lundi 28 septembre 2009

Eloge de la différence

Différence !plus que le mot lui-même, c’est le porteur de sens, le porteur d’altérité qui suscite diverses réactions chez les protagonistes de cette altérité. En vogue du côté des politiques avec les notions d’intégration, d’identité nationale, de multiculturalisme, de pluriethnisme, la différence est une notion dont on ne saurait se passer, une notion qu’il convient donc d’apprivoiser afin d’en faire une amie, étant donné qu’elle affecte même des groupes humains supposés semblables. La différence est ce dont est faite la vie ; elle en est la beauté et l’orgueil.
Bien que faisant partie de notre condition, la différence n’est pas aisément acceptée, surtout lorsque du fait de l’histoire, d’une position sociale, politique ou intellectuelle on est placé du côté considéré comme le bon côté dans une société donnée en fonction de ses valeurs et de sa hiérarchisation. Accepter la différence c’est accepter notre condition d’hommes, la vie étant faite de disparités, d’aspérités et de cavités. Si en certains endroits ou pour certaines personnes la vie est plane, pour d’autres elle est montueuse, vallonnée, et l’on peut apercevoir ça et là de petites rivières torrentueuses dans lesquelles, telles des truites, ces personnes se débattent avec ces courants tumultueux. C’est ainsi que la vie est faite de personnes de condition humble, de nantis, de nobles, de roturiers et de vauriens.
L’identité universelle du statut humain affirmé par le christianisme et tous les humanistes ,et bien avant eux les Anciens grecs et latins, ne doit pas conduire à réduire tous les hommes sous le même rapport. Bien que notre égalité et notre identité résident dans notre dignité et valeur communes, les manifestations de l’humain par chaque personne sont singulières. Tout homme est unique. « Chacun des hommes, selon Bergson, a des dispositions particulières qu’il tient de la nature, et des habitudes qu’il doit a l’éducation qu’il a reçue, à la profession qu’il exerce, à la situation qu’il occupe dans le monde. Ces habitudes et ces dispositions sont, la plupart du temps, appropriées aux circonstances qui les ont faites ; elles donnent à notre personnalité sa forme et sa couleur. Mais précisément parce qu’elles varient à l’infini d’un individu à l’autre, il n’y a pas deux hommes qui se ressemblent. »
Pourtant une certaine tentation à l’égalitarisme manifestée par une volonté de niveler tous les hommes, oublie qu’il n’est pas possible de modifier ce que la nature a gracieusement donné à une personne, ou encore que les expériences quoique similaires ne sont pas interchangeables. Tout enfant par exemple, ne vit pas la perte de ses parents de la même façon ; toute personne ne subit pas l’exile de la même façon. Si l’on admet que nos différentes aptitudes, bien utilisées, nous exposent forcément à des fortunes diverses, il est donc normal que nos succès diffèrent. Ainsi il y’a des personnes douées pour les affaires, d’autres pour mener les hommes, d’autres pour la spéculation intellectuelle, d’autres développeront des dons artistiques. L’issue de tout ceci est un prestige différent selon le statut que l’on aura acquis et les rôles qu’on exercera dans une société donnée.
La culture européenne qui se caractérise par la volonté d’épanouissement et d’indépendance de l’homme en le libérant de toute attache rendant difficile l’avènement du sujet, contribue elle-même à effacer ce sujet tant les nouveaux modes d’êtres et de pensée récusent toute notion d’autonomie, d’indépendance de pensée et de liberté de choix. L’industrialisation de la production, la société de consommation ont érigé de nouvelles logiques évinçant de façon subreptice nos capacités à choisir et ôtent, petit à petit, toute teneur à la notion de volonté.
L’occidentalisation du monde dont nous connaissons tous les causes exporte cette façon d’être à des régions dont les cultures, pour les plus fragiles, ont du mal à s’opposer à cette fécondation hasardeuse, adoptant volontiers ce qu’elle a de plus pernicieux. En tout cas en ce qui concerne l’Afrique, une observation lente et rigoureuse montre que son intérêt pour la civilisation occidentale n’est pas dans ce qu’elle a pu produire de plus admirable; l’Afrique est ce continent ouvert à tous les vents et tous les courants qui y déposent, sous les applaudissements des populations, des poisons qui, si on y fait garde, finiront par avoir raison de ce que nous sommes. En effet, séries télé, films, clips vidéo nous projettent des modèles d’individualisme exacerbé, d’irrévérence envers le sacré, d’affairisme aiguisé et de sentimentalité qui à mon sens ne sont pas des valeurs africaines. Déjà potentiellement occidentaux, nous risquons, si nous continuons à nous oublier ainsi, de compter parmi les civilisations disparues. Il n’est bien entendu pas question de rejeter en bloc tous les apports culturels des autres mondes, mais il faudrait plutôt les accueillir en sachant rester soi même afin d’être mieux armé pour effectuer un tri entre ce qui nous convient ou non.
