Ces trois subdivisions régionales de l’Afrique se présentent, en effet, chacune, fractionnées en espaces naturels caractéristiques qui avaient fini par influer sur la structuration et l’organisation sociale de leurs habitants. Si nous nous arrêtons à notre pays, le Congo-Brazzaville, nous nous apercevons, très vite, que son territoire est découpé en un certain nombre d’aires culturelles dans la formation desquelles l’environnement naturel paraît avoir joué beaucoup. Des aires culturelles au profil net, identifiables chacune, par la communion en un certain nombre de valeurs dominantes de leurs composantes ethnolinguistiques; et cependant, en même temps, ces dernières présentent chacune des particularismes et des différences qui les séparent et les opposent à l’intérieur du même bloc. Un Babeembe à un Viii du Loango, un Kunyi à un Laadi-koongo, un Bakaamba à un Bayombe, un Musundi à un Muhangala, etc. Il en est de même du groupe dit Ngala. Les Mbosi, les Likuba, les Moï, les Mboko, les Ngaré, les Makwa, les Kuyu qui le composent partagent un certain nombre de valeurs dominantes. Ils restent, cependant, séparés par bien des traits culturels. Le groupe Eshira-Ndumu-Teke (Teke, Tegue, Kukuya, Nzebi, Tsengi, Wumvu, Eshira) présente, comme les deux précédents, les mêmes rapports d’inclusion et d’exclusion entre ses composantes culturelles.
Ce serait, alors, une erreur de ramener l’impressionnante diversité culturelle de l’Afrique noire à quelques traits communs repérés et, à partir d’eux, proclamer une unité culturelle de l’Afrique qui relève de la mystification ou de l’ignorance. Sur le plan régional, une unité culturelle illusoire du Congo. Par politesse ou par mimétisme, les fidèles qui ne se retrouvent pas dans le schéma culturel unitaire que leur imposent le prêtre ou le pasteur dans l’élaboration des rites du culte, se taisent et s’exécutent. Mais, si le pasteur et le prêtre qui n’imposent leur vision des choses (qui est souvent celle de leurs groupes d’appartenance) que parce qu’ils occupent une position de pouvoir, si le pasteur et le prêtre donc laissaient s’exprimer la sensibilité de chaque fidèle en fonction de sa formation intellectuelle ou de ses origines culturelles, ils prendraient, peut-être, conscience de la nécessité d’aller au-delà, pour trouver des formes d’expression liturgique du christianisme africain, fédératives qui soient de l’art (et donc le résultat d’une recherche de formes dans la soumission aux contraintes du métier) et non la traduction spontanée et instinctive d’une émotion de bigote qui est la négation même de l’art. L’art, même sacré, est maîtrise de nos affects. La docilité somnolente à nos traditions est une injure à l’Afrique. Elle traduit l’incapacité de nos clercs à dépasser une Afrique de folklore. L’erreur de bien des partisans de l’inculturation du christianisme en Afrique consiste à en faire, non une opération subversive du message évangélique destiné à remettre nos traditions en question, mais un processus d’enrobement de ce message par nos cultures locales. Mais, étant donné la distance infranchissable qui, souvent, sépare le message évangélique de nos cultures locales, je ne pense pas qu’il soit sage, sans examen, de partir d’elles pour rejoindre l’Evangile qui les juge toutes. Le syncrétisme guette. On a commencé part l’exhumation des rituels de célébration des divinités «païennes»; on pensera, peut-être bientôt, aux vases sacrés tout en bois et aux vêtements liturgiques à «inculturer» absolument. Une tunique de raphia raide à la place de la chasuble ou de la dalmatique de lin, et de l’aube! Et, au lieu de la mitre de l’évêque et de la tiare du pape si éloignées des traditions africaines, pourquoi pas la toque à trois pointes de nos chefs traditionnels? A la vérité, nous ne manquons pas d’audace et il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin! En attendant, pour peu qu’on ait du goût, il est grotesque et tragique de danser sous une chasuble ou une dalmatique; le Christ du Golgotha n’a pas besoin de telles drôleries.
Ainsi, il me semble qu’on se fourvoie, en faisant des rites des religions de nos ancêtres, le support du christianisme africain qu’on devrait, plutôt, opposer au christianisme occidental, non par les formes d’expression de ses célébrations liturgiques, (qui peuvent rester identiques à celles de l’Occident chrétien, sans frustrer personne), mais par sa ferveur et la joie de son élan qui tiennent au tempérament nègre. Ce christianisme africain là refuserait de retourner à une religion de nos ancêtres, pragmatique, sans dimension mystique, utilitaire, dans laquelle, mécanique, de type magique et intéressée, la relation du fidèle à la divinité est construite essentiellement sur sa foi en la capacité de la divinité à faire droit à sa demande. Probablement parce que, loin d’être une transcendance, le «mukisi» n’est qu’une force mystérieuse de la nature, secourable à ceux qui savent et la canaliser à leur profit, par des rites appropriés, des incantations et des chants. L’assistance ne danse pas; elle met simplement plus de cœur et de couleur dans son chant et ses incantations. La réponse à sa demande en dépend. L’officiante, non plus, ne danse pas. Elle simule juste un combat avec la divinité qui lui résiste et refuse de se rendre aux vœux de l’assistance. Où en voit que, si le culte chrétien africain au cours duquel les fidèles peuvent s’abandonner aux ondulations de la danse, s’inspire d’une telle célébration liturgique traditionnelle par fidélité à une tradition dont, souvent, il ne nous reste que des fragments misérables, d’interprétation difficile, ceux qui l’organisent se trompent; l’église ou le temple, habitacle du Dieu vivant et de majesté, n’a pas la même signification symbolique que le lieu où se déroule le rite de célébration du «mukisi» qui est loin d’être) comme le Dieu de l’Evangile, une conscience et une personne au sens philosophique du mot. Sa présence, au lieu du culte, impose au fidèle qui croit en lui, une autre attitude de la conscience et du corps que celle qu’adopte celui qui s’adresse à un «mukisi». L’espace du «mukisi» n’est pas le «locus terrubilis» du psalmiste. Un lieu terrible à cause de la présence de Dieu. Voilà pourquoi on peut y danser.
Dominique NGOÏE-NGALLA, La semaine Africaine, décembre 2010.
1 commentaire:
J'ai appris des choses interessantes grace a vous, et vous m'avez aide a resoudre un probleme, merci.
- Daniel
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