lundi 22 novembre 2010

La démocratie, un long apprentissage du vivre-ensemble harmonieux jamais terminé

Platon voulait des philosophes à la tête de l’Etat, pour la raison que les philosophes étant des individus à la conduite réglée par une raison sans cesse exigeante d’intelligibilité et de droiture, ils étaient les mieux placés pour exercer, au profit de la collectivité, les fonctions de gouvernement. De là, l’hostilité de ce philosophe à la démocratie qu’on définit, en remontant à l’étymologie du mot, par gouvernement par le peuple. Platon refuse que le peuple ignare et grossier et donnant facilement dans la violence ait les capacités intellectuelles et morales du philosophe, pour gouverner avec sagesse. Pour les mêmes raisons que son maître, Aristote se montre également hostile à la démocratie.


Mais, pour autant que le peuple (demos) n’est pas qu’une abstraction, une simple idée, et n’existe que par les individus qui le composent, les philosophes compris, pourquoi, n’étant pas, de ce fait, le ramassis de gueux auquel le philosophe le réduit, ne serait-il pas capable de gouverner, en ne visant que d’assurer à l’ensemble des citoyens, la vie bonne à laquelle ils aspirent? Il suffirait, simplement, de sélectionner les meilleures de ces citoyens, l’élite. Dans ce cas, Platon et Aristote ont tort de condamner la démocratie à n’être jamais qu’un régime politique capable de rien d’autre que de désordre et de violence.

Il suffirait que le peuple reçoive l’instruction et l’éducation qu’il faut, pour qu’il soit capable, comme le philosophe, de gouverner avec sagesse. La démocratie, gouvernement du peuple, ce n’est jamais, aux commandes, cette simple idée appelée peuple, mais des individus choisis pour leurs mérites et leurs compétences.

Par ailleurs, la démocratie étant, comme l’humanité (sens normatif), une quête, une vertu, on ne naît pas démocrate, on le devient. Les hommes qui, tous, naissent des brutes, ont ainsi besoin d’une culture qui les aide à devenir des humains aptes à exercer le pouvoir démocratique.

La démocratie, régime politique révolutionnaire, à bien des égards, apparaît à Athènes et sur le territoire d’Athènes, au Vème siècle avant Jésus-Christ. Mais, ce ne fut pas un hasard: plusieurs générations de préparation des esprits avaient été nécessaires. Encore qu’insuffisantes pour que la révolution démocratique s’impose à tous les esprits et retourne les mentalités, quelques décennies plus tard en effet, elle fut balayée par un régime à vision idéologique tout à fait contraire.

Pourtant, la nouvelle en avait été saluée par tous les Grecs façonnés à la réflexion par l’étude, comme une chose excellente, conforme à leurs attentes. La force de l’habitude, allait, chez beaucoup, triompher de la ferveur des premiers moments, malgré que la révolution politique et sociale inscrite dans le projet démocratique, parût, non pas une offense à l’ordre naturel, mais, au contraire, le meilleur moyen pour l’homme de réaliser celui-ci, pendant plus d’un siècle, avant le surprenant manifeste de Clisthène, les fameux présocratiques, chercheurs et hommes politiques balisèrent le chemin, en réfléchissant aux meilleurs moyens et conditions pour les hommes de vivre bien ou, du moins, le moins mal possible. Le nouveau système politique rencontra, pourtant, bien des résistances. Il heurtait des égoïsmes.

La démocratie connote constance de l’effort pour se libérer de soi. Le chemin qui y conduit est, donc, montueux. Il exige, pour ceux qui s’y engagent, un minimum d’ascèse. Voilà pourquoi, même dans les pays de vieille démocratie, sa pratique ne va pas de soi. Dès que la vigilance se relâche, la barbarie refait surface. Il n’est pas de système politique qui n’en comporte; mais dès qu’on accepte de se soumettre à ses exigences et qu’on prend de la hauteur, la démocratie est, en attendant de trouver mieux, celui qui en comporte le moins.

