lundi 22 novembre 2010

La démocratie, un long apprentissage du vivre-ensemble harmonieux jamais terminé

Platon voulait des philosophes à la tête de l’Etat, pour la raison que les philosophes étant des individus à la conduite réglée par une raison sans cesse exigeante d’intelligibilité et de droiture, ils étaient les mieux placés pour exercer, au profit de la collectivité, les fonctions de gouvernement. De là, l’hostilité de ce philosophe à la démocratie qu’on définit, en remontant à l’étymologie du mot, par gouvernement par le peuple. Platon refuse que le peuple ignare et grossier et donnant facilement dans la violence ait les capacités intellectuelles et morales du philosophe, pour gouverner avec sagesse. Pour les mêmes raisons que son maître, Aristote se montre également hostile à la démocratie.


Mais, pour autant que le peuple (demos) n’est pas qu’une abstraction, une simple idée, et n’existe que par les individus qui le composent, les philosophes compris, pourquoi, n’étant pas, de ce fait, le ramassis de gueux auquel le philosophe le réduit, ne serait-il pas capable de gouverner, en ne visant que d’assurer à l’ensemble des citoyens, la vie bonne à laquelle ils aspirent? Il suffirait, simplement, de sélectionner les meilleures de ces citoyens, l’élite. Dans ce cas, Platon et Aristote ont tort de condamner la démocratie à n’être jamais qu’un régime politique capable de rien d’autre que de désordre et de violence.

Il suffirait que le peuple reçoive l’instruction et l’éducation qu’il faut, pour qu’il soit capable, comme le philosophe, de gouverner avec sagesse. La démocratie, gouvernement du peuple, ce n’est jamais, aux commandes, cette simple idée appelée peuple, mais des individus choisis pour leurs mérites et leurs compétences.

Par ailleurs, la démocratie étant, comme l’humanité (sens normatif), une quête, une vertu, on ne naît pas démocrate, on le devient. Les hommes qui, tous, naissent des brutes, ont ainsi besoin d’une culture qui les aide à devenir des humains aptes à exercer le pouvoir démocratique.

La démocratie, régime politique révolutionnaire, à bien des égards, apparaît à Athènes et sur le territoire d’Athènes, au Vème siècle avant Jésus-Christ. Mais, ce ne fut pas un hasard: plusieurs générations de préparation des esprits avaient été nécessaires. Encore qu’insuffisantes pour que la révolution démocratique s’impose à tous les esprits et retourne les mentalités, quelques décennies plus tard en effet, elle fut balayée par un régime à vision idéologique tout à fait contraire.

Pourtant, la nouvelle en avait été saluée par tous les Grecs façonnés à la réflexion par l’étude, comme une chose excellente, conforme à leurs attentes. La force de l’habitude, allait, chez beaucoup, triompher de la ferveur des premiers moments, malgré que la révolution politique et sociale inscrite dans le projet démocratique, parût, non pas une offense à l’ordre naturel, mais, au contraire, le meilleur moyen pour l’homme de réaliser celui-ci, pendant plus d’un siècle, avant le surprenant manifeste de Clisthène, les fameux présocratiques, chercheurs et hommes politiques balisèrent le chemin, en réfléchissant aux meilleurs moyens et conditions pour les hommes de vivre bien ou, du moins, le moins mal possible. Le nouveau système politique rencontra, pourtant, bien des résistances. Il heurtait des égoïsmes.

La démocratie connote constance de l’effort pour se libérer de soi. Le chemin qui y conduit est, donc, montueux. Il exige, pour ceux qui s’y engagent, un minimum d’ascèse. Voilà pourquoi, même dans les pays de vieille démocratie, sa pratique ne va pas de soi. Dès que la vigilance se relâche, la barbarie refait surface. Il n’est pas de système politique qui n’en comporte; mais dès qu’on accepte de se soumettre à ses exigences et qu’on prend de la hauteur, la démocratie est, en attendant de trouver mieux, celui qui en comporte le moins.

Pour s’élever à un meilleur niveau moral dans l’exercice du pouvoir politique, l’Afrique ne peut, donc, espérer faire l’économie du dur et long apprentissage de la démocratie. La démocratie, P. Ricœur l’a dit, est «une aventure éthique». L’éthique pouvant être définie comme un «art de vivre», ou l’ensemble réfléchi et hiérarchisé de nos désirs. Le philosophe nous donne à entendre que la démocratie se présente avec les exigences morales d’un long cheminement vers la vie bonne; cheminement fait de connaissances et de choix. Et si ce cheminement, pour aboutir, implique de telles exigences, pas d’autres voies de recours pour l’Afrique qui se cherche, ses gouvernants généralement hostiles, dans leurs pratiques, à ce régime politique devront pourtant s’y faire. Mais, pour implanter la démocratie chez eux, pas d’autre chemine- (9ue l’éducation de l’esprit, en vue du développement des facultés de discernement, de sensibilité et de volonté. Vivre démocratiquement étant synonyme de respect de soi, de respect de l’autre, d’accueil de l’autre, dans sa différence. Aptitude, à la cohabitation harmonieuse des hommes qui ne va par mininum de frein à nos égoïsmes, à notre violence.

Le déficit des démocraties africaines, toutes bancales, résulte, d’abord, du déficit d’une éducation véritable sur ce continent. Dans les pays mêmes où le taux de scolarisation est élevé et mérite d’être salué comme une percée vers la modernité, il faut, en fait, parler d’opérations spectaculaires d’alphabétisation. Ce n’est pas, en effet, à la réflexion que sont formés la majorité de nos collégiens et de nos lycéens; et même de nos étudiants de facultés, mais au déchiffrement, tout simplement, des textes écrits. L’école leur donne des connaissances, mais ne les forme pas à la vie sociale régie par des rites d’interaction. Une cohabitation harmonieuse exige du tact, une sensibilité éduquée. Le défaut d’une éducation qui développe le cœur et la sensibilité qui rendent aptes à l’accueil de l’autre et au dialogue pourrait expliquer qu’on ne rencontre pas en Afrique, beaucoup d’Etats qui ne redoutent le débat démocratique; en dépit que l’Afrique vient de la palabre, le plus grand «espace de confrontation» publique des esprits.

Il en résulte que dans les pays africains, si les citoyens connaissent leurs devoirs et leurs obligations, parce que les dirigeants politiques, avec constance et brutalité, les leur rappellent, en revanche, ils ignorent leurs droits. Ce qui permet à ces dirigeants d’établir, avec eux, le rapport indigne que les seigneurs de l’occident médiéval avaient avec leurs serfs chosifiés. Le jour où, comme le croyait Platon, ces dirigeants africains sans éducation (au sens de ce texte) en auront un peu, on pourra croire proche la fin de la servitude de l’Afrique indépendante.

Dans tous les cas, qu’on s’y engage à partir d’une société primitive ou à partir d’une société civilisée, la démocratie décline le même idéal d’une société parfaite pour laquelle l’être humain, imparfait et limité, mais en lequel, comme un aiguillon, est inscrite l’aspiration à la perfection, se sent fait et vers laquelle une force mystérieuse le pousse. Ceux qui s’engagent dans l’aventure démocratique à partir d’une civilisation et d’une culture élevées ont, toutefois, de plus grandes chances d’avancer plus vite que ceux qui partent de plus bas; ceux-ci ont, cependant, l’obligation morale d’emboiter le pas à ceux-là. Si elle veut se développer, l’Afrique n’a pas le choix.

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Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.