mercredi 10 novembre 2010

La colonisation et l’indépendance de l’Afrique

La colonisation de l’Afrique noire fut décidée à un moment où un progrès scientifique fulgurant, matérialisé par un essor industriel sans précédent, vint, en quelque sorte, apporter la preuve de la supériorité de la race blanche sur le reste des groupes humains, décuplant, du coup, sa volonté de puissance et de domination sur le reste du monde. Il ne fut pas, alors, difficile à la «race supérieure», de se trouver le prétexte moral qui l’autorisât à mettre au service de ses industries, la race noire classée parmi les dernières, mais dont la traite négrière avait démontré à quel point les Noirs pouvaient être une main-d’œuvre efficace et relativement peu coûteuse. Rejetés aux marges de l’humanité par les penseurs des Lumières, ramenés au rang de bêtes de somme parles négriers, à partir des doutes qui planaient sur leur statut ontologique, il était prévisible que les colonisateurs ne seraient pas tendres avec eux. C’est ainsi que, dans les premières décennies de ses débuts, la colonisation rivalisa de cruauté barbare, avec la traite des Noirs. Certes, entre1945 et 1950, le souvenir des horreurs de la grande guerre et les meurtrissures de l’orgueil blanc, qui s’en suivirent, inspirèrent à l’occident d’apporter quelques assouplissements au régime colonial. Mais, pour autant, le beau geste d’humanité décidé dans la contrainte ne lavait pas l’occident de la faute coloniale, d’autant moins pardonnable que la «race supérieure» n’avait pas l’excuse de la sauvagerie et de la mauvaise éducation. Entre 1945 et 1950, pourtant, soit une décennie, exactement, dans certaines colonies françaises et britanniques, les secteurs de l’éducation et de la santé furent l’objet d’une attention que rien n’avait laissé présager. Les soins que les métropoles y apportèrent et les beaux résultats qu’elles obtinrent auraient pu propulser, dans la modernité, les colonies bénéficiaires, si, devenues indépendantes, leurs élites, dépourvues de la plus petite expérience, s’étaient montrées prudentes dans la gestion des affaires publiques.

Qu’on y pense: longtemps resté l’affaire des seuls missionnaires, mais que, sauf à ouvrir, à la station principale de mission, un cycle primaire complet, en vue de la préparation à l’entrée au petit-séminaire, le défaut de moyens réels limitait à des tâches plutôt d’alphabétisation, le niveau de l’enseignement s’est nettement relevé. Et l’élève de la classe terminale d’aujourd’hui, on peut douter qu’en orthographe et en arithmétique, il soit à même de rivaliser avec un élève du cours moyen des années 1947-1950. Dans le domaine de la santé, entre 1945 et 1946, fut définie une ingénieuse formule: chaque année, des équipes mobiles, conduites par des médecins, sillonnent les contrées les plus inaccessibles, pour vacciner sur place les populations, dépister et soigner des maladies comme la trypanosomiase ou la lèpre. Sur le plan économique, les paysans ne se font pas de soucis pour leurs récoltes: arachides, maïs, palmistes, etc. Des marchés régionaux tournants sont organisés où ils sont assurés de tout écouler. Un petit pécule ne leur fera plus jamais défaut. De nombreux petits progrès du même genre qui consolent les populations de la rudesse et des brutalités de l’époque précédente: 1880-1945. Et aux témoins, comme les deux décennies qui suivent la fin de la guerre est douce, comparée à la longue période si sombre qui les précède! C’est à ce point d’articulation de deux versants si contrastés de la colonisation (la française et la britannique), que surgit la question de savoir si la colonisation fut un bien ou un mal. Ceux qui vécurent le versant, de bout en bout sombre, sont, tous, morts. Nous n’aurons plus jamais leurs témoignages. Ils étaient nés entre 1860 et 1880.

Restent ceux qui vécurent dans l’entre-deux. Le désordre des indépendances comparé à l’effort d’humanisation des dernières années du régime colonial leur fait regretter, forcément, embelli par l’effet de contraste, l’ordre ancien. Indifférents à la fierté morale que donne de se savoir devenus des citoyens libres d’Etats souverains, mais rendus odieux par des injustices accumulées, sensibles uniquement aux souvenirs heureux d’une époque maintenant révolue: la gratuité, pour tous, des soins de santé; la gratuité des études pour leurs enfants; la stabilité économique; l’accès facile à un immense marché de l’emploi. Ils regrettent le temps où leurs libertés étaient, certes, limitées, mais où, cependant, dans la sécurité assurée, ils vivaient relativement heureux, en attendant le temps où, grâce à une progressive initiation aux «choses des Blancs», ils auraient, comme eux, la maîtrise de leur destin.