Pour s’élever à un meilleur niveau moral dans l’exercice du pouvoir politique, l’Afrique ne peut, donc, espérer faire l’économie du dur et long apprentissage de la démocratie. La démocratie, P. Ricœur l’a dit, est «une aventure éthique». L’éthique pouvant être définie comme un «art de vivre», ou l’ensemble réfléchi et hiérarchisé de nos désirs. Le philosophe nous donne à entendre que la démocratie se présente avec les exigences morales d’un long cheminement vers la vie bonne; cheminement fait de connaissances et de choix. Et si ce cheminement, pour aboutir, implique de telles exigences, pas d’autres voies de recours pour l’Afrique qui se cherche, ses gouvernants généralement hostiles, dans leurs pratiques, à ce régime politique devront pourtant s’y faire. Mais, pour implanter la démocratie chez eux, pas d’autre chemine- (9ue l’éducation de l’esprit, en vue du développement des facultés de discernement, de sensibilité et de volonté. Vivre démocratiquement étant synonyme de respect de soi, de respect de l’autre, d’accueil de l’autre, dans sa différence. Aptitude, à la cohabitation harmonieuse des hommes qui ne va par mininum de frein à nos égoïsmes, à notre violence.

Le déficit des démocraties africaines, toutes bancales, résulte, d’abord, du déficit d’une éducation véritable sur ce continent. Dans les pays mêmes où le taux de scolarisation est élevé et mérite d’être salué comme une percée vers la modernité, il faut, en fait, parler d’opérations spectaculaires d’alphabétisation. Ce n’est pas, en effet, à la réflexion que sont formés la majorité de nos collégiens et de nos lycéens; et même de nos étudiants de facultés, mais au déchiffrement, tout simplement, des textes écrits. L’école leur donne des connaissances, mais ne les forme pas à la vie sociale régie par des rites d’interaction. Une cohabitation harmonieuse exige du tact, une sensibilité éduquée. Le défaut d’une éducation qui développe le cœur et la sensibilité qui rendent aptes à l’accueil de l’autre et au dialogue pourrait expliquer qu’on ne rencontre pas en Afrique, beaucoup d’Etats qui ne redoutent le débat démocratique; en dépit que l’Afrique vient de la palabre, le plus grand «espace de confrontation» publique des esprits.

Il en résulte que dans les pays africains, si les citoyens connaissent leurs devoirs et leurs obligations, parce que les dirigeants politiques, avec constance et brutalité, les leur rappellent, en revanche, ils ignorent leurs droits. Ce qui permet à ces dirigeants d’établir, avec eux, le rapport indigne que les seigneurs de l’occident médiéval avaient avec leurs serfs chosifiés. Le jour où, comme le croyait Platon, ces dirigeants africains sans éducation (au sens de ce texte) en auront un peu, on pourra croire proche la fin de la servitude de l’Afrique indépendante.

Dans tous les cas, qu’on s’y engage à partir d’une société primitive ou à partir d’une société civilisée, la démocratie décline le même idéal d’une société parfaite pour laquelle l’être humain, imparfait et limité, mais en lequel, comme un aiguillon, est inscrite l’aspiration à la perfection, se sent fait et vers laquelle une force mystérieuse le pousse. Ceux qui s’engagent dans l’aventure démocratique à partir d’une civilisation et d’une culture élevées ont, toutefois, de plus grandes chances d’avancer plus vite que ceux qui partent de plus bas; ceux-ci ont, cependant, l’obligation morale d’emboiter le pas à ceux-là. Si elle veut se développer, l’Afrique n’a pas le choix.

