jeudi 5 janvier 2012

La démocratie n'est ni pour les gredins, ni pour les barbares: le déficit démocratique nécessite de reprendre le système éducatif


La démocratie, régime politique envers lequel des philosophes de l’Antiquité,(Platon, Aristote) ne cachaient pas leur méfiance, Aristote y voit une forme dégradée de la royauté ou de la République, la démocratie est, pour Paul Ricœur, une aventure éthique. Elle nous place, d’emblée, sur le champ de la morale et de la sagesse où se définissent le bien et le mal et le chemin de la vie bonne. Elle propose et projette, vérifiée dans tous les groupes humains, une organisation sociale en conformité avec un idéal d’humanité clairement défini ici, vaguement perçu là, mais universel. Sans être la région du monde sur le plan des savoirs et des connaissances alors la plus avancée, c’est, paradoxalement l’Occident, et en Grèce, qui eut le mérite de l’invention d’un régime politique qui, comme s’il était contre nature, rencontre bien des résistances dans toutes les sociétés qui l’adoptent. En Grèce antique même où commença l’aventure, dès le départ, les résistances furent vives. Pour tout dire, l’invention de la démocratie, qui heurtait tant les intérêts des nobles, de l’aristocratie et des riches, eut été impensable si la société grecque d’Athènes n’avait présenté, à un niveau exceptionnel, cette aptitude à réfléchir sur le statut ontologique de l’homme et, par ricochet, sur son statut social désiré le plus élevé possible, conforme à la dignité d’un être en lequel Aristote vit briller un éclair divin.
Aux VIIème – VIème siècles, avant notre ère, des penseurs, Anaximandre, Anaximène, Pythagore, Héraclite d’Ephèse, Thalès de Milet, entreprennent de penser le système de l’univers. Apparemment dans un but totalement désintéressé. En fait, inconsciemment, au départ du moins, ils y cherchaient la place de l’homme; ce dernier leur étant apparu comme la réplique en miniature de l’univers dont ils travaillaient à connaître la structure. La découverte des correspondances entre l’ordre de l’univers et la structure de l’homme par les chercheurs grecs fut décisive. Elle allait conduire à la définition du statut social de l’homme bientôt placé par les sophistes au centre de l’univers et mesure et référence de toute chose. Un tel statut éminent de l’homme appelait pour sa mise en application un ordre social spécifique qui lui fût conforme. La démocratie qui exalte la dignité de l’homme naquit ainsi de la réflexion de l’élite intellectuelle grecque. Elle découvre l’homme né libre, pour la liberté, et l’égal de tous ses semblables. Au VIème siècle avant notre ère, et à Athènes, la dure législation de Dracon apparaît comme l’application sociale concrète de la pensée abstraite des philosophes. A Athènes, l’aristocratie est dure à l’homme du petit peuple. En toute légalité, l’Athénien d’origine sociale modeste peut être réduit en esclavage pour dette. Dracon interdit l’inhumaine pratique et veille à l’application de la loi. Aucune surprise, dès lors, si, à l’abordage du Vème siècle avant notre ère, un noble, riche donc, Clisthène, fait adopter par l’assemblée, son projet de création d’un système politique qui place tous les Grecs d’Athènes (riches et pauvres, nobles, aristocrates et gens du peuple) à égalité de droits civiques. Longuement préparé à cette nouveauté bouleversante, la société d’Athènes, dans sa majorité, se jette sans rechigner, dans l’aventure démocratique. Les résultats ne tardèrent pas. Commence alors, pour la ville de Pallas Athéna, la plus grande époque de son histoire: essor économique incomparable, éclat des arts et des lettres, tout, sauf les choses de la guerre, sourit à Athènes, quand Périclès donne de la démocratique une définition que, jusqu’à nous, le temps qui passe et les sociétés qui changent n’ont pas écornée.
Que, plus qu’aucun autre régime politique parmi tant expérimentés à travers l’Histoire, la démocratie hante l’esprit et toutes les sociétés du monde, incline à penser que l’homme est fait pour elle. C’est dans la démocratie qu’il trouve, lorsqu’il peut tenir l’équilibre entre ses droits et ses devoirs, les meilleurs moyens de son épanouissement. Mais justement, pour y arriver, quel labeur! Quel travail d’éducation sans cesse recommencé pour transformer la brute que l’homme est à sa naissance en être humain civilisé, apte à avoir en société, des rapports de bienveillance fraternelle avec d’autres humains. Pour les barbares que nous sommes, la vie démocratique devient une vertu, au sens aristotélicien du terme: vertu comme l’habitude du bien. A force d’entrainement; une ascèse. L’on n’y parvient jamais totalement. L’Occident qui s’y est décidé avance tant bien que mal, et ce que jusque-là il a réussi pour s’arracher à la barbarie native et se hisser sans cesse à un meilleur niveau de conscience ouvre sur de grandes espérances, sa société et l’humanité tout entière. En face de l’Occident dont on peut bien dire que, par rapport à l’idéal démocratique, il est en très bonne voie, les convulsions des démocraties africaines qui souffrent, faute d’éducation, de déficit démocratique, la conséquence malheureuse d’un grave déficit de l’éducation. Il commence sous la colonisation qui met fin au fonctionnement des centres initiatiques, et se creuse avec les indépendances qui produisent pourtant par centaines et par milliers, des diplômés de bon niveau, mais à qui on avait refusé l’éducation de la sensibilité du cœur et de la volonté. La plupart d’entre eux sont si barbares dans l’âme qu’il fallait une bonne dose de candeur et de naïveté, pour espérer rien qui vaille d’une gestion de l’Afrique par des hommes venus des rangs de tels diplômés.
Conclusion: reprendre à zéro, aujourd’hui un système éducatif dans lequel, en limitant tout l’effort au développement des facultés intellectuelles, négligeant l’éducation de la sensibilité, du cœur et de la volonté par les lettres, les arts, l’éducation civique et les voyages, on forme des robots qui ne sentent, ni ne pensent. Tous ces docteurs et tous ces agrégés, qui font l’orgueil de l’Afrique, sont, certes, des gens d’un très haut niveau intellectuel, mais, au vu du comportement rugueux de beaucoup d’entre eux en société, on peut douter qu’ils soient des hommes façonnés pour transformer l’Afrique. Dans l’administration générale et la gestion politique de l’Etat, le tribalisme, (la maladie de la société africaine) serait probablement moins virulent avec des acteurs sociaux à la fois instruits et cultivés, c’est à- dire bien élevés, soulevés au dessus du vulgaire par quelque bel idéal d’humanité qui leur fait prendre conscience de leur communauté de destin avec le petit peuple qu’ils ont le devoir d’aider à grandir. La culture dont l’effet attendu chez les meilleurs est le développement du jugement (elle apprend à penser juste) de l’esprit critique et du goût (la capacité de sentir et d’apprécier la beauté qui manque cruellement à l’élite africaine) la culture qui chez les meilleurs, affaiblit la barbarie et adoucit les mœurs, est indispensable à la maturation de nos démocraties claudicantes. Pour les aider à devenir autre chose que des contrefaçons grimaçantes de la démocratie, les économistes penseront, certes, à l’assainissement de l’économie. Oui, mais peut-on assainir une économie africaine si pourrie, en négligeant la culture qui est, pour l’homme, effort constant de soi sur soi, pour devenir toujours plus humain et, disons le, chaque jour un peu moins barbare? La démocratie n’est pas pour les sauvages et les gredins!


