mardi 22 janvier 2013

La musique couplée à l’ignorance, opium des bidonvilles africains et opportunité pour la classe politique

Au XIXème siècle, cherhant ce qui, dans la vie sociale, faisait obstacle à l’épanouissement du peuple et à l’amélioration de ses conditions sociales d’existence, Karl Marx crut l’avoir trouvé en la religion. La religion, pour lui, est un véritable opium. Les propriétés de l’opium sont connues. L’opium engourdit l’esprit, provoque des troubles de mémoire et donne à celui qui le consomme, des satisfactions imaginaires. Dans la conception de Marx, la religion-opium aliène, abrutit le fidèle et le conduit à se donner du monde des représentations insensées, suivies de pratiques non moins insensées, loin de la volonté et de l’effort pour transformer le monde. Il est ailleurs que là où il devrait se trouver. Mais, il faut répondre à Karl Marx que la religion qu’il incrimine ainsi est seulement celle des bigots et des bigotes. En tout cas, le christianisme de stricte obédience n’a jamais encouragé une piété de contemplation passive qui détourne de l’action. L’Evangile rapporte que, le matin de l’Ascension, comme pétrifiés, les apôtres restaient là à regarder les nuages où Jésus venait de disparaître, une apparition leur reprocha vivement leur attitude passive et leur enjoignit de se rendre illico en Galilée où du travail les attendait. «Viri Galilée quid admiramini aspicientes in coelo?». Elle est, en effet, suspecte, une spiritualité d’évasion, hors de la rudesse de la réalité sociale.

Le rôle que Marx fait jouer à une religion dévoyée de ses missions prioritaires, la musique de divertissement couplée à l’ignorance semble le jouer à la perfection, dans l’Afrique indépendante, bavarde et peu apte aux tâches de transformation de la société. Il s’agit, bien entendu, de la musique moderne des villes. Celle des bistrots et des guinguettes. Ici, ayant cessé d’être le symbole vivant de la solidarité du groupe, temps et espace de célébration communautaire du labeur, la musique africaine dite moderne s’est chargée de nouvelles significations: non plus (dans «Les gouverneurs de la rosée», Jacques Roumain le montre très bien) support du labeur et du travail productif, mais principe d’évasion hors des rudesses d’une réalité sociale sans cesse plus difficile, en parfait décalage avec le discours rassurant de la classe politique, pour qui les indépendances avaient ouvert une ère de progrès.

En tout cas, ce à quoi, depuis 50 ans, le petit peuple, résigné, des bidonvilles s’est habitué, c’est le report du jour de l’avènement de l’abondance promise par les politiciens. Dans certains pays de cette Afrique où, en dépit d’un P.n.b (Produit national brut) des plus alléchants, la misère reste profonde, le petit peuple désespéré des bidonvilles serait en permanence dans la rue, pour réclamer son dû à des dirigeants insensibles et sourds à ses cris, si la musique n’avait, sur ce petit peuple qui la consomme sans modération, l’effet soporifique de l’opium.

Les responsables politiques de la Rome antique, pour éviter des revendications sociales embarrassantes du peuple frustré, et des émeutes aux issues imprévisibles, imaginèrent une formule qui leur réussit assez bien: «Panem et circenses»: du pain (de la nourriture) et les jeux violents du cirque. La violence du cirque, pour évacuer l’amertume et la haine accumulées.

Mais, il est douteux que, manquant d’imagination et de compassion lorsqu’il s’agit de chercher et de trouver des solutions pour améliorer les conditions sociales d’existence du petit peuple, il est douteux que les politiciens africains auraient trouvé, comme les Romains, seulement une solution de compromis. Ils s’exposaient ainsi à un affrontement violent avec le petit peuple des bidonvilles. Par bonheur pour eux, ils n’eurent même pas besoin d’en appeler, comme les Romains, à un élan de générosité intéressée.

Les artistes musiciens, sans le savoir, volèrent à leur secours. Ils distillèrent leur musique dans tous les quartiers des bidonvilles. Et celle-ci eut, sur les habitants des bidonvilles, l’effet soporifique et aliénant du pain et des jeux sur les masses romaines. En leur mettant le diable au corps et en leur engourdissant les facultés supérieures de pensée et de jugement, cette musique de saltimbanque, comme une drogue et un hallucinogène, empêche les peuples africains de prendre conscience et de voir en face la cruelle réalité sociale que, chaque jour qui passe, leur fabrique une classe politique qui, sans cesse, leur répète et leur donne l’assurance qu’ils marchent dans la bonne direction. Elle devient ainsi, pour la classe politique qui en a cerné l’étendue du pouvoir sur les consciences, un moyen de perpétuation de l’assujettissement du peuple qui y a trouvé refuge et consolation à sa misère.

