dimanche 26 août 2007

Jusqu’à ce qu’il n’en reste pas un seul

Le gouvernement français qui s’est fixé pour objectif 25.000 expulsions annuelles de sans-papiers, brule d’impatience d’y parvenir. C’est son droit le plus absolu, surtout si les immigrés sont les responsables de tous les malheurs de la France : chômage, pédophilie, incendies de pinèdes et autres délits qui empêchent les français de respirer. Il faut alors plaindre le peuple français trop vite convaincu par ses élus d’une telle supercherie. Mais alors au nom de l’humanité commune et de ses fondements philosophiques et moraux il faut regretter que emportés par leur rage xénophobe et raciste ceux qui expulsent oublient soudain qu’ils ont affaire à des êtres humains, et donc que tout en restant fermes ils ont le devoir d’humaniser les procédures et les rites d’expulsion. Le terme expulsion connote la violence physique dont tout homme de bonne volonté devrait avoir horreur. Ceux qu’on expulse avec tant d’inhumanité barbare ne sont pas de dangereux criminels pour qu’il soit nécessaire de leur passer les menottes, de les bâillonner parfois ; puis après les avoir ainsi humiliés, de les jeter sans ménagement dans les charters comme des sacs de merde.
Des traitements dont dans cette société française si délicate on épargne les chiens eux-mêmes, à moins qu’ils ne soient enragés. Que les policiers chargés de telles missions n’en aient pas la nausée, c’est peut-être là la preuve qu’ils ne sont encore que de rudes sauvages à civiliser. En tous cas il est troublant que ces choses aient lieu dans une France qui est, par le nombre d’intellectuels de haut rang au kilomètre carré, le cœur en quelque sorte de la conscience de l’Occident. Les intellectuels, ceux-là qui travaillent aux choses de l’esprit et de la conscience et qui sur les questions de morale et de politique réfléchissent au quotidien et, réservoir de révolte toujours, dénoncent les injustices et proposent des solutions. On ne les entend pas beaucoup sur le problème des immigrés où leur notoriété pèserait certainement lourd. Comment expliquer leur indifférence devant le drame humain que vivent les immigrés. Les positions partisanes et franchement racistes et xénophobes de certains d’entre eux sont connues (honte à la philosophie et aux belles lettres). Si l’intellectuel ne s’indigne pas devant les pratiques barbares de sa société, qui donc le fera à sa place ? Le théologien ? Erreur !
En dépit de la séparation de l’Eglise et de l’Etat suivie de violences monstrueuses, l’Eglise de France (catholique et protestante) est à droite, vote à droite. Et c’est bien connu, c’est en son sein que se recrutent les militants de l’extrême droite et les racistes de la pire espèce. C’est à croire que le christ était de droite !