Ces propos nous offusquent. A une époque pas si ancienne derrière nous, on les aurait tenus pour réactionnaires, mal pensés et mal venus. Ils sont réactifs, certes, peu pesés, peut-être. Mais, à l’évidence, c’est la grave situation sociologique générale de l’Afrique indépendante qui les inspire, non pas un simple mouvement d’humeur passager. Il faut reconnaître que la cruauté injuste de leurs conditions d’existence a, souvent, conduit, à ce type de réflexions, bien des gens du petit peuple de l’Afrique indépendante, témoins, par leur âge, du dernier virage d’un régime colonial qui, depuis la fin de la guerre, s’efforçait de s’humaniser. La comparaison arrive vite avec les trente premières années d’une indépendance africaine chaotique pour le moins, et dont la violence ne fut pas inférieure à la violence coloniale. Il n’échappe pas à tant de gens frustrés que la petite minorité constituée par la classe politique recueille, seule, pourtant promis à tous, les fruits de l’indépendance. Tout pour les membres de cette oligarchie qui, en permanence, festoient loin du petit peuple méprisé et qu’au besoin, ils divisent en groupes rivaux, pour mieux l’asservir. Pourtant, est-il vrai que ce que les peuples d’Afrique ont gagné, en se libérant du joug colonial, ne vaut pas ce qu’ils ont perdu avec la fin de la colonisation? On ne peut nier, en effet, que, un peu honteuse de ses pratiques barbares, mais surtout par calcul politique, la France, par exemple, ait fini par engager des réformes courageuses dans ses colonies où la dignité des indigènes dont elle s’efforça d’améliorer les conditions de vie, fut reconnue. De sorte que ce ne fut pas tant quelque colère populaire allumée par une exploitation sauvage devenue insupportable, que l’impatience des élites locales à tester leurs aptitudes à gérer qui déclencha le processus qui devait mener à la décolonisation.

L’indépendance était, cependant, nécessaire. Elle seule rendait possible la réalisation de son destin par le colonisé libéré d’une tutelle qui avait, certes, d’énormes avantages, mais ceux-ci avaient leur côté pervers: le moindre n’étant pas l’étouffement, si dommageable, de la culture du colonisé. A partir du moment où cette culture était contrainte de s’exprimer dans un cadre idéologique tracé par des étrangers, elle devenait une culture aliénante qui exposait à toutes formes de névroses. Franz Fanon en décrit quelques-unes dans «Peau noire et masques blancs».

En vérité, la position de l’ex colonisé est bien à plaindre. Tragique pour tout dire. Le voilà, en effet, toute sa vie, voué à l’insatisfaction. Puisque l’exécration d’un présent aux horizons bouchés dans lequel il vit, fait surgir, dans son esprit, le regret de jours de bonheur maintenant enfouis dans un passé où, déjà, se profilait un futur qui avait un sens. Ceux qui gouvernent l’Afrique devraient le savoir et, par leur sérieux, travailler à délivrer des affres d’angoisses nées de frustrations accumulées, ces millions de compatriotes qui, certainement, méritent un meilleur sort. Il sera difficile de faire abandonner à ceux-ci la thèse, de toute évidence, erronée et irrecevable, selon laquelle la colonisation fut un bien et les indépendances un mal, aussi longtemps que leurs conditions d’existence continueront de se dégrader sous l’indifférence des politiques.

Dominique Ngoïe-Ngalla, La Semaine Africaine, mars 2010

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La colonisation est elle déjà fini ?
je ne pense pas cinquante ans d'indépendance ont été fêté par plusieurs pays d'Afrique noire mais en regardant bien dans le fond nous sommes toujours dépendants des pays qui nous ont colonisé la preuve le billet de banque de nos pays sont imprimés par la banque de France nous sommes invité pour fêter notre cinquantenaire au Champs Élysée et lorsque nous invitons notre hôte le fêter chez nous il nous envoi son cuisinier combien de fois on va encore accepter ce genre de chose , Après cinquante ans nous avons toujours le même problème et certains vont de mal en pis électricité, eau potable, éducation ,infrastructure tous se dégrade en fait il fallait mieux nous laisser en sauvage au lieu de nous réduire en esclavage perpétuel ...
Brusnel Godelive Moucko

Cunctator a dit…

A ne pas rater, documentaire sur la Françafrique le 2 décembre sur la chaine France 2.

Cunctator.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.