mercredi 10 novembre 2010

La colonisation et l’indépendance de l’Afrique

La colonisation de l’Afrique noire fut décidée à un moment où un progrès scientifique fulgurant, matérialisé par un essor industriel sans précédent, vint, en quelque sorte, apporter la preuve de la supériorité de la race blanche sur le reste des groupes humains, décuplant, du coup, sa volonté de puissance et de domination sur le reste du monde. Il ne fut pas, alors, difficile à la «race supérieure», de se trouver le prétexte moral qui l’autorisât à mettre au service de ses industries, la race noire classée parmi les dernières, mais dont la traite négrière avait démontré à quel point les Noirs pouvaient être une main-d’œuvre efficace et relativement peu coûteuse. Rejetés aux marges de l’humanité par les penseurs des Lumières, ramenés au rang de bêtes de somme parles négriers, à partir des doutes qui planaient sur leur statut ontologique, il était prévisible que les colonisateurs ne seraient pas tendres avec eux. C’est ainsi que, dans les premières décennies de ses débuts, la colonisation rivalisa de cruauté barbare, avec la traite des Noirs. Certes, entre1945 et 1950, le souvenir des horreurs de la grande guerre et les meurtrissures de l’orgueil blanc, qui s’en suivirent, inspirèrent à l’occident d’apporter quelques assouplissements au régime colonial. Mais, pour autant, le beau geste d’humanité décidé dans la contrainte ne lavait pas l’occident de la faute coloniale, d’autant moins pardonnable que la «race supérieure» n’avait pas l’excuse de la sauvagerie et de la mauvaise éducation. Entre 1945 et 1950, pourtant, soit une décennie, exactement, dans certaines colonies françaises et britanniques, les secteurs de l’éducation et de la santé furent l’objet d’une attention que rien n’avait laissé présager. Les soins que les métropoles y apportèrent et les beaux résultats qu’elles obtinrent auraient pu propulser, dans la modernité, les colonies bénéficiaires, si, devenues indépendantes, leurs élites, dépourvues de la plus petite expérience, s’étaient montrées prudentes dans la gestion des affaires publiques.

Qu’on y pense: longtemps resté l’affaire des seuls missionnaires, mais que, sauf à ouvrir, à la station principale de mission, un cycle primaire complet, en vue de la préparation à l’entrée au petit-séminaire, le défaut de moyens réels limitait à des tâches plutôt d’alphabétisation, le niveau de l’enseignement s’est nettement relevé. Et l’élève de la classe terminale d’aujourd’hui, on peut douter qu’en orthographe et en arithmétique, il soit à même de rivaliser avec un élève du cours moyen des années 1947-1950. Dans le domaine de la santé, entre 1945 et 1946, fut définie une ingénieuse formule: chaque année, des équipes mobiles, conduites par des médecins, sillonnent les contrées les plus inaccessibles, pour vacciner sur place les populations, dépister et soigner des maladies comme la trypanosomiase ou la lèpre. Sur le plan économique, les paysans ne se font pas de soucis pour leurs récoltes: arachides, maïs, palmistes, etc. Des marchés régionaux tournants sont organisés où ils sont assurés de tout écouler. Un petit pécule ne leur fera plus jamais défaut. De nombreux petits progrès du même genre qui consolent les populations de la rudesse et des brutalités de l’époque précédente: 1880-1945. Et aux témoins, comme les deux décennies qui suivent la fin de la guerre est douce, comparée à la longue période si sombre qui les précède! C’est à ce point d’articulation de deux versants si contrastés de la colonisation (la française et la britannique), que surgit la question de savoir si la colonisation fut un bien ou un mal. Ceux qui vécurent le versant, de bout en bout sombre, sont, tous, morts. Nous n’aurons plus jamais leurs témoignages. Ils étaient nés entre 1860 et 1880.

Restent ceux qui vécurent dans l’entre-deux. Le désordre des indépendances comparé à l’effort d’humanisation des dernières années du régime colonial leur fait regretter, forcément, embelli par l’effet de contraste, l’ordre ancien. Indifférents à la fierté morale que donne de se savoir devenus des citoyens libres d’Etats souverains, mais rendus odieux par des injustices accumulées, sensibles uniquement aux souvenirs heureux d’une époque maintenant révolue: la gratuité, pour tous, des soins de santé; la gratuité des études pour leurs enfants; la stabilité économique; l’accès facile à un immense marché de l’emploi. Ils regrettent le temps où leurs libertés étaient, certes, limitées, mais où, cependant, dans la sécurité assurée, ils vivaient relativement heureux, en attendant le temps où, grâce à une progressive initiation aux «choses des Blancs», ils auraient, comme eux, la maîtrise de leur destin.

