La paix perpétuelle est une idée du philosophe allemand Emmanuel Kant. De lui aussi, l’idée d’une union harmonieuse des Etats fédérés sur toute la terre. Déduction naturelle de la foi de ce philosophe en la perfectibilité de l’homme. La S.d.n (Société des nations), qui fédère la majorité des Etats existants, est à relier à l’utopie de Kant. Mais, l’harmonie universelle et la paix perpétuelle, il est à craindre, ne sont pas de ce monde. Parce que l’humanité originelle est imparfaite; que l’homme soit perfectible ne signifie donc pas qu’on peut en faire un être parfait. Jusqu’au bout, il sera un être limité. Jusqu’au bout, la cupidité, la convoitise, l’ambition, la violence qui est le moyen de réalisation de ces vices. Jusqu’au bout, en dépit du contrat social de Thomas Hobbes ou de Jean-Jacques Rousseau, l’homme sera un loup pour l’homme.
Jusqu’au bout, l’Etat cosmopolitique dont avait rêvé Emmanuel Kant sera habité par des loups à qui la culture et la civilisation ne feront pas perdre leur nature de loup. Toujours, le plus fort s’adjugera la meilleure part. «Primam partem tollo, quoniam nominor leo» (Je prends la plus belle (la première) part, parce que je m’appelle lion). Les choses étant ainsi, projeter, pour l’Afrique noire insouciante et vivant dans l’instant, un avenir vivable, c’est se bercer d’illusion. A moins que, par miracle, les puissants, les Etats industrialisés qui ont tous les moyens de s’imposer par la force, ne deviennent des agneaux. Les puissants voudront devenir toujours plus puissants, au détriment des faibles toujours plus faibles au contact des plus puissants qui vivent de l’exploitation des faibles dont, par la ruse, la malice ou, tout simplement, la violence, ils ne tolèreront pas qu’ils cherchent à grandir.Du fait de son niveau technique dérisoire couplé à une gestion politique des plus désordonnées, l’Afrique noire, en dépit de son potentiel économique fabuleux, se range parmi les faibles et les très faibles. Les puissants savent qu’un réveil intellectuel et culturel de l’Afrique noire (la seule chose à partir de quoi l’homme individu ou collectivité invente son avenir) changerait la face de la terre, conduirait à un réaménagement des apports entre Nations; réaménagement des rapports qui ne serait pas sans risque, même pour certaines des plus grandes puissances.
Puisque, déniaisée, cette Afrique-là ne s’en laisserait plus compter; puisqu’elle aurait, comme les puissants qui l’oppriment, aujourd’hui et l’exploitent, les moyens de proférer des menaces et même de passer à l’acte. Elle serait devenue un loup, à son tour. Un loup respectable dont la respectabilité viendrait du fait qu’elle serait devenue capable de rendre coup pour coup. A la peur de répondre par la peur, à la violence par la violence. Seulement, il faut beaucoup de sérieux pour se hisser à ce niveau de respectabilité. Or, l’Afrique n’est pas sérieuse. Au commencement de la puissance des puissants, une prise de conscience du caractère inéluctable de la lutte, si on veut s’imposer, ou même seulement éviter d’être classé parmi les nuls. Longtemps moquée et tournée en dérision par l’Occident de la grande industrie, la montée en puissance aujourd’hui de l’Asie s’explique ainsi. L’Asie a compris qu’il faut commencer par la formation intellectuelle et, ayant atteint le niveau intellectuel de l’Occident (sciences et technologie), elle est sortie du rang des nuls.
L’impulsion donnée à la production culturelle et intellectuelle a fait de l’Asie un partenaire respectable de l’orgueilleux Occident. A la formation des cerveaux, elle a ajouté la discipline dans la gestion du politique. Hier encore à peine mieux notée que l’Afrique noire, elle talonne et menace, aujourd’hui, la puissante et orgueilleuse Europe. Il ne reste plus dans les rangs des nuls que l’Afrique noire. Naïve, celle-ci attend de l’Europe et de l’Asie une pensée fraternelle et désintéressée qui l’aide à se mettre en selle pour, à fond de train, rejoindre le peloton de tête. Mais ceux qui sont en tête du peloton y sont à la force du poignet. Si l’Afrique noire veut les rejoindre, elle devra se battre et utiliser les mêmes moyens que ceux-là qu’elle ambitionne d’égaler: un fond d’orgueil suffisant, de l’ambition, la volonté de puissance, qui ne vont pas sans la vertu de courage, la force disciplinée.
Le naturaliste britannique Charles Darwin, qui posa les bases de la théorie de l’évolution grâce au concept de la sélection naturelle, nous rappelle que les espèces qui ne s’arment pas de ces vertus et de ces qualités s’adaptent mal à des conditions d’existence sans cesse renouvelées, et finissent par périr. Ignorant la compassion, superstitieuse et frivole, ennemie de l’effort et du sacrifice, allongée sur la pente inclinée des plaisirs faciles, et pour en jouir bien disposée à vendre son âme au diable et aux grandes puissances, l’Afrique politique est, à la vérité, la grande ennemie de l’Afrique souffrante sur autorisation de la classe politique, exploitée et humiliée par les puissances industrielles et les multinationales qui se moquent pas mal de la morale et du droit, surtout s’il s’agit des nègres d’Afrique.
Un espoir, cependant, pour l’Afrique: il n’est point de fatalité dans l’Histoire de l’homme. Tout ce qu’on lui demande, c’est d’oser intelligemment. Aussi loin qu’il m’en souvienne, l’Afrique n’a jamais osé. Or, individu ou collectivité, rien de grand et de mémorable n’est possible sans une intelligente et prudente audace. Une telle audace intelligente et prudente peut venir à bout du désordre politique qui, en Afrique, a pris le visage de la fatalité. Une audace intelligente et l’amour de l’Afrique qui manque tant aux dirigeants africains, c’est tout ce qu’il faudrait pour que commence une aventure africaine qui aurait toutes les chances de se terminer bien. La vie, dit le proverbe, sourit aux audacieux.
Dominique Ngoie-Ngalla
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