mercredi 15 août 2007

Esprit cartésien et sagesse africaine

Achever le discours confus du monde en une parole précise, et j’ajouterai efficace. Vœu du philosophe qui résume la quête inlassable de l’occident, des présocratiques à René Descartes dont le discours fameux annonce et crée, enfin sorti du rêve des poètes, le bel aujourd’hui, la modernité efficace à laquelle notre monde saturé de matériel et plus que jamais assoiffé de mystère, ne reproche qu’une chose : d’avoir oublié que l’Homme ne vit pas que de pain. L’invasion de l’occident par le matériel compromet en effet gravement la modernité de la société contemporaine qui vire à l’utilitarisme prosaïque que justement rejette la sagesse africaine qui refuse de désacraliser le monde, le risque étant de tourner le dos au progrès dans sa version matérielle. Ainsi, esprit cartésien et sagesse africaine s’opposent sur le plan de leurs intentions. Et cette opposition se traduit par le développement contrasté des sociétés occidentales et des sociétés négro-africaines. Dans ce cas aucune de ces deux sociétés ne peut se prétendre véritablement développée. De la réconciliation de leurs deux visions du monde dépend peut-être bien l’avènement d’une authentique modernité : l’émergence d’une société de part en part traversée de rationalité certes, mais une rationalité qui n’expulse pas l’homme de lui-même, condamné en quelques sortes à vivre à la périphérie de lui-même, faute de vie intérieure. Lorsqu’il affirme que par la science l’homme doit devenir maître et possesseur de la nature, Descartes croyant soucieux du mystère du monde ne réduit pas cette possession et cette maîtrise à la seule nature matérielle. Il pense bien évidemment aussi à la dimension spirituelle de l’homme qui fait partie, c’est vrai, de la nature. Ce que la sagesse africaine avait bien vu, elle qui est, (c’est à la fois sa force et sa faiblesse) essentiellement prudence dans la conduite de l’homme au jour le jour et modération dans les désirs, effort pour se conformer à l’ordre de la nature. De sorte que le projet cartésien et la sagesse africaine qui sont tous les deux inscrits dans le même mouvement de l’esprit humain, qui par vocation désire savoir, ne diffèrent en fait que par leur localisation, l’objet visé et les procédures d’approche de cet objet. On eut dit une question de choix fait en fonction des cultures et des idéologies qui les sous-tendent, et dont les profiles portent trace de l’histoire de chacune d’elles ; les uns optant pour la conquête sous toutes ses formes, les autres évitant les risques physiques et spirituels d’un tel choix et peu avides des biens de ce monde, se contentant de peu. De ce choix, résulteraient entre l’occident et l’Afrique cette différence de regard sur le réel, cette différence d’attitude et de comportement devant la vie.Mais revenons à Descartes. Descartes représente dans l’histoire de l’humanité le point de rupture du cheminement de la pensée occidentale, le moment où s’achève l’ancienne, la pensée sauvage, poétique, et où commence la modernité. Le temps du distinguo, de la séparation des savoirs et des spécialisations ; le temps de la clarté de l’esprit dans son cheminement. Dans l’ancienne l’Afrique se reconnait. Elle est sagesse au premier degré où élan spéculatif et esprit critique s’imbriquent pour déterminer un art de vivre sous la haute vigilance de la raison. En occident, l’effort pour séparer science, religion et littérature (poésie) commence aux présocratiques et se poursuit jusqu’à Descartes. Il revint à Descartes d’y mettre de l’ordre. S’il eut quelque injustice chez Boileau à saluer en l’œuvre dès la naissance essoufflée de Malherbe, le tournant décisif de la littérature française, en revanche l’avènement de Descartes en philosophie fut bien plus significative, une véritable révolution. Et si aujourd’hui nous sommes dans le domaine de la pensée peu sensibles à cette rupture de ton et au changement de regard lié aux prises de positions de Descartes, c’est parce qu’une telle démarche de l’esprit fait depuis partie de notre culture, une habitude. Prenons le Discours de la méthode et un instant arrêtons nous sur les phrases qui allaient bouleverser la vision du monde de l’occident et jeter les bases de la modernité : « au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j’aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer. Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle, c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ceux qui se présenteraient si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de les mettre en doute. Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les bien résoudre. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point les uns des autres. Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre ». C’est de cette terrible ascèse des facultés de l’esprit qu’allaient sortir la science moderne dont nous savons les pouvoirs étendus. Toute la modernité de la société occidentale en sa foi en l’Homme et en sa jeunesse joyeuse se trouve enfermée dans ces quatre préceptes de Descartes. Ajoutons-y le célèbre «je pense donc je suis» qui place le je, l’Homme conscient en posture de responsabilité devant l’univers, et nous tenons les fondements philosophiques qui ont rendu possible le formidable progrès de l’occident et son optimisme conquérant. Le vœu de Descartes qui rêvait d’une philosophie pratique grâce à laquelle l’homme se rendrait maître et possesseur de la nature était comblé. Et c’est là, plus haute sagesse puisque pensée spéculative et action s’accompagnent pour servir au mieux l’homme.C’est peut-être le moment de proposer une définition de la sagesse pour savoir à quel étage de la sagesse est logée la pensée africaine. Pour savoir aussi jusqu’où elle est parente de la sagesse occidentale qui a rang de philosophie, et savoir où elle s’en sépare. Lorsque nous parlons de sagesse nous devons tout de suite abandonner l’idée colportée par le langage quotidien pour qui la sagesse est une certaine prudence terre-à-terre. Il est clair que nous sommes loin de la sagesse dont la philosophie est en quête. Celle-là ne peut engendrer le progrès. Celle qui est ensemble de recettes jamais revisitées. Et c’est le drame de l’Afrique. Sa sagesse est si loin de la philosophie que peu lui chaut d’aller à la quête de la sagesse au sens où l’entendaient les Grecs, pour qui elle est la totalité du savoir à la quête duquel est partie la philosophie de Descartes. La philosophie c’est-à-dire la forme de culture qui s’assigne pour objectif de réfléchir de façon systématique sur l’ensemble des problèmes théoriques et pratiques qui se posent à une société à un moment donné de son histoire.Les cultures qui ont opté pour la sagesse à l’africaine, par sagesse ennemies des excès, ont peur de penser en dehors des recettes éculées, elles travaillent sans cesse au respect de l’ordre naturel des choses dont elles ont garde de s’éloigner. Prométhée paraît n’avoir jamais séjourné chez elles. Ici le savoir empirique et approximatif a établi son règne. Mais que vaut un patrimoine culturel dont l’esprit n’exige aucune justification et ne conteste tel ou tel détail ? C’est alors que, plutôt qu’humus nourricier, la coutume et la tradition deviennent des impedimenta, des charges et des obstacles à la croissance et au progrès. Pour n’avoir pas pu ou voulu séparer science, religion et littérature, pour avoir voulu rester une pensée syncrétique, la sagesse africaine n’a jamais pu s’élever au dessus d’une simple réglementation artisanale de l’action humaine, se contentant d’être au mieux un art de vivre inspiré de coutumes nées au hasard des circonstances et conservées par habitude. C’en est tout le contraire de l’esprit cartésien, qui accepte volontiers de se remettre en question et de réviser ses procédures de connaissances ; en même temps qu’il les propose à toute conscience libre et responsable. Générosité donc de l’esprit cartésien apparu en violent contraste avec la sagesse africaine qui limite son savoir à une petite élite tristement égoïste (les sorciers et autres initiés). Et je ne pense pas que ce soit par crainte que « distribuées sans discernement aux masses et exploitées aveuglément par elles, les plus belles découvertes se montrent plus nuisibles qu’utiles ». En fait c’est parce que savoir c’est pouvoir « et plus essentiel le savoir, plus grand et par conséquent plus redoutable le pouvoir ». Mais il faut le savoir, le salut sera collectif ou il ne sera pas