Ces propos nous offusquent. A une époque pas si ancienne derrière nous, on les aurait tenus pour réactionnaires, mal pensés et mal venus. Ils sont réactifs, certes, peu pesés, peut-être. Mais, à l’évidence, c’est la grave situation sociologique générale de l’Afrique indépendante qui les inspire, non pas un simple mouvement d’humeur passager. Il faut reconnaître que la cruauté injuste de leurs conditions d’existence a, souvent, conduit, à ce type de réflexions, bien des gens du petit peuple de l’Afrique indépendante, témoins, par leur âge, du dernier virage d’un régime colonial qui, depuis la fin de la guerre, s’efforçait de s’humaniser. La comparaison arrive vite avec les trente premières années d’une indépendance africaine chaotique pour le moins, et dont la violence ne fut pas inférieure à la violence coloniale. Il n’échappe pas à tant de gens frustrés que la petite minorité constituée par la classe politique recueille, seule, pourtant promis à tous, les fruits de l’indépendance. Tout pour les membres de cette oligarchie qui, en permanence, festoient loin du petit peuple méprisé et qu’au besoin, ils divisent en groupes rivaux, pour mieux l’asservir. Pourtant, est-il vrai que ce que les peuples d’Afrique ont gagné, en se libérant du joug colonial, ne vaut pas ce qu’ils ont perdu avec la fin de la colonisation? On ne peut nier, en effet, que, un peu honteuse de ses pratiques barbares, mais surtout par calcul politique, la France, par exemple, ait fini par engager des réformes courageuses dans ses colonies où la dignité des indigènes dont elle s’efforça d’améliorer les conditions de vie, fut reconnue. De sorte que ce ne fut pas tant quelque colère populaire allumée par une exploitation sauvage devenue insupportable, que l’impatience des élites locales à tester leurs aptitudes à gérer qui déclencha le processus qui devait mener à la décolonisation.

L’indépendance était, cependant, nécessaire. Elle seule rendait possible la réalisation de son destin par le colonisé libéré d’une tutelle qui avait, certes, d’énormes avantages, mais ceux-ci avaient leur côté pervers: le moindre n’étant pas l’étouffement, si dommageable, de la culture du colonisé. A partir du moment où cette culture était contrainte de s’exprimer dans un cadre idéologique tracé par des étrangers, elle devenait une culture aliénante qui exposait à toutes formes de névroses. Franz Fanon en décrit quelques-unes dans «Peau noire et masques blancs».

En vérité, la position de l’ex colonisé est bien à plaindre. Tragique pour tout dire. Le voilà, en effet, toute sa vie, voué à l’insatisfaction. Puisque l’exécration d’un présent aux horizons bouchés dans lequel il vit, fait surgir, dans son esprit, le regret de jours de bonheur maintenant enfouis dans un passé où, déjà, se profilait un futur qui avait un sens. Ceux qui gouvernent l’Afrique devraient le savoir et, par leur sérieux, travailler à délivrer des affres d’angoisses nées de frustrations accumulées, ces millions de compatriotes qui, certainement, méritent un meilleur sort. Il sera difficile de faire abandonner à ceux-ci la thèse, de toute évidence, erronée et irrecevable, selon laquelle la colonisation fut un bien et les indépendances un mal, aussi longtemps que leurs conditions d’existence continueront de se dégrader sous l’indifférence des politiques.