C’est dire qu’il est passé à la trappe de sa propre création. La rumba, comme ses tristes métamorphoses, est, en effet, d’origine populaire. Cette musique a probablement encore de beaux jours devant elle, si on part du constat que ceux qui devraient la vitupérer et lui faire prendre une autre orientation, sont ceux qui l’encouragent. L’engouement que suscite cette musique dans les communautés priantes laisse rêveur. A partir d’une interprétation fausse et paresseuse de l’inculturation, elle a fini par devenir, dans les Eglises chrétiennes, une source d’inspiration de la musique religieuse.

Pressés, semble-t-il, par l’obligation de résultats, les catholiques et les protestants ont fait d’une musique de divertissement et de guinguette, le support de leurs rituels de célébration du culte. Ils ont compris que pour mobiliser, une musique sans artifice, mais qui parle directement aux sens, non à l’esprit, ferait l’affaire. Rien de mieux que le ndombolo, la danse actuellement en vogue en musique profane, dans les deux Congo. Par son rythme enlevé, le ndombolo réjouit le cœur et l’âme des fidèles que de longs moments de méditation recueillie et de prière silencieuse ennuient à mort.

Des experts en traditions religieuses africaines nous assurent que nos pères priaient de cette façon: dans un maximum de bruit et de cris. Or, il est clair que l’option de l’Evangile de Jésus-Christ est loin d’une telle vision primitive et matérialiste des choses.



mardi 15 janvier 2013

Statut et rôle du philosophe dans la société (première partie)

En philosophie l’on peut historiquement distinguer deux principales attitudes du philosophe face au Pouvoir d’Etat pendant qu’il mène sa recherche de la Vérité et de la Justice : celle de Platon, qui pense que la recherche philosophique va de pair avec l’exigence éthique de l’amélioration de la gouvernance politique de la Cité, en vue de l’accomplissement de la Justice pour tous, et celle de Descartes, qui préfère éviter le heurt, pour s’occuper « sereinement » des méditations philosophiques, tout en signant un accord de non agression mutuelle avec le Pouvoir, avec une dose d’hypocrisie et de frilosité très prononcée, comme le montre le titre même du livre de Dufrenois Huguette : Le rationnel voilé. Ou comment vivre sans Descartes (Paris, L’Harmattan, 2010). Ainsi, de Platon sont nés les artistes de la pensée, dont les enquêtes sur le réel donnent du travail aux historiens et commentateurs, dérivés de Descartes.

 En tenant compte de la spécificité du cas congolo-africain, où la situation du contribuable qui finance la recherche laisse à désirer, il me semble que le philosophe doit s’impliquer, aux côtés des autres acteurs, pour contribuer à réduire les douleurs existentielles des populations, à partir des instruments qui sont à sa disposition, à savoir : l’analyse critique et prospective du séjour de l’Homme au Monde spatio-temporellement considéré. Je m’inscris dans la deuxième attitude. Pour cela, ici et ailleurs, le personnage de « philosophe » fait l’objet d’un double rejet de la part, d’un côté, de l’opinion publique, qui le traite de spéculateur, supposé incapable de contribuer à la recherche des solutions aux problèmes pratiques auxquels le citoyen est quotidiennement confronté, et de l’autre, il est rejeté, soupçonné dans et par les milieux politico-administratifs, qui l’accusent d’être dangereux, indiscret, prêt à dénoncer et porter sur la place publique ce qui se trame en officine contre l’intérêt général de la population. Dans la mesure où, même par bon sens, on ne peut cacher que ce qui est mauvais et nuisible à l’intérêt de tous, comme la culture du complot permanent et masqué contre les cadres qui osent exiger et défendre la Vérité ainsi que la Justice sur les questions d’intérêt général, comment comprendre ce double rejet, dont le philosophe est l’objet et la victime ? Quels en sont la portée et les limites axiologiques? Et, au-delà de cette réalité, quels devraient être le statut et le rôle du philosophe dans une société en construction « démocratisante » comme le Congo ?

