lundi 12 mars 2012

Christianisme et religions africaines comme espaces de sens distincts et opposés

Les religions africaines ne s’organisent pas comme les religions révélées (judaïsme, christianisme, bouddhisme), autour de la méditation sur les problèmes métaphysiques: le sens de l’existence humaine, le mal, la mort. Sans ambition intellectuelle tournée vers la recherche de solutions à des conditions d’existence précaires et difficiles, elles sont orientées, à partir de visions du monde et de systèmes d’idées simples, à trouver les moyens d’affronter les peurs et les angoisses venues de l’ignorance du monde qui entoure l’homme.
Source de nourriture, mais aussi de peurs et d’angoisses, la nature se vit vite attribuer, par l’homme, des forces extraordinaires, surnaturelles, numineuses, en permanence, tenant l’homme sous leurs menaces terrifiantes. On fait dépendre le bonheur de l’homme sur terre, de la nécessité, pour lui, d’inventer des astuces et des stratagèmes pour se concilier ces forces redoutables, se les rendre favorables dans tout ce qu’il entreprendrait. La condition étant une connaissance parfaite des formules rituelles, élaborées à cet effet, leur récitation exacte. Le statut ontologique de ces divinités (les «mikissi», singulier «mukissi» de la société kongo; on dit encore «nkita», mais pour désigner une autre classe de «mukissi») est flou, indéterminé. Les «mikissi» sont-ils des entités douées de conscience ou bien sont-ils, comme les robots, des forces qui ne sentent ni ne pensent, leur efficacité dépendant uniquement de l’adresse de l’homme à les manipuler? On ne sait pas trop.
La seule chose, en revanche, qu’on sait d’observation, c’est que les religions auxquelles ces «mikissi» ont donné naissance n’ont pas pour but, comme dans les religions révélées, la connaissance, l’amour et le service d’un Dieu parfait vers lequel les fidèles doivent s’efforcer de tendre, dans un effort constant d’ascèse et de purification intérieure. Elles ne sont pas des organisations en recherche de spiritualité; elles n’exigent pas de leurs fidèles l’élévation de leur âme vers des réalités infinies. Elles sont juste des techniques, un ensemble de procédés pour s’ouvrir un accès à des forces invisibles et redoutables dont l’homme peut, cependant, se servir comme moyen d’action.
Certaines de ces divinités sont, tels les «bissimbi» des Kongo, cruelles et agressives; la connaissance de leur psychologie et de leur caractère par l’homme l’aide à vivre avec elles sans trop de danger. Ainsi, l’homme qui passe dans les parages où se trouvent leurs habitacles, doit, s’il veut éviter qu’elles lui courent dessus, penser à se munir, pour les leur jeter, d’œufs, de poisson fumé ou de bananes mûres (bananes dessert). La faculté que possèdent ces divinités d’éprouver des sensations (ici la faim) et de les satisfaire, fait d’elles des êtres anthromorphes, certes, mais privées, semble-t-il, de la conscience qui ferait d’elles des personnes comme est une personne, le Dieu des religions révélées.
Les religions africaines ne sont pas, de ce fait, des religions d’adoration et d’amour, de recherche de l’union mystique avec Dieu, mais des religions où la prière est une incantation de type magique, et le rituel liturgique, une suite de gestes prosaïques inspirés par la quotidienneté et les pulsions de vie. Nous sommes loin du souci d’élévation de l’esprit au-dessus du corps dont, au contraire, ici la présence est souhaitée la plus dense possible: danse, transes et cris de joie stridents! Tout le contraire du rituel de célébration chrétienne catholique par exemple où l’humble demande des fidèles est portée par un chant qui se confond avec la voix d’homme, le plain-chant, acte de reconnaissance, d’adoration ou de repentir murmuré à l’oreille de Dieu.
En Afrique noire, dans le bassin du Congo, les premiers baptisés passèrent au christianisme (XVIème siècle) avec la conception primitive et bornée de la religion de leurs pères. Vingt ou vingt-cinq générations après, on peut douter que quelque chose de ce patrimoine ne soit pas passée à leurs descendants, tant est lente l’évolution des mentalités et des cultures qui les structurent. Le franc succès que, aujourd’hui, au Congo et en Afrique, rencontre l’idéologie de l’inculturation pourrait bien s’expliquer par la survivance d’éléments du rituel des religions de nos pères: cet amour de l’expression corporelle, ces danses, ces cris de joie devenus l’ornement de nos cultes, faisaient partie du rituel de nos religions. Ce rituel trépidant contraste violemment avec la gravité du message de l’Evangile et la noblesse de la religion chrétienne, dans ses formes d’expression tellement éloignée de la religion de nos pères si prosaïquement terre-à-terre et matérialiste!
Or, sans tourner le dos à la matière, le christianisme est une religion qui ouvre sur l’espérance du salut, mais sur fond tragique: «Le disciple n’est pas au-dessus de son maître; Prends ta croix et suis-moi; Les violents seuls arracheront la victoire; Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au paradis», et ainsi tout du long. Un Dieu qui s’incarne et meurt pour laver la faute de l’homme et le sauver, est-ce donc une fantaisie pour que soient autorisés au culte ces trémoussements du corps et ces criaillements qui dessinent un espace de sens contraire à celui que l’Evangile nous propose?
Les Juifs, qui ont de Dieu une plus noble idée que bien des Noirs d’Afrique n’ont pas, ont pour le louer et l’adorer un rituel de bout en bout austère, qui mobilise la conscience. Pas de place pour la fantaisie que, même Noirs, s’interdisent les musulmans dans leurs mosquées. Il faut, donc, craindre que les chrétiens d’Afrique et du tiers-monde (Amérique latine et Caraïbes) qui se grisent d’une inculturation du christianisme dégradée en exaltation tapageuse du corps et des sens, n’aient, en fait, un problème avec l’Evangile qui, constamment, nous rappelle au devoir de tenue et de retenue, de discrétion, de discipline du corps et de l’esprit. L’inculturation à l’africaine, outre qu’elle a préalablement lien avec des traits fossiles des religions de l’Afrique ancienne dont le moins qu’on puisse en dire est que, si proches de la magie, elles n’ont pas grand-chose de commun avec le christianisme et l’Evangile de Jésus-Christ, l’inculturation à l’africaine est peut-être une manifestation du besoin de fantaisie des cultures et de l’âme africaine. Trop de sérieux les agacerait! Dieu merci, la thèse est fausse et l’explication se trouve ailleurs: dans un enracinement du christianisme encore insuffisant dans notre culture dans son essence, le christianisme bien compris est invitation constante à la joie («Gaudete, interum dico, gaudete», Paul, épitre), mais, la joie grave de ceux qui ont une claire conscience du tragique de l’existence où l’homme a été jeté.
En vérité, dans notre volonté légitime d’enrober notre foi chrétienne de notre culture, espérant ainsi l’enraciner plus en profondeur en nous, seul un nationalisme borné peut nous dicter de prendre appui sur les religions et les cultures de l’Afrique ancienne, sans un examen préalable rigoureux de leur contenu. C’est que le christianisme et les religions africaines sont loin d’ouvrir des espaces de sens identiques et superposables. Et cette différence radicale affecte forcément la compréhension et la pratique du christianisme de l’Africain qui embrasse la foi chrétienne sans une totale remise en cause des valeurs religieuses et de culture de sa société d’origine. Si donc l’on veut éviter de donner dans des syncrétismes aberrants, rien d’autre à faire que de soumettre à une sévère sélection, les traits de nos cultures que nous voulons mettre au service du christianisme. Il faut qu’ils aient une telle valeur d’humanité qu’ils sont capables, demain, de déborder les frontières des chrétientés africaines et de s’universaliser.