Dominique Ngoïe-Ngalla, La Semaine Africaine, mars 2010

vendredi 5 novembre 2010

La visite du Président Hun Jintao en France et la délicate question des droits de l'homme

La visite d’un chef d’Etat Français en Chine ou à l’inverse la visite d’un officiel Chinois de haut rang en France est une grande occasion de sortie de militants pour le respect des droits de l’homme de tous bords. On les croirait au carnaval, il en sort de toutes couleurs, les véritables combattants comme les potiches. Tout crime ayant sont champion, la Chine peut bien fanfaronner et se consoler de ne pas être première en économie, il a été décidé de lui attribuer la première place du palmarès des monstres. Ces visites font réagir même ceux à qui, à y bien voir, il ne reste qu’une once d’éthique droit de l’hommiste. De quoi s’étonne-t-on ? Dans la patrie des droits de l’homme on s’est fait le devoir de combattre avec la dernière énergie les violations de ces droits où qu’elles soient commises, même au Rwanda. La France elle-même, mère des droits de l’homme, les observant de façon congénitale, se veut missionnaire en la matière. Porter la bonne nouvelle, le respect et la dignité de la personne humaine est son sacerdoce. Point besoin donc de se battre pour leur respect sur son territoire. Le Président de la République Française l’a bien compris qui la ferme sur ces questions à chacune de ces rencontres avec son homologue chinois. L’exercice du pouvoir le lui a appris, les principes et la morale ne tiennent que le temps d’une campagne, leur application en situation est très très difficile, presque impossible. Sinon comment ne pas en finir avec la françafrique dont les pratiques rendent la France aux beaux idéaux complices de tant de malfaisance et du mépris d’un nombre épouvantable de nègres.

Un adage de prudence tiré d’une fable nous apprend qu’on ne saurait distribuer de bienfaits sans d’abord commencer par soi-même. En effet, la charité bien ordonnée commence par soi-même. S’il est évident que la France et les autres grandes démocraties sont bien avancées quant au respect des droits et de la dignité humains, il n’empêche que des faiblesses considérables demeurent à déplorer dans ce domaine. A la différence de la Chine dont il est question en ce moment, elles ont pour la plupart fait du respect de ces droits des principes constitutionnels. Ils se placent au sommet de la hiérarchie des lois. Ce sont ainsi des principes fondamentaux organisant ces sociétés dont la concrétisation devrait être une priorité non seulement à l’extérieur, mais surtout à l’intérieur. La Chine est certes cynique dans sa façon d’aborder ces droits, mais elle ne s’est jamais targuée d’en devenir la championne. Elle ignore cette culture pour le moment, et je ne suis pas sûr, vu la dynamique sociale récente, qu’elle puisse longtemps faire l’économie d’une amélioration. Pour les autres un peu de modestie et de prudence ne feraient pas de mal, les violations graves dont ils ne cessent de se rendre coupables mettent en question leur légitimité et leur docte autorité en la question. J’applaudirai quand, entre autres, les entorses américaines aux droits de l’homme sur leur territoire ou sur les différents champs de bataille ou sont engagées leurs troupes seront reprochées à Mr Obama, lorsque les violences policières injustifiées et dignes du régime de l’apartheid, les conditions d’incarcération, les règles d’un procès équitable, le respect aux étrangers en leur qualité d’humains fussent-ils sans papiers seront examinés, lorsque seront jugés les abominables crimes de guerre de l’armée Israélienne lors de sa sortie palestinienne de janvier 2009.

Cunctator.

lundi 1 novembre 2010

L'évolution de la musique congolaise moderne et son influence funeste sur la jeunesse


Evolution de la musique congolaise moderne et son influence funeste sur la jeunesse
La rumba est son soubassement architectural, sa matrice. Et la rumba dériverait d’une danse koongo centrée sur le jeu du nombril, appelé «mukumba», en langue koongo. L’exportation de cette danse en Amérique latine et aux Caraïbes, par les esclaves koongo, aurait entraîné l’évolution de «mukumba» en rumba. Elle revint au Congo des générations plus tard, sous cette forme évoluée: rumba. Vite adoptée par les populations multiethniques et multiculturelles des Léopoldvilles et des Brazzavilles noires, la rumba latino-américaine subit, cependant, de nombreuses modifications, notamment chorégraphiques, mais resta rumba, dans son essence (la rythmique).

L’accélération de l’histoire sociopolitique et socio-économique des deux Congo, son berceau, la marque en profondeur. Elle prit les colorations successives et contrastées des deux grandes séquences de l’histoire récente du bassin du Congo: la coloniale et la post-coloniale.
Chacune d’elles apparaissant divisée, à son tour, en un certain nombre de sous-séquences rythmées par le jeu politique.

