Lorsque le droit et la justice ne
réparent plus, que l’arbitraire est imposé au peuple, la parole prophétique de
l’intellectuel attise les braises de l’espoir.
Gonflés d’amour, pressés par les
murmures de la vocation, ils avaient vaincu la rude pente qui mène aux hauteurs
de la pensée. Profusion donc de courage, d’abnégation et de foi. Il en faut
pour une telle expédition. Les fous seuls, les grands naïfs et les mystiques,
dans une société ou des décennies de corruption, de badinage et de brutalités,
avaient ringardisé honnêteté, correction et mérite, pouvaient s’éreinter à
glaner des savoirs qui ne les placeraient pas aux premiers rôles. Moqués pour
leur vocation d’arrière-garde, les aspirants à une vie de pensée étaient
conscients de la justesse de leur choix. N’en déplaise aux imbéciles armés de
quolibets, les palmes leur revenaient. Ils avaient choisi la difficile mission
d’éclairer l’avenir, de porter les lumières de Socrate, l’humanisme de
Montaigne, la rébellion de Césaire. On enseignait, on écrivait, on discourait,
avec passion, parfois au risque de grands périls.
Pourtant cet esprit, nécessaire
en démocratie, régime qui ne vit que par la parole raisonnée et la discipline
des passions, ne perdura pas. Il s'épuisa après la Conférence Nationale
Souveraine. En taillant en pièces le régime militaro-marxiste, ce grand débat
inspiré par les dérives du régime de naguère et les injonctions de l’histoire -
celles de la Baule y compris -, consacrait la liberté politique. Seulement la
parole déliée, envoûtée par des ardeurs longuement étouffées, exprima le
nauséabond et fit voler en éclat l'esprit de responsabilité. Chez les
intellectuels notamment. Sans évaluer les conséquences de ces idiotes
crispations, on versa dans le piège de l’appartenance groupale.
Au lieu d’aider le peuple à
affermir son caractère en vue des défis de la démocratie naissante, ils renforcèrent
de leur stature les factions opposées dans la crise qui s’installa au lendemain
de la première élection d’un Président au suffrage universel, privant cette
démocratie de leur souffle. Participer à l’hubris collective, postillonner
d’odieux outrages, présentait certainement plus d’attraits que de bander le courage
nécessaire à la concorde, sinon à la bonne entente nationale. Les atrocités
commises par des Congolais sur des Congolais n’émurent pas ces âmes sensibles
aux valeurs universelles de l’humanité. Première démission qui en disait
suffisamment sur leur qualité. Le malheur des Congolais est d’avoir fait
confiance à ces imposteurs. Donnant l’illusion d’un sincère attachement au vrai
et au beau, ils lorgnaient des privilèges de mandarins égoïstes.
Bercés par les sérénades et les
flatteries de leurs groupes d’appartenance respectifs auprès de qui ils
paradaient vaniteux, supputant leurs avantages en cas de succès de leur camp,
très peu alertèrent des hasards qu’augurait cette pagaille. Penseurs à courte vue,
savaient-il au moins que leur soumission aux logiques groupales préparait des sombres
jours ? L’affaire reste à instruire. Privée des lumières et des repères
censés être fournis par ces éclaireurs par vocation, la société congolaise
exposée à des glaives scélérats, connut bientôt le malheur. Point besoin d’y
revenir, les honnêtes gens n’ergotent pas sur la nature des événements qui ont
conduit à l’assassinat de la démocratie congolaise et au trépas de trop des
nôtres.
Tombé dans l’escarcelle de mafieux
et de pillards, le pays sombra dans un insondable chaos. La pire phase de son
histoire post-indépendance. Il s’est depuis transformé en un îlot d’injustice,
de terreur, de brigandage, de censure. Certains anciens colonisés en arrivent
même outrés à regretter la férule coloniale. « Au moins on était soignés et le pays était bien tenu, disent-ils ».
Les opposants parfois accablés pour leur nonchalance ou leur complaisance ont
été de tous les combats. Avec leurs armes morales et intellectuelles
respectives. Il faut le leur reconnaître. Rien d’étonnant si les pauvres
diables de leurs rangs ont choisi la soumission. Point de courage politique sans
courage moral.
