dimanche 10 juin 2012

Une histoire et un passé d’apocalypse, civilisation figée, la place et la chance de l’Afrique dans la mondialisation ?


Ceux qui aiment l’Afrique Noire ont le devoir de lui rappeler que son drame est le résultat d’une Histoire et d’un passé où le cloisonnement culturel, social et politique, le défaut d’audace, la pusillanimité combinés à la violence interne et externe gommèrent la promesse du bonheur. Aujourd’hui, tous les pays et tous les continents, bien malgré eux fédérés par le souci d’intérêts à garantir, la nécessité de faire grandir, chacun, leurs civilisations, grâce à la sauvegarde de leurs patrimoines, sont des pays et des continents qui comptent, pour réussir, sur la fidélité à leur Histoire et à leur passé. Chacun en attend le souffle nécessaire à un engagement qui ne sera pas un jeu, étant donné la taille des enjeux. L’Europe et l’Amérique du Nord, l’Asie, la Méso-Amérique, même, peuvent ainsi s’avancer dans la mondialisation d’un pas assuré. Elles ont derrière elles pour les convoyer, une histoire qui n’est pas faite de pointillés et de discontinuités, mais une longue tradition de la politique d’Etat, une tradition de l’Etat, ensemble organisé d’institutions politiques, juridiques, policières, militaires, économiques, administratives, qui organise et façonne le destin d’un peuple porté par un idéal. L’existence d’une écriture en a garanti l’intégrité du souvenir et la continuité de l’action dans la mémoire collective des populations rassemblées en nations. Génération après génération, leur conscience en est imprégnée. Progressivement gommant les particularismes ethniques et régionaux des origines, à la fin fondus dans des normes et des valeurs dominantes communes. L’aventure sociale commune à des millions d’individus longtemps étrangers les uns aux autres, et même de temps en temps s’affrontant militairement, fut rendue possible grâce à la création de moyens d’action sur la matière et la nature, la technique, en constante amélioration. Pour ces pays et ces nations, l’aventure de la mondialisation, du reste inéluctable est un beau risque à courir. L’Afrique n’y entre pas avec les mêmes chances. Elle n’a pas, comme l’occident, l’Europe et l’Asie, le souvenir tonifiant d’un passé de grandeur fait de continuités où se profile déjà le futur.
Faute de quoi l’élan magnifique du continent tout entier se brisa soudain, les cultures et les civilisations se figèrent en de vaines promesses. Imprudents, tournant le dos au métier et portés sur l’aile de l’idéologie, des historiens ont cependant idéalisé le passé de l’Afrique noire dotée d’Etats modernes, ou, du moins, auxquels ne manquait, pour être tout à fait modernes, que l’usage de l’écriture. L’Empire du Mali, l’empire Songhaï, le royaume de Kongo sont décrits de façon anachronique, comme tout à fait dignes de rivaliser avec l’empire de Charlemagne, moins l’art roman et le souci du savoir et de la culture de l’empereur germanique et d’Alcuin, son brillant ministre de la culture. Or, ces brillants ensembles politiques, jusqu’au XVe-XVIe siècle où commence la traite des Noirs restèrent, en ce qui concerne la technique, à un niveau tellement rudimentaire qu’il leur était impossible de répondre aux grandes ambitions du politique. Quelle efficacité administrative sans l’écrit et des moyens de transport rapides ? Et sans ces deux moyens de gouvernement, comment fondre dans un même creuset de la culture et de la civilisation, des populations séparées par des différences culturelles parfois bien nettes ?

La colonisation qui s’était attelée à mettre de l’ordre dans tout cela n’en eut pas le temps, et les Etats de l’Afrique indépendante sont derrières leurs frontières respectives, une reproduction, de l’Afrique traditionnelle : des mosaïques d’ethnies, des fragments d’ethnies en perpétuel conflit. Une action politique coordonnée et efficace est impossible. Surtout que, difficilement patriotes dans un tel contexte sociologique de cloisonnement des sensibilités et des intelligences, les dirigeants se montrent inaptes à définir et à suivre des politiques censées d’intérêt général qui mettraient de la cohésion entre des ethnies séparées par des idéologies qui radicalisent leurs différences et projettent pour l’Etat où elles se trouvent regroupées bien malgré elles, des lendemains d’apocalypse.

