mercredi 18 janvier 2012

Démocratie, repli identitaire et choix politique en Afrique noire


Le philosophe voit en la démocratie une aventure éthique. Les valeurs-pivot de ce régime politique (liberté, fraternité, égalité) sont ainsi des vertus dont doit s’orner le citoyen; à force de volonté et de lutte constante et acharnée contre les penchants naturels qui l’en éloignent. La culture, entendue comme le travail de soi sur soi pour s’humaniser, devenir sensible au vrai, au juste et au bien, et de les pratiquer. Donner une conscience à la brute que nous sommes à la naissance, en est le moyen. Le choix et l’exercice démocratiques sont, donc, impossibles dans une société de brutes ou encore à demie barbare. C’est vérité d’évidence dans la majorité des pays africains où l’appartenance groupale oriente le choix de la majorité des électeurs. L’intérêt général et la poursuite d’idéaux communs ne sont pas encore devenus la base de la mobilisation d’un électorat. C’est que, outre qu’ils sont encore des pays à demie barbares, les Etats africains sont des sociétés aux composantes opposées par des particularismes fortifiés et vivifiés par une gestion politique maladroite ou vicieuse. Et parce que, plus que ses militants, le leader politique n’est encore suffisamment libéré des entraves de l’idéologie de son groupe d’appartenance (ethnie) lui, qui devrait les y former, n’a que faire des valeurs démocratiques, et fait reposer ses chances de l’emporter sur ses concurrents (dont il a vite fait des ennemis), sur la capacité de riposte aveugle de son électorat, en majorité composé de sujets de même origine culturelle que lui et mobilisés autour de valeurs qui ne sont pas forcément des valeurs démocratiques.

Le lien d’identification rattachant les militants à leur leader se fonde sur la communauté de leurs origines culturelles. Le leader les tourne à son avantage, en les instrumentalisant. Le leader sait qu’il n’est pas légitimé d’abord sur la base du contenu de son projet de société, ni sur ses dispositions intellectuelles et morales à le mettre en œuvre. Un électorat mobilisé sur la base des valeurs purement affectives reste sourd aux meilleurs arguments venus du camp adverse, toujours diabolisé en période électorale, qui est le temps par excellence des défis émotionnels où le potentiel d’agressivité croît invariablement d’un cran. Entre le leader et son électorat s’opère, alors, un lien de type mystique, fusionnel et irrationnel; où, du moins, la raison n’entend rien; comme dans la relation de l’amour-passion.


Ici, la démocratie n’est concevable que dans le «nous» communautariste. Au Congo, Gabon, lors des élections de 1945 (formation de l’assemblée constituante), Félix Tchicaya fait le plein des voix dans son Kouilou natal et dans le bas Ogooué où, par la proximité culturelle des habitants avec les Vili du Loango, il est presque chez lui. Jacques Opangault triomphe dans sa Cuvette natale, mais échoue dans le Sud où il est un étranger.Aux présidentielles de 2011, en R.D.C, tous les candidats font chacun leur plein des voix dans les régions où ils sont originaires; ces régions étant, chacune, à beaucoup près, culturellement homogènes. Le triomphe d’Etienne Tshisekedi dans le Bas-Congo Kongo non baluba s’explique par la consigne de report de voix de Jean Pierre Bemba sur Etienne Tsisekedi, son allié; et aussi, peut-être, par la réaction du leader de Bundu-dia-Kongo, qui n’a jamais pardonné à Joseph Kabila d’avoir sauvagement maté la rébellion de son mouvement.Il peut, cependant, arriver, qu’un candidat soit plébiscité hors de «chez lui», dans la région ou à la ville où la majorité de l’électorat n’appartient pas à la même communauté culturelle ou ethnique que lui. Un tel renversement d’une tendance toute naturelle, l’élan de sympathie envers un «étranger» s’explique alors, en dehors de son charisme personnel, par l’intérêt que des populations, devenues un temps raisonnables, trouvent au projet qu’il leur propose, puisqu’il correspond à leurs aspirations les plus profondes. Elles vont vers «l’étranger» plutôt que vers un «parent», parce que, mieux que ce «parent», l’étranger place à l’horizon de leurs attentes des réalisations qui les tireront de la mauvaise passe où ils se trouvent. Cela s’était vu au Congo-Brazzaville, lors des présidentielles de 1992. Grâce à un séduisant projet de société, l’U.p.a.d.s de Pascal Lissouba s’imposa nettement dans les régions sans lien de parenté culturelle avec son groupe d’appartenance. On vota donc utile; le seul regret étant que l’heureux élu ne soit pas un «parent»!Cela vient de se voir encore en R.D.C, aux présidentielles de novembre 2011. Joseph Kabila se faisant tout naturellement plébisciter «chez lui», certes, mais rencontrant aussi un fort élan de sympathie hors «chez lui», parce qu’il «fait sérieux» et semble doué d’assez de volonté et d’intelligence, pour réaliser des choses intéressantes pour la nation.

Pour une démocratie en Afrique noire sans longue préparation morale et intellectuelle, politique et institutionnelle, comme en Occident où, depuis l’effacement d’Athènes et de Rome, des descendants de Guillaume le conquérant au Moyen-Age (XIIème - XIVème siècle) à la Révolution française de 1789, dans la douleur l’Angleterre et la France tracèrent le chemin de la démocratie, la tendance est donc encourageante. Cependant, au vu de l’ampleur de la contestation des résultats par les vaincus, alors même que ces contestations n’ont objectivement pas d’autre fondement que le refus orgueilleux et enfantin d’une défaite qu’en citoyen, il s’agirait d’examiner, afin d’en identifier les causes, évitant, comme font les mauvais candidats, de penser tout de suite à des fraudes imaginaires.


Il n’est pas exagéré de penser que l’Afrique noire a encore beaucoup de chemin à faire. La démocratie étant faite pour les esprits libérés des entraves de l’idéologie de l’ethnie. Sa réalisation implique, en effet, les vertus de courage, de sagesse et de tempérance pour lesquelles l’Afrique noire indépendante n’a pas, jusqu’ici, montré beaucoup de goût. La longueur du chemin peut, cependant, être réduite grâce à une solide et courageuse éducation à la démocratie. L’effet attendu étant un affaiblissement assez rapide de notre barbarie et de notre sauvagerie, par l’intériorisation d’une meilleure image de l’autre différent, enfin accepté et respecté.




Dominique NGOIE-NGALLA

1 commentaire:

St-Ralph a dit…

Tiens ! je viens de rédiger, moi aussi, un article sur Wde. il sera publié cette semaine. Pour moi, cet homme est devenu la honte de l'Afrique. Pas moins !

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.