jeudi 21 juillet 2011

Ceux qui nous gouvernent savent-ils que l’Etat rançonne les petits producteurs de nos campagnes ?

O beatos nimis, sua si norint agricolas bona ! Oh trop heureux laboureurs, s’ils savaient leur bonheur ! (Virgile, Les géorgiques). Ainsi disait des gens du labour, Virgile, le doux et timide poète de Mantoue, il y a deux mille ans. Bonheur viril et vrai que savent encore goûter, aujourd’hui, quelques agriculteurs d’Occident. A la paix de leur humble univers, ils ajoutent, pour leurs semailles et leur récolte, le versement d’une subvention par leur Etats. Toujours suffisante certes, en face de tant de besoins, mais ils connaîtraient certainement pire sans cette politesse de leurs Etats. Les paysans africains qui ne semblent pas le souci prioritaire de leurs autorités en savent quelque chose ! Ceux du Congo-Brazzaville ont toute l’attention de leurs élus, mais pas pour améliorer leurs misérables conditions d’existence. Leur maigre production est obérée de toutes les taxes du monde. Ils en deviendraient fous s’ils pouvaient mesurer leur degré d’infortune. Et comment, partis, le cœur en joie, de leurs lointains villages, et rendus à Brazzaville pour écouler leur récolte dont ils attendent un petit rayon de joie et au moins une petite journée de bonheur, comment seraient-ils heureux si, dans cette ville, et dans leur pays ils sont traités en étrangers et joyeusement rançonnés ? Ils doivent, en effet, avant même d’avoir vendu, acquitter des frais exorbitants de police, de mairie, de douane et des Eaux et Forêts, dès leur descente de camion-bus ou du train ? Le petit commerçant ahuri, ne comprend pas ; il sait que ne sont normalement frappés de droits de douane que des articles d’importation, en tenant compte de leur valeur et de leur prix à l’exportation. Et que viennent faire les Eaux et Forêts, la police, et surtout la mairie dans ces taxations ? Le mukalu produit à Mossaka, à Loukolela, est-il un article d’importation ? Ou le foufou produit à Madingou, à Mont-Belo, Mouyondzi, Loudima ? Ou les animaux d’élevage de ces contrées de notre pays ?

Paradoxalement, un certain nombre d’articles venant de l’étranger, mais destinés à aider les paysans, sont exonérés des droits de douane : tracteurs, et autres outils agricoles. Ces pratiques étranges que probablement n’a pas ordonnées le code de commerce de notre pays ont lieu chaque jour, sous la barbe des autorités concernées. Comment donc les interpréter autrement que comme les signes d’une crise sociale grave dont la poussée grandissante, comme une pieuvre envahit tous les secteurs de la vie sociale, en commençant par le secteur public progressivement, insensiblement démissionnaire de sa tâche prioritaire : le maintien de l’ordre. L’apathie, ou, plus négativement, la volonté de rapine et de concussion qui a gagné un nombre fou d’agents de ce secteur est inquiétant. Il faut plaindre le chef de l’Etat.

De toute évidence, il prêche dans le désert. Pas beaucoup ne l’écoutent. La cavalcade des anti-valeurs contre lesquelles il s’est croisé est en marche ! Mais un tel niveau de désordre, ça n’est pas par hasard ; il est le résultat de l’accumulation de petits désordres sur plusieurs décennies, depuis les indépendances. Ni ici ni ailleurs dans le monde, la politique politicienne n’a jamais rien produit d’autre que des citoyens inciviques et médiocres. Savons-nous qu’entrer en politique, c’est comme entrer en religion ; et les mêmes exigences : être tout à tous, un fonds inépuisable de générosité et de compassion ? A condition d’apporter à sa naissance de réelles dispositions intellectuelles et morales qui vous permettent d’exercer avec honneur et bonheur les fonctions si exigeantes de gouvernement, ou de guide religieux. Seulement, dans notre pays où la formation de l’homme (intelligence, la sensibilité et le cœur) est confiée, depuis pas mal de temps, à des institutions (école primaire, collège, lycée, université, séminaire (petit et grand) qui périclitent, faute d’idéal à réaliser et de modèle à incarner, une élite authentique consciente de son rôle, tardera à naître. Une élite qui, dans un combat quotidien de corps avec le destin de tout peuple, se dresse, pour lui tracer son chemin, et frappe aux portes du futur. Mandela n’aura-t-il jamais d’émule ? Ou, maudite, en quelque sorte l’Afrique est-elle condamnée à une vie immuable de végétal, ou d’animal sauvage qui ignore la loi ?

mardi 12 juillet 2011

L’Eglise africaine va-t-elle re-évangéliser l’Occident ?

La défection du christianisme est profonde en occident. On le voit à la désertion des lieux de culte aux heures de célébration. Des avancées scientifiques insoupçonnées, dont beaucoup font sourire les choses de la foi ou rendent sceptique une économie consumériste et frivole installent un climat délétère qui amène un maximum de fidèles à décrocher du religieux traditionnel. Malheureusement contre la permanence de la distraction aliénante, l’Eglise se montre faiblement armée, et même adopte les armes de l’adversaire pour mobiliser des ouailles qui se font tristement rares. Dans le même temps, l’annonce de l’évangile en Afrique noire depuis le XIXe a en revanche opéré, un siècle plus tard, comme un transfert de la ferveur religieuse de l’occident en cette région du monde. Ici, croisant le désespoir de la misère économique, l’évangile enflamme les masses qui attendent du christianisme la consolation par l’espoir de l’entrée en paradis, et bien entendu, la protection contre la méchanceté des sorciers.

