
L’accélération de l’histoire sociopolitique et socio-économique des deux Congo, son berceau, la marque en profondeur. Elle prit les colorations successives et contrastées des deux grandes séquences de l’histoire récente du bassin du Congo: la coloniale et la post-coloniale.
Chacune d’elles apparaissant divisée, à son tour, en un certain nombre de sous-séquences rythmées par le jeu politique.
Dans la séquence coloniale, on peut observer un âge de tâtonnement, puis d’adolescence de la rumba congolaise moderne suivi, peu après, de l’âge de maturité: années 1955-1960. Une courbe d’évolution inscrite dans une séquence d’une vingtaine d’années, si nous prenons 1939-1940 comme repère.
L’âge d’or de la rumba congolaise culmine entre 1960 (les indépendances) et 1965, pour le Congo-Brazzaville, 1970 pour le Congo-Léopoldville, devenu Zaïre depuis l’avènement de Mobutu. De 1946 à 1970, passée une décennie de recherches laborieuses et tatillonnes, rumba sereine, caractérisée par la grâce coulée de la chorégraphie, le charme aérien de la chanson enchâssée dans un texte de sobriété toute classique, mais aux élans lyriques, ou d’une ironie souriante (Franco). La sérénité de la rumba de cette époque apparaît comme le reflet d’un ordre social imposé, certes, par la présence coloniale, mais que le contexte économique colonial de l’époque (l’existence d’une forte colonie d’Européens intéressée par le commerce rend supportable et même multiplie les petits boulots). Les bistrots ne désemplissent pas et les bars dancing.
La chanson n’est pas triste. On s’amuse bien.
La rumba grinçante et grimaçante, aux rythmes fiévreux et à la chorégraphie d’enfer, n’apparaît qu’après les années 70. Elle chasse la première rumba congolaise, la coloniale qu’elle supplante. Cette rumba frénétique déréglée peut-être donnée pour l’exact reflet de la grave crise sociale, politique que traversent les deux Congo: troubles politiques, récession économique profonde. Le doute s’installe parmi les populations urbaines multiculturelles. La difficulté d’un dépassement de leurs particularismes les conduit, bientôt, à l’affrontement et au repli identitaire. S’ouvre, alors, une longue période où, la rumba abandonnée, en rupture avec elle par leur exubérance excessive, le libertinage de la chanson, la hardiesse de la chorégraphie où la pudeur est mise à mal, des danses aux appellations et aux configurations diverses, mais communiant dans une même volonté de vulgarité provocante, font une tapageuse apparition.
Issu du style déjà baroque des Zaïko, qui opèrent une transition en douceur entre le classicisme étincelant de la rumba congolaise de la belle époque (1958-1965) et ses épigones tumultueux, sympathique et drôle, loin de toute provocation licencieuse, le ndombolo primitif peut-être donné pour le dernier avatar discipliné et rangé de la rumba de Jeff Kabasselé, Tabuley, Franco, Essous, Nino Malapet, Mujos, Kassanda et tant d’autres de leurs confrères et émules, aussi modestes que talentueux.
Et comme ces dérivés burlesques de la rumba sollicitent nos instincts les moins nobles, malheureusement les plus puissants, en très peu de temps, ils investissent l’imaginaire des Congolais subrepticement amenés à ne plus sentir, penser et agir qu’en référence à la vision du monde que véhiculent ces succédanés de la rumba moderne.
Abandonnée à elle-même, sans horizon d’espérance crédible, atteinte de plein fouet par un chômage chronique massif, ces danses de bouffons et d’histrions restent, malheureusement, l’unique refuge d’une jeunesse déboussolée, à la recherche de consolations faciles.
Les politiques de l’Afrique centrale devraient, donc, davantage faire preuve d’imagination et d’inventivité, pour redonner espoir à une jeunesse que des déceptions et des frustrations continuées pourraient jeter dans des explosions de violence pour l’instant contenues par l’opium de musiques dont on peut douter qu’elles l’aident à se construire.
Tant elles sont, spirituellement et intellectuellement, débilitantes, ces musiques.
On a dit que la musique adoucit les mœurs. J’ignore le bien fondé de cette affirmation.
Ce que je sais le mieux, en revanche, c’est qu’elle les corrompt, si on n’y prend garde.
Article paru dans La Semaine Africaine, octobre 2010
2 commentaires:
C'est hélas vrai que la tendance actuelle et globale de la rumba ne prête ni à la réflexion, ni à la poésie, ni d'ailleurs à la réalité.
Je pense qu'il faudrait tout de même évoquer et encourager ceux des artistes qui demeurent à un esprit "sain" de la rumba et inspirent encore la jeunesse. Mais combien sont-ils (ou combien en reste-t-il car ils sont d'un autre âge pour la plupart)?
"le ndombolo primitif peut-être donné pour le dernier avatar discipliné et rangé de la rumba de Jeff Kabasselé, Tabuley, Franco, Essous, Nino Malapet, Mujos, Kassanda et tant d’autres de leurs confrères et émules, aussi modestes que talentueu
C'est vrai que le ndombolo du début était bien milleur et moins vulgaire que celui des ces dernières années.
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