l’histoire d’Israël, ayant fait des descendants d’Abraham, son peuple élu. L’historien, lui, place à l’origine de l’épopée juive, le sens de la profondeur de son histoire et la conscience aiguë que la communauté en eut. Cette posture morale et psychologique collective fut le vecteur spirituel de la merveilleuse aventure de ce peuple étonnant.

Dans cette perspective, on peut se demander comment, sans la conscience vivante d’un passé commun qui ne fut jamais, immense continent aux mille nations depuis fragmentées en un grand nombre d’Etats faits de mille composantes ethniques opposées par des configurations culturelles particulières, l’Afrique peut former des Etats où, grâce à la socialisation par tous des mêmes valeurs, deviennent possibles à tant de particularismes, un vivre-ensemble et la projection vers un futur commun vivable?

L’éducation à l’esprit citoyen, vertu cardinale dans la construction de la nation, parce qu’elle rend possible l’adhésion réfléchie aux mêmes valeurs dans une même culture publique, peut-elle suffire, jouant alors chez tous les membres de la communauté, le rôle d’une conscience historique unitaire que, justement, dans le cas de l’Afrique divisée au plan géographique culturel et historique, l’histoire avait rendue impossible?

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.