Depuis quelques décennies, séduite par cette bonne santé apparente de l’Eglise africaine, l’Eglise d’occident lui demande de venir, comme en périple de retour, évangéliser l’occident en procès inquiétant de déchristianisation rapide. Sans condition, semble-t-il ! Sans enquête préalable sur la formation de ces étranges missionnaires que l’Afrique envoie à l’Occident. Ce que l’Eglise d’Occident, assoupie attend de l’Eglise africaine où, pense-t-elle, souffle le vent de la pentecôte c’est sa sève tonifiante. Une confiance aveugle en ces missionnés d’une Eglise aux fondements encore mal-assurés et dont, du point de vue de la doctrine chrétienne, la sève bouillonnante n’a pas forcément que des effets bénéfiques, si l’on ne la discipline. Avec probablement la meilleure intention du monde : mettre de l’ambiance dans des célébrations devenues ennuyeuses, les prêtres Africains venus au secours de l’Occident en panne de foi n’ont pas tardé à mettre au culte une animation d’une exubérance tapageuse inspirée, à les croire de leurs traditions religieuses. La tradition liturgique occidentale si soucieuse de discrétion pour rester conforme à l’esprit de l’Evangile qui est effacement et humilité, est ainsi brutalement subvertie et submergée par la religiosité exubérante et bruyante des missionnaires Noirs. L’espace sacré de l’Eglise qui en principe modifie l’état de conscience et l’attitude du corps du croyant est alors transformé en lieu festif pas tellement favorable à une attitude de prière. Je ne crois pas qu’un sentiment profond de la présence de Dieu en ce lieu ne bloquerait pas net la propension de ces Africains à laisser s’exprimer dans les lieux de culte, plus leur corps que leur âme. Ce Dieu pendu à un gibet, quel sentiment et quel mouvement du corps peut-il inspirer si on croit en lui ? Ces frénétiques battements de mains, ces moulinets ridicules appartiennent-ils vraiment au registre du religieux ?

Les défenseurs des nouvelles liturgies de l’Eglise africaine prétendent s’inspirer des traditions religieuses africaines. Il faut craindre que ce soit là une Afrique de leur invention. Qui fait l’effort de connaitre les religions de l’Afrique et leurs formes d’expression se rend vite compte du sérieux de cette Afrique là. Elle ne mélangeait pas le sacré et le profane. Elle ne transigeait pas avec les valeurs du sacré. Le rituel liturgique africain qui envahit l’Eglise d’Occident friande d’exotisme est en fait une création récente de certaines communautés chrétiennes africaines. Il porte dans ses flancs l’odeur d’une revanche de l’Eglise indigène contre l’Eglise missionnaire et son rituel de célébration imposé. Je suis Noir Africain resté proche des traditions religieuses de mon groupe d’appartenance, et intéressé à leur analyse. Je ne me reconnais pas dans l’actuel rituel de célébration de la messe que ses promoteurs prétendent tirer des traditions religieuses africaines. Je me souviens de ma grand-mère. Elle n’était pas chrétienne. Et cependant, lorsqu’elle priait le grand esprit (Nzambi ya mpungu), elle avait les mains en orante et gardait le silence. Comme les chrétiens de l’Eglise primitive. Nous commençons à vivre, peut-être, de l’esprit de l’Evangile, un rapide les effets pervers d’une inculturation du christianisme mal comprise par des communautés chrétiennes africaines soucieuses au fond, non de spiritualité, mais plutôt pressées de se débarrasser d’un legs de la colonisation honnie. Si les réformes au sein de l’Eglise africaine doivent être menées dans cet état d’esprit, parions qu’avant longtemps, le christianisme africain ne gardera plus du christianisme de stricte obédience que le nom. Syncrétique, grimaçant à force de chercher à lui donner une coloration africaine. Le christianisme authentique est lieu de rencontre de la sensibilité et de la raison. C’est cette heureuse alliance que, livrée à l’ivresse de l’émotion, l’Eglise africaine qui se cherche encore n’a pas encore réussi. Mais y songe-t-elle d’abord ? Puisque, convaincus d’avoir raison, ses ténors se réclament de la négritude qui exalte, on le sait, l’émotion comme moyen de compréhension et d’expression du monde ? Et c’est d’une telle Eglise africaine que l’Eglise d’Occident attend la sève qui la revigore !

Sans traditions chrétiennes, juste évangélisées et devenues autonomes dans un contexte historique ambigu, sans recherches patientes, une telle Eglise africaine ne peut apporter à l’Occident qu’une expression du religieux chrétien confus, barbouillé de rhétorique chrétienne. Il faut plutôt espérer de l’Eglise d’Occident, visiblement décrochée, un sursaut salutaire. L’Afrique qui derrière son flamboiement baroque cache une profonde incompréhension de l’esprit de l’évangile, a besoin d’une renaissance de l’Eglise d’Occident pour reprendre sous sa tutelle fraternelle et non plus coloniale sa merveilleuse aventure. Jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge adulte qu’elle se fait aujourd’hui l’illusion d’avoir atteint.


Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.