mardi 24 juin 2008

Les fondements sociaux historiques des incohérences et du désordre de l’Afrique contemporaine

Jetant un regard sur l’Afrique noire du haut des Lumières, catégorique, Hegel ne lui donne aucune chance. Il la voit « couverte de nuit noire ». La vie de l’esprit y est impossible. Le verdict est sans appel. Quelques décennies plus tard, et résolument optimistes, les anthropologues du premier courant évolutionniste (Morgan et Taylor) réfutent la thèse du philosophe allemand. Pour eux les Noirs d’Afrique et toutes les sociétés similaires pour présenter des différences nettes par rapport à l’occident civilisé, n’en sont pas moins inscrits dans le même schéma d’évolution de l’humanité que l’occident. L’Afrique noire et ces autres sociétés sont donc « perfectibles ». Avec de la bonne volonté elles sont parfaitement capables de se hisser au niveau des sociétés occidentales les plus avancées : l’Angleterre victorienne et la France de la République. Le processus d’évolution de ces attardés prendra certes du temps, puisqu’ils devront traverser tous les stades d’évolution par lesquels l’occident était passé. Mais qu’importe le développement est au bout.
Ces anthropologues oubliaient une chose : en raison des grandes différences des contextes sociohistoriques de déploiement de la conscience et de l’esprit séparant l’occident et l’Afrique noire, le chemin des africains pour accéder au développement allait s’allonger considérablement. A la différence de l’Occident le destin de l’Afrique noire fut en effet exceptionnellement sinistre et féroce. Mettons à part son tragique isolement qui la tint loin de tout contact fécondant avec les grands courants de l’Histoire : l’Inde bouddhique, la Grèce des philosophes et des chercheurs, la Mésopotamie avec ses hardiesses intellectuelles, le Christianisme avec sa révolution religieuse et ses principes de rupture avec toutes les traditions, mais pour des raisons géographiques, contraint de ne pas aller plus loin que l’Egypte et l’Ethiopie. Pour des raisons géographiques là aussi, l’Egypte même ne put vraiment rayonner au-delà de la Nubie voisine. Son influence sur l’Afrique profonde resta donc dérisoire. Les explorateurs occidentaux du milieu du 19e siècle tombèrent sur une Afrique noire sahélienne, pourtant relativement proche de l’Egypte par la géographie et le milieu physique, à peine sortie de l’Age de pierre. Malgré l’architecture de leurs mythes, philosophiques à rappeler un certain Platon, les Dogons ne dépassent pas la technique de construction des troglodytes. Une civilisation balbutiante aux techniques rudimentaires qui autorisent à penser qu’elles n’eussent pas été telles si l’Egypte avait réussi à la pénétrer de son influence et de son génie. Ou alors il faudrait formuler l’hypothèse d’une terrible régression qui aurait ramené à l’Age de pierre une Afrique noire parvenue grâce à l’influence de l’Egypte à un stade d’organisation économique supérieur. Régression, mais il faudrait le prouver.
Deux siècles avant que ne commence la Traite des Noirs Ibn Battuta tombe sur des sociétés africaines noires du Sahel dont le niveau d’organisation n’était pas fameux. La traite arabe puis la traite atlantique profitent donc de ce faible niveau de civilisation pour opérer les prélèvements qu’elles voulaient. La traite sous ces formes eut été probablement impossible avec un meilleur niveau d’organisation des sociétés africaines. Les rapports de force entre l’occident, les arabes et l’Afrique ne laissaient pas beaucoup de chances à l’Afrique pour résister à un étranger qui leur voulait tant de mal. Pour l’Afrique l’entrée en modernité représentée par les arabes et l’Occident avec leurs sciences et leurs techniques s’opérait sous de fâcheux auspices. Jusqu’à l’avènement des deux traites et de la colonisation, l’Afrique était restée en jachère en quelques sortes. Rien n’avait encore compromis le développement de ses capacités intellectuelles et spirituelles. Un contact moins rugueux avec l’étranger les eut vraisemblablement épanouies. Leur broyage par la traite des esclaves et la colonisation laissa l’Afrique choquée ; jusqu’aujourd’hui. Le genre de névrose que décrivent Frantz Fanon et Albert Memmi n’est pas de celles qu’on guérit en quelques séances psychanalytiques. Encore que cette Afrique choquée par plus de quatre siècles de violences continuées n’ait pas vu accourir à sa rescousse nulle cellule psychologique. Les perturbations psychologiques profondes allaient donc se maintenir et se renforcer de génération en génération. Perturbation du rapport à soi et au monde, le manque de confiance en soi, une conscience malheureuse et la souffrance de n’être pas l’individu que le Blanc reproche au Nègre de ne pas être. Tout cela allait être pour le Noir africain source de tant d’incohérences dans le système de représentations et de pratiques. Et cela explique ces logiques tordues dans la gestion des affaires humaines confiées à des paranoïaques fonctionnant par ailleurs sans le support indispensable d’une solide tradition des choses du pouvoir d’Etat. Ce qui a sauvé l’Asie de la débâcle coloniale c’est de n’avoir pas fait l’objet d’une traite des esclaves, et aussi et d’abord, l’existence d’une tradition forte du pouvoir d’Etat, qui en Afrique fut ruiné par la traite des esclaves (à supposer qu’une telle tradition avait existé). Une tradition du pouvoir d’Etat, pour sa fidélité, appuyée sur des textes écrits. Moyennant quoi loin d’être aujourd’hui prostrée comme l’Afrique devant l’expansion arrogante de l’Occident, l’Asie lui tient au contraire tête et même menace son hégémonie. C’est une Asie psychologiquement sereine et ayant confiance en elle-même et qui sans complexe frappe aux portes du futur. Cette confiance que même arrimée à la puissante Egypte, l’Afrique subsaharienne aura du mal à retrouver, tant les séquelles du traumatisme de la traite sont partout présentes Mais c’est une Asie qui n’a pas derrière elle les horreurs de l’histoire africaine. En Afrique le vieux traumatisme laissé par la traite des Nègres et la colonisation est toujours là, qui de façon sournoise accule l’Afrique au bricolage. C’est lui qui est à l’origine de tant de comportements et de choix éthiques qui n’honorent pas l’Afrique. Et lorsqu’il affecte la conscience des dirigeants dans des pays de faible démocratie, on peut mesurer l’ampleur du désordre actuel et à venir d’autant plus que à la manière d’un lutin décidé à ne pas la laisser tranquille l’Occident, le mauvais ami, continuellement lui joue des mauvais tours.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.