Article paru dans La semaine africaine du jeudi 5 janvier 2012.

2 commentaires:

St-ralph a dit…

La première partie de ton article est très instructive. Cette petite histoire de la naissance de la démocratie me plaît bien.Je retiens que tout ce que le peuple adopte dans son ensemble est une question de volonté politique de son élite. Mais pour que le peuple adhère au projet, celui-ci doit apparaître seulement comme une grande aventure commune et non point comme un sacrifice matériel.

Pour ce qui est de la deuxième partie, j'exclus le tribalisme comme le fléau essentiel de l'Afrique. Peut-être cette idée était vraie dans les années 60 et 70. D'ailleurs, s'elle a existée pendant un temps, c'est parce que la société était construite sur un modèle colonial qui privilégiait le tribalisme comme moyen d'asseoir son pouvoir. Et les premiers gouvernants ont cru que c'était le meilleur moyen de maintenir à leur tour leur pouvoir. Mais je crois que les nouveaux gouvernants ont tourné le dos à cette façon de voir. Je crois que ce qu'il faut plaindre chez eux, c'est non seulement le manque d'assise culturelle forte (connaissance de notre histoire et du regard du Blanc sur nous) comme tu dis, mais aussi un manque de vision globale qui embrasse les sous-régions africaines. La solitude tue nos gouvernants !Chaun dans son coin croit être le préféré des Blancs et oublie de penser qu'il doit proposer des projets au peuple et non à satisfaire des besoins étrangers.

Cunctator a dit…

Hello St-ralph,
Toujours un plaisir de te savoir passé par ici. Tu penses ceratinement t'adresser à Cunctator en rédigeant ton commentaire, mais ce n'est pas moi l'auteur. Il s'agit de Dominique avec qui je coanime ce blog. Lui écrit simplement et ne répond jamais aux commentaires. je t'en expliquerai les raisons. Mes articles à moi sont signés Cunctator.

Pour revenir au texte lui-même, je pense que s'arquebouter sur des positions ethniques, ce qui n'est pas éradiqué, notamment en Afrique bantoue où le militantisme n'est pas idéologique mais plutôt ethnique ou régional (phénomène exarcerbé lorsque le pouvoir n'a pas une réelle légitimité. Dans de tels cas, le pouvoir excite les passions ethniques afin de créer un bloc protecteur autour de soi...), est le résultat de ce que décrie Dominique Ngoie-Ngalla: le peu se sensibilité humaniste et intellectuelle. Eduquée, diplomée, mais aimant peu, sentant peu, enfermée dans ses phantasmes obscurs, l'homme poilitique a du mal à accepter et à comprendre le jeu démocratique, car peu sensible à la philosophie républicaine qui veut que le chef soit le garant de l'intérêt de tous. Pour cela, il faut être cultivé, cultivé pas seulement aux sens des lettres et de la ratio grecques, mais cultivé au sens du kimuntu (homme dans les langues bantu, cet humanisme issu de la compréhension qu'à l'homme Africain de la valeur intrinsèque supérieure de l'homme son semblable, que makheureusement par manque d'écriture nous n'avons pas pu systématiser et développer.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.