Ce qui est ahurissant dans ce
pays qui longtemps bouillonna d’art et de culture c’est l’érosion d’âmes
capables de réflexion dans une phase si dure de notre histoire. Où sont passés indignation,
révolte, dissidence ? Écrases par le rouleau compresseur des antivaleurs
tant décriées par le pouvoir ? J’entends déjà objecter de la brutalité du
régime. Certes on ne peut pas l’en absoudre, mais que dire des faiblesses des
hommes de culture ? La complaisance de nombreux d’entre eux avec la
logique ethnique s’est érigée en frontière conceptuelle et morale. Critiquer
oui, mais pas les parents. Ainsi passent sous silence les maux destructeurs des
structures sociales et institutionnelles. Rares en effet sont les élites
congolaises partageant les terroirs des hommes du pouvoir à avoir fait preuve
de liberté critique. Ils se taisent lors même que l’injustifiable et
l’imprescriptible se commettent sous leur nez. Antigone n’est pas congolaise,
mais si un tel niveau d’abus et d’oppression ne réveille pas les consciences éclairées,
c’est qu’elles ne l’ont jamais été. Fussent-ils des membres du parti au pouvoir,
on pourrait arguer de leur bâillonnement par le parti, mais là encore
l’argument ne tiendrait pas. Le haut degré d’exigence de ces gens confère une
passion si ardente de la liberté que rien, ni parti ni parents, ne pourrait les
empêcher d’agir selon leurs principes.
Que ce soit le fait de l’engourdissement
d’une conscience de bourgeois impassible et attelé à la sauvegarde de piètres
intérêts, de la tentation du maroquin ou du strapontin, de l’ivresse de la
collusion avec le pouvoir, vecteur de l’illusion d’inspirer l’action du prince,
trop de clercs Congolais sont devenus les chiens de garde des coffres forts.
Philippe Cunctator.
4 commentaires:
Belle analyse, cependant, premier point: ne faudrait-il pas déjà commencer par définir ce que nous entendons par "intellectuels", et "élites"? Suffit-il d'être instruit pour se définir comme intellectuel? Autrement dit, l'éducation scolaire fabrique-t-elle automatiquement des "intellectuels"?
Deuxième point: le nouveau concept d'"appartenance groupale" demande à être approfondi; hier nous nommions le mal de notre société "Tribalisme" en nous basant sur l'idée selon laquelle tout se jouait sur l'appartenance tribale. Le concept était clair, la "tribu" une référence réelle, même si le terme n'avait rien de scientifique et semblait avoir été inventé pour ne s'appliquer que sur les peuples d'une partie du monde. Sur quoi est fonde le nouveau concept "d'appartenance groupale": de quels groupes s'agit-il plus précisément? Groupes d'intérêts financiers? Intérêts culturels car, oui, on voit des groupes se créer sur la base d'autres intérêts que financiers, ethniques ou tribaux? Ou intérêts politiques? Une observation objective ne nous montre-t-elle pas que, par exemple, les intérêts financiers et politiques unissent plus les uns aux autres que les aspects purement ethniques et "tribaux" ? D'où, encore une fois, l'importance de la définition du "groupe".
Troisième point: L'analyse aurait pu être solide si un regard plus objectif avait été porté sur l'état actuel et réel de notre société d'aujourd'hui, en se rappelant que la répression dont sont victimes ceux qui croupissent dans les geôles ne repose pas sur "tri groupal".
En conclusion, la question fondamentale est de savoir pourquoi Tout un peuple accepte l'inacceptable alors qu'il existe dans le monde des peuples qui, actuellement se mettent debout pour revendiquer leurs droits (Vénézuéla ou Haïti) quitte à voir certains de leurs membres tomber sur le pavé sous les coups de la répression. Le peuple n'est donc pas seulement des "intellectuels" et des "élites" mais celui du peuple lui-même.
Cordialement.
Chère maman, j'ai évité ce travail. Ce qui s'intéressent au travail des intellectuels savent à peu près de quelle catégorie il s'agit, pour moi il s'agit de ceux qui font oeuvre de pensée. L'article n'étant pas didactique, mais tenant plus du billet d'humour, il était question d'aller droit au but.
Sur le troisème point, si tu t'appuies sur certaines phrases, tout y condensé. Encore une fois la vocation de ce billet n'est ni d'être analytique, ni de poser un regard détaillé sur les choses. Arbitraire, répression, brigandage...suffise pour évoquer les travers de l'époque actuelle, selon moi la plus sombre depuis les indépendances.
Philippe Cunctator.
Chère maman, merci encore pour tes remarques, qui invitent à la discussion, au débat, à l'approfondissement. Ce qui implique d'autres supports.
A très vite.
Philippe.
Cher Fiston Philippe, une chose est claire: c'est que toi et moi appartenons au même Groupe! Nous avons hérité (moi en ligne directe et toi par l'intermédiaire de ton Pater) de ce lien d'appartenance groupale indéfectible qui unissait feux Les Abbés Badiala et Béka Béka! Quelle fierté que d'appartenir à ce groupe là!!!! Quelle fierté que de t'avoir dans mon Groupe !
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