dimanche 5 août 2007

L'ethnie cancer des Etats africains

Espace restreint des solidarités primaires et de fusion presque communielle de ses membres, l'ethnie qui se définit par l'existence d'un territoire, d'une langue et d'un patrimoine spirituel sacralisé par l'âge a, pour ses ressortissants, la douceur du nid maternel. Et cela explique le narcissisme dévotieux de ceux-ci, vis-à-vis d'eux même, vis-à-vis de tout ce qui appartient au groupe. Et cela justifie que l'ethnie se cadenasse, hostile à tout apport étranger, personne ou objet, qui, toujours, représente une menace dirigée contre l'intégrité du groupe. Fonctionnant sur la base d'affects, l'ethnie est par nature foncièrement xénophobe. L'étranger n'y est admis, intégré qu'à la condition de renoncer à son identité.La France elle même rejoint la position de l'ethnie qui exige des immigrés installés sur son sol de renoncer à leurs particularismes. L'ethnie a horreur de la différence. Or, suite dramatique de la colonisation, aucun Etat africain qui ne soit le regroupement forcé et arbitraire d'une multitude d'ethnies opposées, pour beaucoup d'entre elles, par des différences et des particularismes parfois fortement soulignés. Source de tensions permanentes que, probablement, une révision courageuse et intelligente des frontières léguées par la colonisation aurait pu dissiper. L'entêtement paresseux des politiques et leur manque d'imagination ont fini par sécréter une espèce de destin qui s'est refermé sur ces Etats mal pensés, et à cause de cela condamnés pour longtemps à végéter; jusqu'à ce que soit trouvée une solution de bon sens pour juguler la misère et la violence identitaire, caractéristiques des Etats africains. La solution de bon sens et de courage par où sont passés tous ces pays d'occident qui nous fascinent (même si on ne veut pas l'avouer) consiste, au prix de cruels renoncements à soi, en l'obeïssance par tous aux principes d'organisation d'un Etat moderne, qui cesse par cela même d'être la propriété d'une ethnie. Parce que l'Etat est un autre espace où les liens de solidarité primaires de l'ethnie se sont élargis pour devenir des liens de solidarité primordiale. Ceux qui rattachent entre eux les citoyens, et souhaités aussi forts que les liens de solidarité primaires qui lient entre eux les membres d'une même ethnie. Une double allégeance donc, complémentaire plutôt qu'antagoniste.
Une telle conversion de l'ethnie au décloisonnement et à sa redéfinition, n'est possible que par le recul, forcément progressif, de la mentalité ethniciste au sein de l'Etat, par un effort constant des hommes de pouvoir pour se civiliser et devenir des citoyens qui incarnent des valeurs républicaines. Il est probable que le petit peuple suivrait un effort qui viendrait d'en haut. Mais cela passe passe l'éducation. L'intériorisation des valeurs républicaines n'est pas possible en dehors des institutions d'éducation. Les Etats africains ne peuvent, sous peine de mort, faire l'économie de l'éducation à la cité. Chacun, à commencer par les hautes sphères de l'Etat, qui sont le lieu du double discours, où s'entretient la mentalité ethniciste, chacun doit faire l'effort de se renoncer, d'avancer vers l'autre différent qui doit cesser d'être pour lui une menace, et ensemble avec lui, se lancer dans l'aventure de la construction de cette plus grande ethnie qu'on appelle la nation aux liens entre ses membres plus lisibles et chargés de plus hautes promesses. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ça sera dur et difficile, étant donné l'idéologie xénophobe de l'ethnie, étant donné la médiocrité des hommes de pouvoir africains qui vivent en total décalage avec leur temps.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.