La recherche du bien collectif est, dans bien des pays de l’Afrique Noire, souci éthique étranger aux dirigeants. Le développement de l’Afrique n’est pas compris par de tels dirigeants à l’esprit étriqué comme étant un phénomène massif. Le niveau de développement de leurs pays se mesure pour eux au niveau du bien être et du pouvoir d’achat de la classe politique :multimillionnaires, villas dans toutes les grandes capitales du monde, parcs automobile luxueux, farniente permanent. C’est oublier que pour jouer franc jeu dans les rapports d’interaction de la nouvelle terre des hommes que nous fabrique la mondialisation, ce dont l’Afrique a besoin, c’est l’équilibre de sa balance de paiement, lequel dépend de la productivité et de la croissance dont les répercussions sont immédiates sur l’indice de développement humain. Celui-ci est effroyablement bas en Afrique Noire. Pour espérer le relever, il faudrait une autre race de dirigeants au sens et au souci de l’Etat plus affirmés. Et puisque le passé brouillé, violent et difforme de l’Afrique ne peut proposer de modèle qui, fouettant notre orgueil et nos volontés, inspire notre pensée et notre action, il reste à l’Afrique d’inventer un avenir qu’un tel passé ne peut lui montrer.
L’Afrique profonde a assez d’imagination et de génie créateur pour, à la façon des romanciers et des artistes, se forger un idéal et un modèle social en conformité avec sa sensibilité. Qu’on pense au contexte sociologique d’invention du blues et du jazz en Amérique : le génie de l’âme nègre s’exprimant et s’épanouissant pleinement au contact des éléments de la civilisation et de la culture de l’occident européen.

Or, le même génie de l’âme nègre est entré, depuis la colonisation, en contact avec le même modèle socio-culturel européen qui assura en Amérique du Nord, l’éclosion du génie des nègres déportés. La mondialisation, en marche de façon significative dans les colonies au lendemain de la seconde guerre mondiale, a proposé à l’Afrique des apports culturels et techniques favorables à l’éveil de la conscience de ses sociétés aux problèmes du temps et à l’urgence pour, elle, d’aller aux vraies solutions. Il suffirait pour cela que l’Afrique ait le courage de penser par elle-même, et de se remettre sérieusement en question pour que, dans la mondialisation, elle ne soit pas un pauvre pion dans les mains de partenaires aux dents et aux griffes acérés. Affronter la fourberie de l’occident et le cynisme des multinationales, c’est prométhéen, mais c’est la condition pour que l’Afrique ne disparaisse pas. L’audace de penser par soi-même, et l’amour propre dont, depuis les indépendances, elle n’a plus su ce que c’est à force de compromission et de lâcheté.
Dominique Ngoïe-Ngalla.

2 commentaires:

St-ralph a dit…

S'il est vrai que les structures étatiques sont plus anciennes en europe, il ne faut pas croire que l'idée de nation englobant toutes les forces des nations actuelles était une réalité. Il y a à peine plus d'un siècle que les populations actuelles de la France commençaient toutes à se sentir intégrées dans une même entitré. Le querelles de comtés, de duchés et autres pouvoirs particuliers étaient choses courantes jusqu'aux XVII è.

Et puis dire que "le colonialisme (...) s'était attelé à mettre de l'ordre" dans que que vivait l'Afrique me semble dangereux. L'ordre colonial n'a jamais été qu'un ordre d'intérêt inadapté à l'esprit des peuples colonisé en Afrique, en Amérique et en Asie.

Où tu as raison, c'est quand tu dis que l'Europe et l'Amérique du Nord avaient les éléments qui leur permettaient de "s'avancer dans la mondialisation d'un pas assuré". Cela est vrai parce que la mondialisation actuelle est l'oeuvre des capitalistes, successeurs de la bourgeoisie du 18è et 19è siècle. L'Afrique n'a jamais institué des bourgeois faisant travailler des pauvres.La notion de puissance naît avec l'exploitation du plus grand nombre par une petite minorité. Tel était le cas en Egypte pharaonique, à Rome et dans les empires que l'histoire a retenu : empires africains, empires européens, empires asiatiques. Aujourd'ui, c'est l'Europe et l'Amérique qui nous imposent la mondialisation parce que depuis quelques siècles elles ont pris le pouvoir.

Cunctator a dit…

St Ralph, merci encore pour ces commentaires pertinents, qui m'invitent, même si je ne suis pas l'auteur à creuser davantage pour pouvoir te répondre. faute de temps je reviens vers toi un peu plus tard.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.