Etre soi même, assumer sa différence donc, permet non seulement d’apporter quelque chose à ce monde tendant dangereusement vers le fade et le monocorde, mais encore d’être mieux préparé au rendez-vous, cher à Senghor, du donner et du recevoir.Qu’aurions nous à donner si, dissolus dans l’autre, nous finissons par tellement nous ressembler que l’élan de la rencontre s’en retrouve ratatiné, rabougri. Ce qui attire véritablement l’autre-différent c’est la promesse d’un enrichissement mutuel ; il faut que l’autre soit une perspective de sortie de l’ornière que constitue notre éthos habituel. Cet objectif nourrit les curiosités, invite au rêve, au voyage et à la découverte. Il est en effet difficile pour certaines personnes enclines à l’échange et au dialogue d’où qu’elles soient de converser avec des personne dont tout laisse à supposer qu’elle recèlent d’énormes trésors du fait de leurs particularités intrinsèques, mais qui souvent déçoivent par leur conformisme et leur adhésion tous azimuts aux courants et tendances du moment, le mainstream des anglo-saxons. Je me souviens d’un ami passionné de musique qui me disait son ennui lorsque rencontrant une personne, il souhaitait parler un peu de musique avec elle. La question qu’il commençait par poser à ces gens était « quel genre de musique écoutes-tu ? », et il était assez fréquent qu’on lui réponde « un peu de tout.» Cette réponse au lieu de l’édifier le perdait davantage, en sorte qu’il n’en savait pas plus sur les goûts musicaux de ses interlocuteurs et leurs motivations. Cette question à laquelle il n’attendait pas une réponse préconçue était un moyen d’entrevoir l’univers de son interlocuteur, de pouvoir discuter et échanger et peut-être s’influencer mutuellement.
Rien de mieux que les cultures lointaines, différentes des nôtres, pour constater la richesse de nos différences. Les anthropologues et ethnologues de par leurs expériences des peuples les plus éloignés de leur civilisation nous rapportent des preuves de l’étonnante richesse du monde vécu de façon différente selon qu’on est aborigène d’Australie, Bushman ou Bororo. Privés de la diversité culturelle et de l’hétérogénéité qui créent la richesse des relations humaines, nous n’éprouvons pas le désir de connaître ce qui ne nous ressemble pas. C’est ainsi qu’un adulte jamais confronté à la différence qu’elle soit sociale ou culturelle, bien que se disant ouvert, mais en effet ouvert seulement à ce qu’il connaît et à ce qui lui est plus ou moins semblable, aura le plus grand mal à se faire d’une différence abrupte. Cela requiert un apprentissage de la nécessité de ne pas envisager le monde selon ses propres catégories de pensée et d’analyse, mais plutôt de savoir, si on peut dire, se mettre entre parenthèses pour regarder le monde tel qu’il est.
Cultiver la différence et non faire une apologie négative de la différence a encore ceci de bénéfique que cette culture facilite la relativisation de nos propres parcours et trajectoires et d’avoir un regard dénué de morgue, un regard plus accueillant sur les horizons qui ne sont pas les nôtres. Remarquons qu’une personne de bonne naissance issue d’une banlieue chic du New-jersey ou de quelque autre endroit huppé, a priori peu disposée au partage, à la solidarité et à la générosité et même à la gratitude, car ne connaissant pas la précarité, l’indigence, le dénuement,verra l’apprentissage de ces attitudes facilité par la fréquentation ou simplement la conscience aigüe du sort de personnes moins bien loties, dont la gratitude naturellement apprise par l’habitude de recevoir peu souvent (pour de telles personnes recevoir le moindre penny, le moindre objet suscite de grands remerciements, ils savent mieux que quiconque la valeur d’une obole), n’a d’égale que leur dépouillement matériel. Une telle personne révisera ses caprices et aura, sans peut-être les pratiquer, connaissance des valeurs qui font avancer les humbles : humilité, courage, détermination, opiniâtreté, etc.
Parmi les instruments d’ouverture à la différence ou à l’altérité on peut citer les productions artistiques, en tant que fruits d’une vision propre à une culture donnée, comme instruments par excellence. Parmi ces productions, la littérature de par sa plus ou moins grande diffusion au delà de ses lieux de production, favorise la rencontre avec des personnages, des lieux, des atmosphères qui nourrissent en nous des aspirations et ambitions qui ne nous seraient pas venus naturellement. Un européen en lisant Amadou Hampaté Bâ pourra apprécier l’esprit de tolérance et de solidarité décrits dans son œuvre. Un africain en lisant Balzac ou Zola découvrira bien des plaies des sociétés industrielles naissantes ; les auteurs Anciens lui inspireront ou peut-être renforceront son sentiment quant à la dignité de l’homme et à la constante nécessité de tenir à la morale.En ce qui concerne les expériences littéraires et musicales, l’esprit ne saurait se satisfaire soit des mêmes rythmes ou des mêmes canons. Les sentiments qui caractérisent une personne donnée du fait de ses expériences ne trouvent pas forcément à s’épancher ou à s’exalter dans les musiques qu’il lui est donné d’écouter dans son environnement immédiat. Aux âmes martiales conviendront les musiques épiques, les marches militaires ; ne faites pas écouter du « coupé décalé » ou que sais-je d’autre d’oiseux et de bruyant aux personnes graves, soucieuses de sérieux et ayant développé le sentiment tragique de la vie, de telles personnes retrouveraient leur unité grâce à l’écoute de musiques évoquant par leurs sonorités des sentiments plus proches de leurs états d’âme, tels ces sanglots longs des violons de l'automne qui blessent le cœur de Verlaine d'une langueur monotone. Un esprit tourné vers la contemplation quasi mystique des choses de l’au-delà ne supporterait guère la foire et les tam-tams des Eglises africaines.

Philippe Ngalla-Ngoïe.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.