Dans la séquence coloniale, on peut observer un âge de tâtonnement, puis d’adolescence de la rumba congolaise moderne suivi, peu après, de l’âge de maturité: années 1955-1960. Une courbe d’évolution inscrite dans une séquence d’une vingtaine d’années, si nous prenons 1939-1940 comme repère.

L’âge d’or de la rumba congolaise culmine entre 1960 (les indépendances) et 1965, pour le Congo-Brazzaville, 1970 pour le Congo-Léopoldville, devenu Zaïre depuis l’avènement de Mobutu. De 1946 à 1970, passée une décennie de recherches laborieuses et tatillonnes, rumba sereine, caractérisée par la grâce coulée de la chorégraphie, le charme aérien de la chanson enchâssée dans un texte de sobriété toute classique, mais aux élans lyriques, ou d’une ironie souriante (Franco). La sérénité de la rumba de cette époque apparaît comme le reflet d’un ordre social imposé, certes, par la présence coloniale, mais que le contexte économique colonial de l’époque (l’existence d’une forte colonie d’Européens intéressée par le commerce rend supportable et même multiplie les petits boulots). Les bistrots ne désemplissent pas et les bars dancing.

La chanson n’est pas triste. On s’amuse bien.

La rumba grinçante et grimaçante, aux rythmes fiévreux et à la chorégraphie d’enfer, n’apparaît qu’après les années 70. Elle chasse la première rumba congolaise, la coloniale qu’elle supplante. Cette rumba frénétique déréglée peut-être donnée pour l’exact reflet de la grave crise sociale, politique que traversent les deux Congo: troubles politiques, récession économique profonde. Le doute s’installe parmi les populations urbaines multiculturelles. La difficulté d’un dépassement de leurs particularismes les conduit, bientôt, à l’affrontement et au repli identitaire. S’ouvre, alors, une longue période où, la rumba abandonnée, en rupture avec elle par leur exubérance excessive, le libertinage de la chanson, la hardiesse de la chorégraphie où la pudeur est mise à mal, des danses aux appellations et aux configurations diverses, mais communiant dans une même volonté de vulgarité provocante, font une tapageuse apparition.

Issu du style déjà baroque des Zaïko, qui opèrent une transition en douceur entre le classicisme étincelant de la rumba congolaise de la belle époque (1958-1965) et ses épigones tumultueux, sympathique et drôle, loin de toute provocation licencieuse, le ndombolo primitif peut-être donné pour le dernier avatar discipliné et rangé de la rumba de Jeff Kabasselé, Tabuley, Franco, Essous, Nino Malapet, Mujos, Kassanda et tant d’autres de leurs confrères et émules, aussi modestes que talentueux.

Et comme ces dérivés burlesques de la rumba sollicitent nos instincts les moins nobles, malheureusement les plus puissants, en très peu de temps, ils investissent l’imaginaire des Congolais subrepticement amenés à ne plus sentir, penser et agir qu’en référence à la vision du monde que véhiculent ces succédanés de la rumba moderne.
Abandonnée à elle-même, sans horizon d’espérance crédible, atteinte de plein fouet par un chômage chronique massif, ces danses de bouffons et d’histrions restent, malheureusement, l’unique refuge d’une jeunesse déboussolée, à la recherche de consolations faciles.

Les politiques de l’Afrique centrale devraient, donc, davantage faire preuve d’imagination et d’inventivité, pour redonner espoir à une jeunesse que des déceptions et des frustrations continuées pourraient jeter dans des explosions de violence pour l’instant contenues par l’opium de musiques dont on peut douter qu’elles l’aident à se construire.
Tant elles sont, spirituellement et intellectuellement, débilitantes, ces musiques.
On a dit que la musique adoucit les mœurs. J’ignore le bien fondé de cette affirmation.
Ce que je sais le mieux, en revanche, c’est qu’elle les corrompt, si on n’y prend garde.

Article paru dans La Semaine Africaine, octobre 2010

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.