1 commentaire:

hector a dit…

Il faut qu’ils (incantations, cries, transes…) aient une telle valeur d’humaniste qu’ils soient capable demain de déborder les frontières chrétiennes africaines de s’universaliser. Est ça dire que les spiritualités africaines ne portent guère en elles si non très peu de valeurs humanistes ? Ce serait alors donner crédit à ceux qui pensent que l’homme noir serait à la périphérie de l’humanité. Que tout chez lui semble primitif à commencer par son savoir être. Quant par ailleurs, à la capacité d’expatriation de ses valeurs spirituelles, contrairement à ce qui semble paraitre, ceux-ci s’exportent en s’exprimant très éloquemment. Ce ne sont point les latino-américains qui le démentiraient encore moins les très nombreux adeptes du negro-spiritous et du gospel largement reconnus à travers le monde. Ces différents rites et rythmes d’essences et émanations africaines glanent de multiples foules qui y trouvent un repère indispensables à toutes élévations et adorations au Créateur Très Saint. En définitif, il me semble complètement hasardeux de consacrer l’exclusivité de valeurs spiritualo-humanistes au monde occidental. Nous le savons parfaitement, nombreux facteurs historiques ont concourus à ce que ces derniers s’imposent et implantent leurs spiritualités dites « humaniste » Presque partout sur la planète. Il revient en revanche à s’étonner de leurs efficacités ne serait-ce que dans la déliquescentes des sociétés qu’ils prirent corps. Stress, dépressions, démences, addictions… Constituant le lit quotidien. Tous désormais s’accordent, ( psychanalyse y comprit), à recourir aux « méditations » types orientales, plus profondes et très contemplatives.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.