Tout au long de l’histoire,
jusqu’il y a peu en tout cas, les crises sociales ou politiques mettant
gravement l’existence, la bonne marche ou l’intégrité de l’Etat ou d’une entité
y ressemblant, étaient l’occasion de l’émergence de grands hommes. Des hommes à
la stature de géant, dont le génie, le courage et la détermination étaient à
eux seuls capables d’imprimer un tour différent à une situation qui menait
fatalement le pays au chaos. Ainsi, près de nous, Mandela, Martin Luther King,
Gandhi, De Gaulle, Churchill.
Or en ce qui concerne le Congo,
depuis bientôt deux décennies empêtré dans la pire phase de son histoire,
malgré les promesses de « nouvelle espérance » et de « chemin d’avenir », le
grand homme se fait toujours attendre. Malgré des conditions d’existence qui,
plus que jamais exposent au vif de la vie, de sorte que le courage, le
dépassement de soi, l’abnégation sont plus que nécessaires pour les congolais
pris entre l’étau d’un régime douteusement républicain et des conditions sociales
misérables. Tout est donc réuni pour que dans les cœurs épris de compassion naisse
un sentiment de révolte contre les causes du mal-être. C’est en effet de
lassitude et de révolte qu’à travers l’histoire des hommes de haute stature se
sont dressés contre l’injustice et l’oppression. Mais la révolte seule ne
suffit pas, encore faut-il être courageux. Courageux, non pas parce que
oubliant la peur, mais courageux parce que oubliant son propre égoïsme, mère de
toute mesquinerie ; courageux parce que point effrayé de s’engager dans
une aventure éthique exigeante. Cynthia Fleury n’est pas loin, qui dit qu’il
n’y a pas de courage politique sans courage moral. La recherche du bien-être de
tous est bien une aventure éthique, car constamment aux prises avec la recherche
du bien être de soi qu’on ne perd presque jamais de vue, mais que parviennent à
réduire ceux-là ayant une conscience profonde qu’il exige inévitablement celui
de tous.
Seulement exigence, rigueur
envers soi-même sont antinomiques avec l’illusion de liberté des congolais buvant
bières et usant femmes à volonté. Incapables de détachement car esclaves de
leurs sens, toute tentative d’ascèse est vite escamotée. C’est à croire que
comme pour les lois de la physique une impérieuse pesanteur leur défend de
s’élever sans jamais retomber lourdement et de s’enfoncer plus bas que terre.
Malgré une misère évidente et des conditions de vie médiocres pour l’essentiel
des habitants de ce pays qui se range en 2013 au 142ème rang de l’IDH (Indice
du Développement Humain) sur 182 et un blocage des mécanismes de développement
et du progrès par l’égoïsme de politiques gloutons, l’homme, même lorsqu’il est
bardé de diplômes, y parait sans gravité, béat et inconsistant. Le tragique de
la vie auquel il goute quotidiennement – même par ricochet - dans ce pays où
sentir les atrocités de l’existence n’attend pas la perte d’un être cher, une
guerre ou une catastrophe naturelle, ne l’affecte pas. L’esprit ayant depuis
sonné la retraite a laissé la primauté à l’instinctif et au biologique, qui
règnent sans partage sur l’homme congolais. Non pas que les congolais en soient
restés au biologique, mais à en juger selon leur comportement, il semble que
chez eux, l’esprit se soit très peu démarqué de l’égoïsme et de la dictature
des pulsions, de sorte qu’il est exagéré de les dire civilisés.
Une élite qui ne l’est que de
nom, totalement inculte, car même finement lettrés, la fréquentation
utilitariste d’œuvres par lesquelles l’homme saisit l’universel de sa condition
n’a pas fait germer en eux ce désir d’humanité ou de civilité humaine. Pour
preuve l’absence de lieux d’expression de la culture congolaise (théâtres,
musées, ballets, etc.) qui permettent de saisir l’apport spécifiquement congolais
à l’expression de notre condition commune et qui permettent surtout à l’âme de
se recueillir. Tout ce qui y tient lieu de culture – essentiellement la musique
urbaine – flatte plus les instincts les plus bas qu’il ne pousse à s’interroger
sur le sens de la vie pourtant pénible de ces pauvres diables. Rien de plus normal
dira-t-on, si les arts sont aussi l’expression esthétique d’un contexte et
d’aspirations sociaux, pourquoi y rechercher du sérieux, du tragique, de
l’esprit quand les valeurs dominantes du Congo les rejettent ? Partout une
dégradation croissante de la moralité et une déficience grandissante de la
pensée, le primat de l’instinct et du biologique qu’on ne combat que quand
l’esprit a barre sur la personne.
Il est difficile dans une société
où sont réunies, comme si elles avaient été empilées par un savant complot, les
conditions de la mort de l’esprit qui, hormis la raison, est aspiration à
l’amour, à la justice, à la vérité, à la beauté, que surgisse un homme qui soit
digne de cette noble qualité, en reconnaissance de laquelle les asiatiques
ayant un sens profond du sacré font une belle révérence en guise de salut, si
par une rigoureuse discipline et un patient travail sur soi on n’élève pas les
valeurs spirituelles et l’intérêt de tous au-dessus des valeurs matérielles et
individualistes. La nature du combat l’exige ! Ce genre d’homme contrasterait
violemment avec nos opposants, experts en compromissions honteuses et rétifs à
définir une ligne de démarcation claire entre eux et leurs adversaires à qui
ils ressemblent étrangement. Cette ressemblance est forcément la raison de la
mollesse de leur combat. Sans objectif clair, sans adversaire clairement
déterminé, leur combat n’a jamais eu ne fût-ce qu’un semblant d’efficacité. Comment
dans de telles dispositions, ceux qu’ils combattent ne continueraient ils pas
leur travail de sape des acquis et de l’avenir des congolais, quand ils ont
pour adversaire des hommes sans convictions, qu’ils peuvent apprivoiser à
souhait grâce à leurs puissants hochets ? Tels les dieux facétieux de la
mythologie grecque, ils se jouent et du destin de nos diables d’opposants et,
plus grave, du peuple tout entier. C’est un Prométhée qu’il nous faut pour
arrêter ces dieux noceurs et capricieux. Nos héros de pauvre facture n’ont en
pas le courage. Comment feraient-ils sans cette fermeté qui fait les saints et
les héros ? Cette fermeté qui est dans un premier temps combat contre ses
propres démons, ceux de notre chair et ceux de notre égoïsme. Ce combat où
brulent générosité et grandeur, et qui font préférer la félicité de tous au
détriment des promesses plus alléchantes de puissance, de possessions, de
jouissances de tout ordre. Ainsi seulement seraient-ils capables d’insuffler
une autre dynamique : la correction des mœurs et des valeurs n’est-elle
pas déjà un grand pas vers la citoyenneté ?
L’opposant congolais, conscience
sociale et politique aiguisé par tant de souffrances infligées par d’autres congolais,
mènera un beau combat lorsque moins fruste, il se sera frotté à la culture,
afin que poli comme une pierre de valeur, brillent sur son front la générosité
et le courage qui changeront son cirque au digne rang de politique. Pour l’instant,
il conjugue fort bien faiblesses morales et absence de sens politique. Inquiétant !
Excusez-moi, Messieurs de
l’opposition, mais vociférer, tenir conciliabule pour dire tout le bien que
vous pensez des hommes forts du Congo, n’est pas ce qu’on attend de vous. Une
bonne stratégie, un peu de sens tactique et surtout une proximité avec votre
base ferait bouger les lignes.
Cunctator.