Le présent article voudrait contribuer à dessiner la figure et la place de ce personnage inédit, qu’est le philosophe dans l’imaginaire congolais, qui n’en a pour idée que celle lointaine et abstraite apprise à l’Ecole (Lycée, Université), pour montrer que sa parole devrait être prospectivement plus pertinente, déterminante et percutante que celles des politiciens, ecclésiastes, journalistes et « Organisations non gouvernementales », toujours écoutées pendant les périodes de perturbation de l’intérêt général, mais dont « penser » n’est pas le métier premier, comme si les « intellectuels » en général, et le « philosophe », en particulier, avaient démissionné de leur vocation primitive, à condition que le « philosophe » se recentre sur sa raison sociale d’être : la conquête, la promotion et la défense de la vérité et de la Justice.

Ainsi, l’article prévient les Congolais de devoir désormais s’habituer à écouter et entendre l’autre parole, la parole du sempiternel chercheur de Vérité et de Justice, aussi longtemps que le pays, la seule chose que nous avons en partage, ne sera pas privatisé, avec la précision que la parole du philosophe est celle de « l’intellectuel face aux tribus », au sens où, dans « L’intellectuel face aux tribus » (Paris, CNRS Editions, 2008), Régis Debray appelle « tribus », tous ces lieux d’ancrage de l’intolérance, de l’intégrisme et de l’injustice, que sont les partis politiques, les religions, les communautés, dont la vision réductionniste du monde ramène toujours l’Universel « décloisonné » (Bowao Charles Zacharie, 2004) aux dimensions du particulier contextuel, et recommande à l’intellectuel de regarder ces « tribus » en face, pour mieux les dénonce).

Ceux qui soupçonnent le philosophe ont peut-être raison. En effet, embarqué dans les mêmes circonstances de la vie quotidienne que tous les autres mortels, il affiche, toutefois, un comportement particulier, caractérisé par une forte exigence de liberté, de vérité et de justice, liée à l’usage de la raison critique au service de la conquête du savoir sur les grandes questions qui préoccupent l’Humanité : D’où vient le monde ? Comment va le monde ? Que deviendrons-nous après la mort ? Ce questionnement suscité par l’étonnement, lui-même porté par la curiosité, vise la structuration des conditions du Bonheur de l’homme sur terre, entendu que les tentatives de réponse à ces questions déterminent le comportement de l’homme dans la société.

Le sort a voulu que le philosophe réfléchisse sur ces questions pendant que les autres hommes font la fête quotidiennement. Pour cela, et dans son rôle pédagogique de conscience pensante de l’Humanité et d’éveilleur de consciences endormies dans la jouissance des biens du monde, du Pouvoir et l’insouciance, il est obligé d’user de son courage légendaire, pour dénoncer et relever ce qui ne va pas, dans le seul but de pousser l’Humanité à devenir de plus en plus meilleure, par la perfectibilité, de façon toute désintéressée, mais à partir de sa posture d’a-politicité et d’apatride, étant le citoyen du Monde. Il regarde toutes les situations de façon critique. Sur le double plan technique et axiologique, le philosophe n’est plus l’intellectuel, dans la mesure il cherche les voies de la Vérité et de la Justice pour soi et pour tous, pendant que l’intellectuel cherche à influencer l’opinion par sa notoriété intéressée, comme le relève Régis Debray : « L’intellectuel descend du prêtre, non du moine. Il a pour raison d’être, ou rôle principal, d’agir sur l’opinion de son temps. C’est ce projet d’influence qui distingue, en rigueur, l’intellectuel du philosophe (celui qui cherche à se gouverner lui-même par la raison) et du savant (celui qui cherche la vérité dans les choses)… L’influence se mesure au prorata de la notoriété, laquelle dépend du degré de présence de chacun sur l’écran ». Comme on le voit, « la notoriété » et « l’influence » font la force de l’intellectuel dans l’opinion, tandis que celle du philosophe repose sur la puissance de son discours (qui s’altérerait, s’il adhère à un parti politique), et qui est : vrai, franc, poli, logique, bien formulé et pertinent, caractéristiques sur lesquelles, un philosophe ne devrait pas être pris en flagrant délit d’indélicatesse.

Payé pour penser, le philosophe soumet toujours les modalités du vivre-ensemble à une critique permanente visant l’identification des failles du dispositif de gouvernance, pour inciter les décideurs à mieux gouverner, dans la mesure où ils en ont les moyens techniques, ou à passer démocratiquement le témoin, si ces moyens viennent à manquer, parce que la forme républicaine actuelle de l’Etat est le résultat de sa réflexion et de ses sacrifices historiaux. Sa critique demeure légitimée tant et aussi longtemps que la République reste la chose de tous les citoyens et n’est pas encore privatisée. Ceux qui en ont périodiquement la charge, suivant les termes du contrat démocratique, doivent faire la preuve de compétence technique et de moralité, pour répartir équitablement le revenu national, défendre et promouvoir l’intérêt général, sans confondre le bien commun avec le bien privé et en contenant « la pulsion toujours renaissante du pouvoir politique à dire la vérité au lieu de se borner à exercer la justice, ce qui est la suprême ascèse du pouvoir », comme le relève Paul Ricœur.  Pour jouer un tel rôle, le philosophe n’est pas accroché à une nationalité, mais se soucie de l’Humanité, dont il est le fonctionnaire a-patride, en étant critique, libre d’esprit, a-politique (en dehors des partis politiques, ces lieux d’intolérance et d’injustice, mais tout en participant au Service public, par obligation éthique du règlement de sa dette du sens vis-à-vis de la société qui l’a fabriqué et élevé.
Par rapport à ces vertus épistémo-éthiques attendues du « philosophe », on peut être malheureux de constater qu’au Congo, celui-ci reste muet, quand politiques, ecclésiastes, journalistes, et autres acteurs sociaux, braillent de façon intéressée lors que le vivre-ensemble est menacé. Ce silence du « philosophe congolais » peut s’expliquer par les faits suivants : 1. les potentiels se sont vite convertis en militants politiciens, que la raison critique a désertés ; 2. les professeurs de philosophie (qui passent leur temps à répéter ce que les anciens ont pensé en rapport avec les problèmes de leur époque, sans se donner la peine utile d’accomplir le même geste à leur tour) encombrent la place que devaient occuper les philosophes authentiques ; 3. ayant séjourné  dans les partis politiques, où ils complotent contre la raison et l’intérêt général, ils ne peuvent plus prendre le risque de parler en public ; 4. ayant mal géré la chose publique quand ils en ont eu l’occasion, ils ne peuvent plus donner des leçons ; 5. comme tous les mortels, ils contribuent à attiser silencieusement le tribalisme ; 6. la peur de dormir affamé les pousse à se taire, à se ranger et à négocier à genou, pour préserver les postes ou la possibilité d’y accéder, en considérant que s’ils dorment affamés un jour, ils se réveilleraient morts le lendemain, moins précieux que l’instant présent.
A cause de cette absence, l’espace public congolais est envahi par le bruit des personnes dont penser n’est pas le métier premier, montées sur l’estrade en réalité pour éviter de dormir affamés, et qui sont incurablement en rupture consacrée d’avec la Vérité et la Justice : politiciens, ecclésiastes masqués, journalistes indélicats, ONGs.  Ainsi, un « philosophe » égaré dans un parti politique a renoncé à la pensée critique, au désir de Vérité et de Justice, et peut devenir un réel danger pour l’intérêt général, dans la mesure son témoignage ne sera plus objectif et crédible, sentant le complot.
 A cause de cela, il est urgent que le philosophe naisse au Congo et monte sur les tonneaux de la Cité, pour défendre l’intérêt général, au nom de la Vérité et de la Justice seules, sachant qu’elles sont inassignables.  La parole du philosophe sur l’espace public national est vivement attendue, pour  surmonter triplement la trahison de Descartes (vu que les Congolais se comportent comme si la raison naturelle et la raison méthodique n’habitaient pas en eux), de Platon (qui aura passé son temps à conseiller en vain le Roi Denis, son cousin, Prince de l’époque grecque, ce dont il est résulté que, par leur nature, les politiques n’écoutent pas les sachants, pour le regretter à leur départ chaotique des affaires publiques) et de Marx (qui aura vécu pauvre et en exil, afin que les travailleurs du Monde aient les droits sur lesquels ils permettent aux gouvernants de revenir aujourd’hui). Dans le cadre d’un processus de développement démocratisant, comme celui que suit le Congo actuellement, de tout temps, et ailleurs comme ici, être philosophe n’est pas un statut social, mais une fonction critique à exercer sur la marche générale du Monde, au moyen de la témérité interrogative, mais en étant a-politique, apatride, chercheur réel de Vérité, défenseur de la Justice  et promoteur de l’intérêt général.
 Dans le pays, ce statut n’est assumé par personne, le pays étant infesté de trop de « fonctionnaires » de la Philosophie convertis trop tôt en militants politiques et qui craignent la sanction de leur hiérarchie, malgré toutes les garanties de droit à la critique, à la désobéissance et à la révolte que leur donnent aussi bien la Constitution du 20 janvier 2002 (article 19) que le décret n°2003-327 du 19 décembre 2003 portant code de conduite des agents publics (article 7).

Didier Ngalebaye, Docteur en Philosophie.

jeudi 3 janvier 2013

Culture, civilisations occidentales et africaines placées en perspective dans le schéma de l’inculturation




Est-il vrai que, pour cerner, de façon non équivoque, l’esprit de l’Evangile, pour comprendre son message, les Africains et tous les peuples étrangers à la culture judéo-chrétienne, ont besoin que l’Evangile et le christianisme leur soient donnés en leurs langues dans leurs cultures?

Réponse: oui, à condition d’ajouter, tout de suite, que la réponse est non, si on tient compte de la marche de l’Histoire qui met fin à l’isolement de l’Afrique, ouvre sur d’autres mondes, ses sociétés de ce fait progressivement traversées et subverties par les logiques de modèles culturels venus d’ailleurs, principalement de l’espace social judéo-chrétien dont l’Eglise africaine, au motif que l’Evangile se trouve enrobé dans les cultures de cet espace et que cet enrobement fait obstacle à une bonne compréhension de l’Evangile par les Africains, cherche à se déprendre.

Sur bien des aspects, depuis les rafles et les déportations de la longue traite des Noirs, terminée par la violence coloniale, l’identité des cultures africaines que d’aucuns pensent immuables, n’avait cessé d’évoluer et de se transformer. Et c’est chance que, comme de l’autre côté de l’Atlantique, celles des Caraïbes et de l’Amérique du Sud, elles n’aient pas été totalement laminées et réduites à pas grand-chose. Les cultures et les civilisations africaines ont résisté, mais les sociétés dont elles sont le support spirituel ayant été à ce point affreusement violentées, ces cultures africaines ne sont-elles pas, depuis, devenues de «drôles» de cultures, plus proches, parfois de la culture judéo-chrétienne que ne le sont les cultures et les civilisations d’Asie sur lesquelles le choc de l’impérialisme des pays occidentaux de civilisation et de culture judéo-chrétienne fut tardif et de peu de durée? Il en est résulté, et bien des faits le montrent, que, hors le racisme primaire des attardés et des imbéciles, nègres d’Afrique et judéo-chrétiens blancs sont plus proches dans leurs visions du monde, leur sensibilité et leurs aspirations, que les Asiatiques et ces mêmes judéo-chrétiens blancs.

Ces données, sans l’invalider totalement, nous obligent à nuancer beaucoup la thèse selon laquelle les Nègres d’Afrique ne peuvent comprendre, et donc vivre le message chrétien, que chaussés et casqués de leurs cultures nègres. Mais, de quelle culture authentiquement africaine et nègre peut se prévaloir l’universitaire entré au lycée français à 12 ans, et fils d’un chauffeur ou d’un cuisinier d’un évêque blanc, suffisamment dégrossi pour que le prélat l’ait facilement introduit dans les «milieux blancs» les plus divers? Quel est le contenu de la culture nègre de ce médecin, fils d’instituteur? La culture de la classe moyenne africaine est, en vérité, une culture de mélange et d’acculturation où la composante occidentale, selon les registres, s’affirme prépondérante. Cette catégorie de personnes n’a pas besoin d’être conduite à l’Evangile et au christianisme par la voie de l’inculturation ou qui emprunte, pour aller à l’Evangile, les catégories de la culture africaine. Les autres couches sociales, non plus d’ailleurs, parce que l’école leur a, depuis, ouvert le livre du monde et proposé une explication rationnelle du monde assez convaincante qui, parfois à leur insu, leur fait prendre leurs distances avec leurs cultures d’origine. Et si, sur le conseil pressant des hommes d’Eglise, ils se résolvent à y retourner, c’est, en quelque sorte, par fierté «nationaliste», le plaisir intellectualiste de redevenir soi-même, un nègre authentique.

Mais, on s’en doute, ce nègre authentique est, depuis l’ouverture de l’Afrique à la culture judéo-chrétienne, un nègre de métissage dont l’authenticité est devenue tout simplement hypothétique. L’histoire est passée par là, irréversible; le nègre authentique des origines revit certes, et reprendra du service, mais dans notre imaginaire. La culture africaine authentique après laquelle court l’Eglise africaine, pour mieux enraciner la foi de ses fidèles, relève du fantasme et sa reconstitution forcée et sans esprit critique peut mener l’Eglise africaine à de bien étranges formes d’expression de la foi, plus proches de l’esprit et de l’essence du paganisme qu’elle combat que de la religion de Jésus-Christ et de Paul de Tarse.







Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.